Le 14 mai 1895, à l'aube, devant la gendarmerie d'Azazga (Tizi-Ouzou), Arezki Ben Bachir est guillotiné. Une page de la résistance naissante à la colonisation française venait d'être tournée. Pour perpétuer sa mémoire, le réalisateur Djamel Bendeddouche a, le 22 avril dernier, fait don à la direction de la culture de la guillotine ayant servi dans le tournage de son film, «Arezki l'indigène», réplique exacte du sinistre instrument qui a servi à la mise à mort du célèbre rebelle contre le colonialiste français, qui reprend ainsi place dans la cour de l'ancienne prison coloniale de la ville. Un geste par lequel le réalisateur avait affirmé «vouloir ressusciter et offrir à la mémoire collective un pan de l'histoire de la région et du pays» dont les acteurs étaient des rebelles solitaires dont la révolte couvait un caractère social, économique et politique. Il est intéressant, considère-t-il, de «savoir qu'il y a eu des personnages qui ont toujours déstabilisé l'ordre colonial» et «il y a toujours eu des révoltés et des révoltes» signe d'une conscience prématurée et permanente de l'injustice de la situation coloniale. Peu connu, Arezki L'bachir avait pourtant inscrit son nom au fronton de la résistance à l'ordre colonial qui s'installait, tout comme le furent Bouziane El Kalai, dans la région de Beni Chougrane à l'Ouest du pays, et de Messaoud Ben Zelmat, dans les Aurès. On les appelait, alors, les «bandits d'honneur», mais, ce n'est là qu'un arbitraire du signe lexical, selon que l'on soit du côté de l'administration coloniale ou de celui des populations qui, elles, voyaient en eux plutôt des «justiciers» au grand c£ur, comme en témoigne l'abondante poésie populaire qui leur est dédiée. «S'il y a une accusation que je rejette de toutes mes forces, c'est bien celle des vols. De toute ma vie, je n'ai volé personne. Aussi, je tiens à être jugé pour ce que j'ai fait et ce que je suis : un révolté», déclarait Arezki L'bachir aux juges, lors de son procès. Pour Bendeddouche comme pour Younes Adli, auteur d'un livre sur le personnage, Arezki L'bachir était un personnage fabuleux qui avait réussi à asseoir son emprise sur toute la Kabylie et jusqu'aux confins du Constantinois et de l'Algérois, grâce à son intelligence et son courage. Pour Younes Adli, il était non seulement «un justicier, un homme de courage et d'honneur, mais aussi un esprit visionnaire, stratégique et même espiègle et audacieux parfois, qui jouait avec le destin. Il était «un homme intelligent et un meneur d'Hommes», affirme-t-il. Ainsi, lorsque l'administrateur français avait fait emprisonner sa femme, séparée de son bébé, pour l'obliger à se rendre, et ensuite, fait subir le même sort à son père et sa soeur, il n'a pas hésité à se rendre à Alger et aller voir le procureur général dans son bureau. Un autochtone correctement vêtu demande à voir le procureur général. Que peut avoir un indigène, même si élégamment vêtu, avec le puissant procureur Flandin ? Il lui fait savoir qu'il a des informations de première importance concernant Arezki L'bachir et fut reçu avec égards. Le lendemain, le procureur général fut anéanti, il reçut une petite carte qui lui parvint «je vous remercie de m'avoir accordé audience et reçu avec courtoisie dans votre bureau» signée Arezki L'bachir. L'appel du maquis Le Senatus Consulte avait dépouillé des milliers de familles algériennes de leurs terres, les contraignant à la misère. Beaucoup de colons, attirés par les gains que leur procurait le liège devenu une marchandise de valeur, affluèrent vers Azazga et s'y installèrent sur les terres confisquées aux autochtones. L'écrasement de la révolte de 1871, dont le père d'Arezki fut un des porte-drapeaux, et l'expropriation des biens de sa famille en représailles, fut un tournant dans sa vie. A l'image de l'écrasante majorité de ses compatriotes, il fut «berger, puis cireur de bottes à Alger, garçon de bain maure, manoeuvre, bûcheron, petit khammès à Azazga» selon Emile Violard, auteur de deux ouvrages écrits entre la fin 1893 et 1894. De retour à Azazga, il se fait embaucher comme bûcheron et fut vite édifié sur le diktat des agents forestiers qui faisaient subir les pires humiliations aux autochtones. Excédé par leur comportement, il fomenta, avec quelques bucherons qui ne supportaient plus les vexations quotidiennes, un projet de révolte. Très vite, sa réputation de justicier est établie et il fait établir des critères d'enrôlement rigoureux pour éloigner de lui les bandits de grands chemins. D'autres groupes et autres révoltés ayant pris le maquis, à l'instar des frères Abdoun, se rallient à lui et combattent sous ses ordres. Inquiétée par ces alliances et la recrudescence des foyers de révolte qui se déclaraient un peu partout, dans le Haut-Sébaou, Azzefoun et jusqu'à la Soummam, l'autorité coloniale est en ébullition. «Arezki a supplanté l'autorité de l'administration française. Il règne sur un véritable royaume dans lequel près de 200 000 kabyles ne discutent aucun de ses ordres», écrit le sous-préfet Lefébure dans un rapport au gouverneur général à Alger. L'administration coloniale s'alarmant d'un risque d'insurrection, décida d'agir. Au total, 300 zouaves, deux escadrons de chasseurs d'Afrique et une centaine de gendarmes furent dépêchés d'Alger pour renforcer le dispositif déjà en place en Kabylie. Le 25 novembre 1893 sous le commandement du préfet Laroche et de Lefébure, près de 1000 soldats entamèrent, sous la neige, l'expédition contre les troupes d'Arezki, qui fut arrêté un mois plus tard, avec l'un des frères Abdoun, Mohand Saïd, le soir du samedi 24 décembre dans la région d'Akbou, sur dénonciation du caïd Belkacem et de Ben Ali-Cherif. Il est conduit à Alger et incarcéré à la prison Barberousse jusqu'à son procès et sa condamnation. Après une année en prison dans des conditions difficiles, le procès d'Arezki L'bachir et de son compagnon Mohand Saïd Abdoun s'ouvre enfin le 23 janvier 1895 à Alger. Il fut couvert par une douzaine de journaux, dont trois paraissant en métropole, Le Figaro, Le petit parisien et Le petit marseillais. Une présence médiatique dont Arezki L'bachir va se servir pour se livrer à un véritable réquisitoire contre la situation coloniale et contrecarrer les desseins de l'administration qui voulait le présenter comme un simple voleur. «Si j'ai pris le maquis, c'est parce qu'on nous a spoliés, j'avais à me venger de ceux qui avaient profité de leurs rapports privilégiés avec l'administration pour me réduire à la misère au même temps que les miens», déclare-t-il pour expliquer les motivations de sa révolte. Et de surenchérir : «Je déclare assumer la responsabilité des assassinats des amis et des gendarmes. J'ai agi en mon âme et conscience, et pour être plus clair, je les revendique aujourd'hui devant vous». Au terme du procès, il fut condamné à mort. Transféré à Azazga, le 13 mai 1895, il fut guillotiné le lendemain avec cinq de ses compagnons.