Révélations, accusations, boycott. Le sport algérien en général et le football en particulier n'ont pas échappé aux répercussions du mouvement populaire de contestation contre le système, entamé le 22 février dernier à travers le territoire national. Même s'il est loin de l'enjeu politique, marqué par des événements majeurs que traverse l'Algérie, le «Hirak» sportif s'est installé bel et bien pour lever le voile sur des pratiques malsaines ou pour dénoncer des affaires de corruption. Après une forte perturbation le week-end du 22 et 23 février dernier avec le report de plusieurs rencontres pour des raisons d'«ordre public», toutes compétitions confondues, la Ligue de football professionnel (LFP) a aussitôt pris la décision de ne programmer aucun match le vendredi, devenu une journée «à risque», où des manifestations sont organisées dans l'ensemble des 48 wilayas. De son côté, la Fédération algérienne de football (FAF) a exigé qu'elle soit impliquée dans la «prise de décision» concernant les demandes de report des matchs des différents paliers. Conséquence : même si les rencontres des deux Ligues professionnelles se déroulent, depuis le début du mouvement, toutes les journées de la semaine excepté le vendredi, dans de bonnes conditions, il reste à relever que la fin de la compétition a été décalée jusqu'au 26 mai pour la Ligue 1. Fait inédit. Le «big» derby algérois disputé le 14 mars au stade du 5-Juillet entre l'USMA et le MCA (2-3) s'est joué contre toute attente devant une affluence faible, alors qu'il drainait à chaque fois la grande foule. Et pour cause : des appels ont été lancés par les supporters des deux formations algéroises sur les réseaux sociaux pour boycotter cette rencontre, qui intervenait dans un contexte politique particulier, en guise de soutien au «Hirak». «Comment peut-on aller au stade quand notre mère (l'Algérie, ndlr) est malade ?», avait écrit un Usmiste sur Facebook. L'équipe nationale n'est pas en reste puisqu'elle a pu vérifier à ses dépens l'ampleur de la «fronde» à l'occasion des deux matchs disputés à Blida, respectivement les 22 et 26 mars, face à la Gambie (1-1) en clôture des qualifications de la CAN-2019 et en amical devant la Tunisie (1-0). Des appels massifs ont été lancés sur les réseaux sociaux pour boycotter ces deux matchs et plusieurs pages sur Facebook ont lancé le hashtag #Khalouh Faragh (laissez-le vide), en référence au stade Mustapha-Tchaker de Blida. Le sélectionneur national, Djamel Belmadi, n'a pas hésité à apporter son soutien au «Hirak» : «Mon avis est semblable à celui de tout le monde. Il y a des revendications qui ont été faites. Une masse populaire s'est exprimée. Je suis très heureux de voir cette mobilisation organisée, disciplinée et surtout unie. Le peuple doit être entendu». Plusieurs personnalités sportives, dont l'actuel ministre de la Jeunesse et des Sports (MJS) Raouf Salim Bernaoui (avant sa nomination), des présidents de fédération et des techniciens de diverses disciplines ont participé aux manifestations afin de faire entendre leur voix. Voulant se joindre au «Hirak», les handballeurs ont menacé de boycotter la compétition si leur fédération continuait à programmer des matchs de championnat le vendredi, journée de marches, disant se sentir «appartenir à une autre planète». Ce climat a permis à certains dirigeants de club de sortir de leur réserve pour se rebeller contre la FAF et son président Kheïreddine Zetchi, dont ils contestent la légitimité. Le président de la JS Saoura, Mohamed Zerouati, était le premier à franchir le pas en racontant la méthode «malsaine» utilisée dans l'élection de Zetchi à la tête de l'instance fédérale le 20 mars 2017, tout en dénonçant l'«ingérence» de l'ex-MJS dans le processus électoral. «J'étais membre de la commission de candidatures et je peux vous confirmer que nous avons subi une pression énorme pour permettre à Zetchi d'être élu. L'ancien ministre El Hadi Ould Ali a usé de son poids dans ces élections. Le président de la commission Ali Baâmar avait démissionné en signe de refus de ces pressions», selon des déclarations de Zerouati qui ont provoqué un tollé. Quelques jours plus tard, c'est le patron de la JS Kabylie Chérif Mellal, qui n'était pas encore à la tête des «Canaris» en 2017, lui emboîte le pas : «Je confirme les propos de Zerouati sur Zetchi, ce dernier est illégitime, il doit absolument démissionner. On ne va pas se taire. Les élections qui lui ont permis d'être président étaient truquées, les documents officiels peuvent l'attester». «Nous sommes prêts à aller le plus loin possible pour dénoncer encore la gestion malsaine de Zetchi parce qu'il est complice de beaucoup de situations. Le football algérien est gangrené par les irrégularités», a-t-il encore lâché, lui qui est interdit d'accès aux terrains et vestiaires pour une période de trois mois à compter du 25 mars pour «atteinte à la dignité et à l'honneur envers officiel de match». Autre épisode de cette «saga», les graves révélations faites par le président de l'USM Annaba, Abdelbasset Zaïm, qui a dit avoir déboursé la somme de 7 milliards de centimes la saison dernière dans l'achat de matchs pour accéder en Ligue 2. «Je reconnais avoir déboursé 7 milliards de centimes pour acheter des matchs qui ont permis à l'USM Annaba d'accéder en Ligue 2. A tous ceux qui ne cessent d'insulter ma mère, je leur dis que je ne suis pas un voleur. Si je n'avais pas mis le paquet, leur équipe serait aujourd'hui en division amateur. Le football algérien est gangrené par la corruption», a avoué Zaïm à El-Heddaf TV, créant le buzz. Le président de la Fédération internationale anti-corruption sportive (FIACS), Mourad Mazar, a «saisi» l'occasion pour s'inviter au débat, estimant que «la situation du sport national en général, et du football en particulier, ne fait que pourrir». «Je vous confirme le dépôt de plainte contre la FAF auprès du procureur de Larbaâ, car l'AG de la FAF a eu lieu à Sidi-Moussa. Une deuxième plainte a été introduite devant le tribunal de Sidi M'hamed. Elle concerne l'ex-ministre de la Jeunesse et des Sports et deux hauts fonctionnaires du MJS», a-t-il révélé. Le mouvement populaire a ainsi permis aux principaux acteurs du football algérien de se «révolter» contre une gestion de plus en plus contestée et la prochaine assemblée générale ordinaire de la FAF, prévue le 2 mai, risque de se dérouler dans un climat tendu.