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Quelle politique de subventions pour le gouvernement algérien ?
Publié dans La Nouvelle République le 04 - 02 - 2018

Le dossier des subventions traîne depuis au moins 2008 où bon nombre d'études ont été réalisées à ce sujet entre 2008/2016. Voilà que le ministre du Commerce vient d'annoncer le 31 janvier 2018 qu'une nouvelle Commission interministérielle sous l'autorité du Premier ministre a été installée pour réfléchir à des subventions ciblées. Comme je viens de le faire savoir dans une interview à Radio Algérie Internationale le 01 février 2018 (1) rien de nouveau, puisqu' un comité de réflexion avait été installé par l'ex-Premier ministre Abdelmalek Sellal et il serait intéressant de connaitre ses conclusions afin d'éviter à la fois des pertes d'énergie et de temps.
J'ai tenu à rappeler dans cette interview que j'ai eu à diriger pour le compte du gouvernement l'audit sur les carburants entre 2007/2008 assisté des cadres dirigeants de Sonatrach, des experts algériens et du bureau d'études américain Ernest Young où nous avons proposé pour ce segment la généralisation des carburants à partir du gaz le GPLc pour les véhicules, le Bupro pour les gros transporteurs et des subventions ciblées fondées sur une nouvelle politique des prix. Déjà 10 ans et que de perte de temps et d'argent. Par la suite j'avais transmis un rapport au gouvernement le 14 septembre 2012 avec des propositions concrètes, point de vue que j'ai développé par la suite dans la presse nationale et internationale.
1.-L'Etat algérien et la généralisation des subventions
Grâce à l'aisance financière générée par les hydrocarbures, les différents gouvernements successifs depuis l'indépendance politique, au nom de la paix sociale, ont généralisé les subventions. L'Etat algérien dépensait sans compter, subventionnait un grand nombre de produits de première nécessité, comme les céréales, l'eau et le lait, l'électricité et le carburant. En Algérie celui qui gagne le SNMG au chef d'entreprise national ou étranger, bénéficient des prix subventionnés, n'existant pas de système ciblé de subventions.
Dans son rapport en date du 18 avril 2012, la Banque mondiale faisait remarquer qu'en moyenne dans le monde, 20% des plus riches bénéficient six fois plus que 20% des plus pauvres des subventions recommandant que les programmes d'aide sociale doivent être ciblés de manière à aider les ménages pauvres et vulnérables à y faire face. Pour l'Algérie, la même institution notait pour cette période que les montants des subventions sous forme de comptes spéciaux du Trésor, recensant sous différentes appellations 14 fonds, allouées au soutien de services productifs, à l'accès à l'habitat et aux activités économiques sont successivement de 40,83, 520,11 et 581,78 milliards de dinars, soit un total d'environ 1.143 milliard de dinars (équivalent à 16 milliards de dollars), représentant 14% du total des dépenses de l'Etat en dehors des dépenses de fonctionnement.
Pour la BM, 277 milliards de dinars ont été réservés aux produits de large consommation (blé, lait en poudre, etc.), soit l'équivalent du quart des subventions accordées au budget d'équipement. A cela s'ajoutent les assainissements répétés aux entreprises publiques qui ont couté au Trésor public plus de 60 milliards de dollars entre 1971 et 2016, les exonérations fiscales et de TVA accordées par les différents organismes d'investissement (Andi, Ansej) y compris pour les entreprises étrangères, dont il conviendrait de quantifier les résultats par rapport à ces avantages à coup de dizaines de milliards de dinars.
Dans la loi de finances 2018, le niveau des transferts sociaux est en hausse de 8% par rapport à l'année budgétaire 2017. Nous avons les emplois d'attente d'activité d'insertion sociale (DAIS), l'insertion des jeunes diplômés, la quote part patronale de la sécurité sociale liée au dispositif de l'Agence nationale de l'emploi, le financement du dispositif d'aide à l'insertion professionnelle, les pensions des moudjahidine, le différentiel de retraite servi aux moudjahidine, aux militaires et le déficit de la CNR aux côtés du soutien aux prix du sucre blanc et des huiles alimentaires ou du dessalement de l'eau de mer, à l'Office algérien interprofessionnel des céréales (OAIC) et de la dotation pour le Fonds d'indemnisation des victimes du terrorisme.
A titre d'exemple sans les subventions aux carburants dont l'Algérie importe entre 2016/2017 pour plus de 2 milliards de dollars au prix international, la subvention pour les huiles alimentaires et le sucre est de 1 milliard de dinars pendant que le fond de soutien public aux clubs professionnels de football dépasse 2 milliards de dinars. La quote part patronale de la sécurité sociale est d'environ 8 milliards de dinars et le «comblage» des trous des caisses de retraites dépasse 600 milliards de dinars et le soutien aux prix des céréales (OAIC) est de 160 milliards de dinars.
Ainsi, le pouvoir algérien ne voulant pas de remous sociaux, surtout avant l'échéance présidentielle, a maintenu les subventions comme tampon pour juguler avec ce retour à l'inflation qui selon l'ONS entre 2016/20107 fluctue entre 5/6%. Ce taux est sous estimé incluant dans le panier les produits subventionnés et en dehors des subventions le taux d'inflation réel dépasserait 10%. Ainsi, les différentes lois de finances depuis près de 10 ans proposent des mesures qui ont pour finalité de pérenniser la politique de l'Etat en matière de subvention des prix des produits de large consommation.
Or, comme je l'ai noté dans une contribution notamment au quotidien français la Tribune FR en février 2012, «bien qu'exceptionnellement important, le montant des subventions et transferts sociaux est d'un impact peu perceptible au niveau de la population. Il n'est peut-être pas juste que tout le monde puisse bénéficier de certaines subventions, quelle que soit leur situation financière.
2.-Pour des subventions ciblées
On peut lister les subventions accordés par l'Etat, sans être exhaustif.
-Les subventions du prix du pain, de la semoule et du lait
-Les subventions des carburants, de l'électricité et de l'eau
-Les subventions à la santé (hôpitaux et médicaments), au transport et au logement social
-Les subventions pour le soutien à l'emploi
-Les subventions aux écoles primaires, Cem, Lycées, Universités
-Les assainissements des entreprises publiques et les avantages financiers et fiscaux aux entreprises
-les surcouts de gestion des projets et les surfacturations illicites qui sont des subventions indirectes
La mise en place de subventions ciblées suppose à la fois une large concertation politise, économique et sociale loin de la pression des couches rentières et un système d'information fiable au temps réel mettant en relief la répartition du revenu national et du modèle de consommation par couches sociales posant la problématique de l'intégration de la sphère informelle (revenus informels). Car cette situation est intenable avec les tensions budgétaires. Les subventions généralisées faussent l'allocation rationnelle des ressources rares et ne permettent pas d'avoir une transparence des comptes, fausse les normes de gestion élémentaires et les prévisions tant au niveau micro que macroéconomique, aboutissant au niveau des agrégats globaux (PIB, revenu national) à une cacophonie additionnant des prix du marché et des prix administrés. Ils découragent, non ciblées, la production locale avec un gaspillage croissant des ressources financières du pays.
Comme se pose cette question stratégique : qu'en sera-t-il avec après les trois années dégrèvement tarifaire avec l'Europe horizon 2020 et son éventuelle adhésion à l'OMC où les produits énergétiques sont également concernés notamment par la suppression de la dualité du prix du gaz ? Se pose cette question stratégique pour l'Algérie : a quel niveau de cours de pétrole (la loi de Finances 2018 l'établissant à 50 dollars) le pays peut -il continuer à fonctionner, tant pour le budget de fonctionnement que celui du budget d'équipement constitué en majorité par les infrastructures avec des surcoûts exorbitants qui ne sont qu'un moyen de développement ? La véritable richesse provient des entreprises concurrentielles et l'Etat pourrait ne pas avoir les moyens de continuer à subventionner certains produits en cas où le baril descendrait en dessous de 60 dollars le baril en n'oubliant jamais que 33% ds recettes de Sonatrach proviennent du gaz qui connait un prix relativement bas.
L'instauration d'une chambre nationale de compensation indépendante, permettant des subventions ciblées, par un système de péréquation intra soco- professionnelle et inter régionale, implique, comme rappelé précédemment, forcément un système d'information en temps réel avec des réseaux internes et internationaux et une analyse objective de la sphère informelle qui permet des transferts de revenus non déclarés, afin de savoir qui est pauvre et qui est riche. Cela suppose un Etat régulateur fort, reposant sur les compétences, la ressource humaine richesse pérenne et la démocratisation des décisions.
Cela implique forcément un réaménagement profond de la logique de la politique actuelle assise sur la rente où des couches rentières tissent des relations dialectiques avec la sphère informelle spéculative. Cette nouvelle vision doit reposer sur la gestion et non sur la logique de la dépense sans compter, pour une paix sociale fictive grâce aux hydrocarbures traditionnels qui avec la forte consommation intérieure (due en partie aux subventions) s'épuiseront horizon 2030 au moment où la population algérienne sera d'environ 50 millions d'habitants. . Car le niveau des réserves en termes de rentabilité financière, est fonction de l'évolution des vecteurs prix international- coût, pouvant découvrir des milliers de gisement mais non rentables.
En résumé, espérons que cette nième commission, qui n'est pas une nouveauté, aboutira à des résultats concrets, qu'elle ne se cantonnera pas dans des bureaux loin des réalités, qu'elle tiendra compte des expériences internationales réussies, des travaux antérieurs en Algérie et qu'elle sera surtout à l'écoute des experts et de la société(1). L'objectif stratégique 2018/2025/2030 sera de dépasser le statut quo actuel pour éviter l'épuisement progressif des réserves de change, étant passées de 195 milliards de dollars en janvier 2015 à 95/96 milliards de dollars fin 2017, donnant un répit de trois ans.
Il s'agira forcément de changer la politique socio-économique, selon le couple efficacité/justice sociale, afin de permettre l'émergence d'une économie hors hydrocarbures et ce pour le bien être de l'Algérie et des générations futures. Face à la concentration excessive du revenu national au profit d‘une minorité rentière, renforçant le sentiment d'une profonde injustice sociale, l'austérité n'étant pas partagée, la majorité des Algériens veulent tous et immédiatement leur part de rente, quitte à conduire l'Algérie au suicide collectif.
En bref, il s'agit de lutter contre les surcoûts et le gaspillage et parallèlement mettre fin au cancer de l'économie de la rente qui se diffuse dans la société par des subventions généralisées et des versements de traitements sans contreparties productives, subventions qui sont source d'inefficacité économique et d'injustice sociale.
Professeur des Universités, expert international Dr Abderrahmane Mebtoul


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