Dans un récit serré, truffé d'échos littéraires, le jeune Africain-Américain Dinaw Mengestu raconte les heurs et malheurs d'un exilé éthiopien à Washington. Un roman impressionnant et prometteur. Dinaw Mengestu est d'origine éthiopienne. Né à Addis-Abeba à la fin des années soixante-dix, il a grandi aux Etats-Unis où il arrive dès l'âge de deux ans. C'est dans son expérience intime des douleurs de l'exil, de la nostalgie du pays natal (« Je continue à m'accrocher délibérément, et parfois farouchement, à un pays où je ne suis pas allé depuis vingt-cinq ans »), du racisme d'une violence inouïe dont les jeunes Noirs font encore les frais dans les écoles américaines cinquante ans après les marches triomphales pour les droits civiques, que ce jeune auteur a puisé la matière de son récit d'une odyssée spirituelle à la Dante, barde florentin auquel, d'ailleurs, l'Ethiopien a emprunté le titre de son ouvrage : Les belles choses que porte le ciel. Tiré de la Divine Comédie, ce vers devient ici la métaphore de l'Afrique à venir alors que le protagoniste de Mengestu n'a connu du continent noir que la terreur, la misère et la dérive. Protagoniste et narrateur, Sepha Stéphanos a fui la terreur rouge éthiopienne, poussé à l'exil par sa mère après que le père fut humilié, torturé et assassiné sous les yeux de sa famille. Depuis, les jours et les nuits de cet exilé qui s'est installé dans un ghetto miséreux de Washington où il tient une épicerie, sont remplis de ces pertes, celle du père à laquelle s'est greffée celle du pays. « Comment étais-je donc censé vivre en Amérique, alors que je n'avais jamais vraiment quitté l'Ethiopie ? », se demande Sepha. Un sentiment de vide et d'absence domine le récit dès les premières pages et lui donne une tonalité très sombre, éclairée seulement par des rencontres potentiellement libératrices, mais qui se révèlent être en fin de compte des impasses. Tel est le destin de la relation qui se développe entre le narrateur et sa voisine blanche qui emménage dans une des maisons décaties du Logan Circle, rénovée à coups de milliards. Universitaire prospère, Judith élève seule sa fille Naomi, onze ans, l'enfant de son mariage raté avec un économiste mauritanien, enseignant brillant mais mauvais mari et père. Mère et fille se lient d'amitié avec l'épicier éthiopien qui se révèle être un homme attentif et cultivé. En quête d'un père qu'elle n'a pas beaucoup connu, Naomi passe l'essentiel de ses loisirs dans l'épicerie de Sepha, obligeant celui-ci à lui raconter des histoires ou à lire à haute voix avec et pour elle des pages des romans qu'elle emprunte à la bibliothèque de son école. Les Frères Karamazov est l'un de ces romans. Avec brio, Mengestu a su transformer sa lecture en un moment de communion entre deux êtres à la dérive, cherchant désespérément des ancrages. « Le discours d'Aliocha que Sépha évoque à la fin du roman correspond bien, a expliqué l'auteur lors d'un entretien accordé au New York Times, à la leçon que Sépha veut faire passer à Naomi comme à lui-même, à savoir que nous cherchons tous une façon d'être sauvés de ce que nous sommes et de ce que nous sommes devenus, et qu'il est possible de trouver ce salut dans le souvenir de ce que nous fûmes un jour. » Se faisant ainsi aider par les classiques de tout temps (Dante, Dostoïevski, mais aussi Naipaul, Saul Bellow ou Joyce), Dinaw Mengestu a bâti un récit bouleversant de terreur et de réconfort impossible. Sa réussite principale est peut-être d'avoir su transformer son récit personnel, familial, local en un mythe moderne et universel de la condition humaine. Comme en témoignent ces phrases pleines d'autodérision et de compassion que prononce le narrateur en guise de conclusion : « Un homme coincé entre deux mondes vit et meurt seul. Cela fait assez longtemps que je vis ainsi, en suspension ». Les belles choses que porte le ciel, par Dinaw Mengestu. Traduit de l'américain par Anne Wicke. Edition Albin Michel, 305 pages