Le mouvement de protestation entamé il y a plus de 45 jours dans la région de Jerada dans le nord du Maroc se poursuit et suscite une forte adhésion des femmes, et une marche a été annoncée pour dimanche dans l'ancienne ville minière, lieu de nombre d'accidents dramatiques qui ont provoqué colère et émoi au sein de la population locale. La marche prévue à Jerada, entre dans le cadre d'une série d'actions de protestation hebdomadaires enclenchées il y a 48 jours pour réclamer «une alternative économique» pour la région, ont annoncé samedi plusieurs instances politiques et syndicales citées par des médias marocains. Auparavant, samedi précisément, le mouvement a vu la participation particulière de la gent féminine, tous âges confondus. Habillées en blanc (couleur du deuil pour les veuves) elles se sont réunies à proximité de la municipalité de la ville en signe de tristesse pour la perte de leurs époux morts dans les «mines de la mort». Tandis que les hommes ont préféré s'habiller en tenue d'ouvriers de mines. En revanche, les mesures annoncées par le chef du gouvernement marocain, Saad Eddine el Othmani, dont l' ouverture de mines conventionnelles de plomb et de zinc, reconversion de la zone en région agricole, facilitation de l'accès à la propriété pour les anciens ouvriers et surtout la suspension des permis de commercialisation du charbon, n'ont pas pu calmer les esprits des mécontents de Jerada. La société civile dit prendre acte de cette mesure, mais plusieurs questions demeurent. L'une des sources d'inquiétude selon des militants de la société civile, était qu'aucune annonce n'a été faite autour de l'une de leurs principales revendications, à savoir le lancement d'une enquête pour juger les responsables de la situation économique désastreuse de la ville. «Ce sont eux qui doivent rendre des comptes», dit-on. La visite du Premier ministre dans la région devait avoir lieu le 15 janvier dernier mais a été reportée maintes fois, ce que contestent en effet les contestataires qui ont fini par être invités à Oujda pour assister à une rencontre gouvernementale avec M. El Othmani, mais pas au dialogue comme ils l'ont suggéré les initiateurs du mouvement. Parallèlement, certains militants du mouvement du Hirak de Jerada ont déclaré que de nombreux camions et véhicules de sécurité arrivaient dans la ville depuis samedi, notamment des voitures auxiliaires, des forces d'intervention rapide et la gendarmerie. Dix-huit morts en vingt ans A Jerada, commune déshéritée du nord du Maroc, des centaines de mineurs risquent leur vie pour extraire du charbon dans ce qu'on appelle «les mines de la mort». Le 1 février, un mineur de 31 ans a trouvé la mort dans l'effondrement d'une mine dans la zone de Hassi Belal, près de Jérada. Avant lui, le 22 décembre Houcine et Jedouane, deux frères âgés de 23 et 30 ans, ont péri dans un puits. Leur mort a suscité colère et émoi au sein de la population locale qui se dit «marginalisée» et qui manifeste depuis contre les autorités pour l'avoir laissée à «abandon». Samedi, 10 février, pour le 48e jour, plusieurs milliers de personnes étaient rassemblées pour dénoncer «l'abandon» de la ville et «les conditions de vie difficiles» de ses habitants. Les manifestants ont notamment dénoncé «l'injustice» et la «marginalisation» de cette localité située à une soixantaine de kilomètres de la ville d'Oujda, capitale de la région de l'Oriental. Les protestataires ont repris des slogans du mouvement de contestation du Hirak, qui continue de secouer la région du Rif (nord) depuis plus d'une année. Des actions de protestation avaient été observées bien avant que le drame de Jerada ne survienne pour contester «la cherté des factures de l'eau et de l'électricité», des actions ayant débouché sur des arrestations parmi les manifestants. La ville de Jerada est connue pour avoir longtemps abrité une importante mine de charbon, où travaillaient encore quelque 9 000 ouvriers au moment de l'annonce de sa fermeture en 1998. L'activité minière constituait alors la principale ressource des habitants, dont le nombre est passé depuis cette date de 60 000 à moins de 45 000. Chaque année, deux à trois hommes meurent en silence dans les mêmes conditions, soit dix-huit morts en vingt ans. Faute d'alternatives économiques, des jeunes souvent diplômés sont contraints de creuser des mines. Selon des données du Haut commissariat au plan (HCP), l'organisme statistique marocain, Jerada est l'une des communes les plus pauvres du Maroc.