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Si le 1er Novembre m'était conté (IV)
Lutte de libération nationale
Publié dans La Nouvelle République le 16 - 08 - 2021

Nous sommes plus enclins à croire cette autre version de la réaction de Didouche après de telles rencontres infructueuses avec des responsables et militants de Skikda. Elle est rapportée par son agent de liaison, Mohammed Kadid, qui assistait à ces contacts: « Malgré sa déception pour ces militants, Didouche n'était pas peiné au point de menacer (de couper des têtes). Mais il réagissait devant de telles attitudes par quelque chose comme : «Ceux qui ne décident pas dès maintenant de prendre leur place dans la révolution sont condamnés demain à l'une de ces trois extrémités : mourir de la main de l'ennemi, croupir dans ses prisons, ou fuir cherchant secours auprès de la révolution». [24] Quant aux actions armées en cette zone 2, il nous faut nous contenter du maigre tableau, collationné sans aucun doute sous l'œil vigilant des services coloniaux. À peine quatre actions timides, dont l'une rectifiée quant à son auteur : «Un garde communal est désarmé.
L'action mise au compte du FLN était en fait l'œuvre d'un ivrogne...» ! Et ni Ali Kafi ni Mohamed Kadid ne nous renseigneront là-dessus, le premier n'ayant rejoint le maquis qu'après le moment solennel, le second étant plutôt préoccupé par l'exposé des questions d'organisation et de structuration de Novembre... Il est vrai que dans cette région, les hommes de l'OS ont été autant pourchassés par l'ennemi que sévèrement surveillés et limités par le CC du parti... Il n'est jusqu'à l'évasion de Youcef Zighoud qui n'ait été jugée par un membre de la Direction comme un manquement à son rôle de défenseur et d'éducateur de ses frères détenus ainsi abandonnés à leur sort ! Par ailleurs Boudiaf rappelle [25] : «Nous ne pouvions, nous passer du concours du parti pour nos moyens d'existence [...], car nous étions toujours activement recherchés [...]» Aussi, «notre travail restait-il limité ; les tentatives pour élargir notre groupe se heurtaient au réseau d'information de la direction.» Deux exemples : «Didouche qui était dans l'Est algérien avait essayé de sonder le permanent de Souk Ahras [...], qui se dépêche d'aller rapporter à Lahouel à Alger» : «C'est très grave, il y a des éléments qui intriguent pour te renverser. – Qui ? [...] – Je ne sais pas, mais il y a Didouche...» [...] «Un mois plus tard, Didouche était muté à Boghari sans la moindre explication. Même aventure pour Boussouf qui, après un mois de suspension, fut muté d'Oran à Skikda...»
Mais l'on ne doit pas oublier que ce «môle sociologique» des Babors est une région historiquement riche en potentiel de lutte...
...depuis, sans remonter plus loin, les temps de la chrétienté – où les églises étaient souvent le lieu de débats houleux au cours desquels le punique pouvait prendre la place du latin et qui se réglaient parfois par des rixes, le bâton venant appuyer le point de vue...–, ou le temps des Koutama, qui ont été le bras séculier de l'épopée fatimide et la fondation là-bas, du Caire et d'Al Azhar... ...jusqu'à la part qu'ils ont prise, en tant qu'Algériens, dans la libération de la France qui les en a «remerciés» par l'infâme geste de mai 1945... Il y a aussi et surtout, de la part de cette région sinistrée, sa contribution inestimable au fol défi de rétablir le mouvement national, de le sortir de sa prostration et même de le radicaliser. Ainsi, a-t-elle protégé l'immense effort de Belouizdad Mohamed pour redonner vie au parti dans cette wilaya de Constantine, dans tout l'est du pays. Conquise par sa totale abnégation, son énergie incroyable dans un corps qui va s'épuisant à vue d'œil, elle l'a entouré de son affectueuse sollicitude ; elle l'a aidé à retisser les liens [26], et surtout à former des hommes : des militants armés du même esprit de résistance et d'abnégation, qui vont – au moment où se cristallise l'idéologie réformiste à la tête du parti, – peser pour doter le mouvement national du cœur indépendantiste battant, l'OS, qui le transmutera en mouvement de libération... Telle est cette région où, s'il a pu croire régenter et brider la «dangereuse» activité de ces hommes, l'appareil du CC n'a pu réussir, comme dans l'Algérois, le blocage de la base du parti... ni d'ailleurs les responsables liés à Messali n'ont pu la rallier à leurs vues. Si l'on en croit Brahim Chergui, alors chef de la wilaya MTLD de la région, une réunion de «l'ensemble des comités de kasmas du Constantinois» a été tenue en avril 1954, «sous les auspices des chefs messalistes Mezerna et Moulay Merbah», à Rahbat es-Souf, siège de la wilaya...». «Etaient présents beaucoup de chefs de daïra» ... dont «la plupart [...] étaient plutôt anti-messalistes. On ne pouvait hélas dire autant de l'encadrement des kasmate» [27], précise-t-il... Il mentionne certains des chefs de daïra, ceux de Constantine, «M'hamed Bougara, futur colonel Si M'hamed», et de Batna, Chihani Bachir... et d'autres, de Annaba, Biskra, Sétif, Skikda – dont on peut se demander pourquoi ils n'ont pas laissé de traces repérables dans le mouvement de libération nationale, comme les deux cadres ici cités [28]... N'est-ce pas parce que ce corps de dirigeants, cet appareil du CC va être gelé, comme posture stratégique pour peser sur les destinées du mouvement de libération dont le CC ne peut empêcher le lancement ? «Atmosphère houleuse» de l'assemblée, dit Chergui, qui explique que, pour court-circuiter la pression des chefs messalistes, il avait soufflé au chef de «la kasma de Skikda, la plus importante d'Algérie par ses effectifs», d'adopter, vis-à-vis de ce différend au sommet, une posture de neutralité de la base, celle-ci n'étant pas compétente pour choisir ; posture qui a été acclamée par l'assemblée... Mais si cette «astuce» a pu faire échouer l'offensive volontariste des dirigeants messalistes pour s'accaparer la base du parti aux dépens du CC, elle n'a pas profité pour autant à ce dernier... Des luttes intenses vont conditionner le comportement des kasmas de la région et de leurs militants sur la question de la « neutralité »... à l'exemple de celle d'El Harouch dont nous arrive l'écho des différends qui opposent ses dirigeants, à travers ce qu'en relatent M. Kadid et A. Kafi, membres du comité de la kasma, (cf. leurs écrits déjà évoqués) et M. Harbi, observateur attentif, qui a recueilli le témoignage de M. Kadid sur «l'organisation du Mtld à El Arrouch à la veille du 1er novembre 1954» [29]. On s'est disputé sur les cotisations des militants : à quelle instance les remettre ? sur la participation ou non aux congrès des deux tendances... La direction de la kasma se scinde sur ces deux questions, Kadid défendant la position « neutre », avec Belkacem Benghersallah, au nom des sections rurales (la base la plus nombreuse de la kasma), contre les autres membres (Y. Boukadoum M. Brahim, S. Hassani, A. Kafi, H. Mehri)...
Le climat dans la région à la veille de Novembre...
Selon M. Kadid[30], début juillet, «l'organisation rurale rejoint intégralement le CRUA» et commence à mettre sur pied un noyau armé, dont Zighoud prendra la direction. Dès après leur réunion, ceux, parmi les 22, en charge de la région rejoignent Constantine... Les hésitations de certains d'entre eux «provoquent des mutations au sommet, Didouche remplace Bitat à la tête du nord-Constantinois. Mais avant son arrivée, on procède à la répartition des tâches...» «Didouche n'a eu aucune difficulté à être au fait de la situation générale de l'organisation du parti, notamment celle des anciens de l'OS, du fait d'en avoir été responsable par le passé.» [31] Abdesslam Bakhouche et Kadid se déplacent à Constantine pour en reconstituer l'organisation, en appui sur Si Messaoud Boudjeriou (qui sera lié alors à El Arrouch). Fin septembre-début octobre les responsables de la région se réunissent [32] à Smendou pour préparer l'action armée. «En fait d'armes, nous ne disposions que de quelques statis italiens» cachés après la découverte de l'OS. «El Arrouch avait six fusils statis en mauvais état...» [33] Il y avait donc plus de foi et de volonté que de moyens... et l'ennemi le savait. Aussi suivait-il avec préoccupation la métamorphose de cette région, la vitalité incroyable de son mouvement national pourtant anéanti il y a moins de dix ans. Ne pouvant parier sur la pression policière sur le parti légal (MTLD), pour la neutralisation du mouvement, il dépêche sur «... le Nord-Constantinois, la région où le FLN [...] (dit-il, est) le mieux implanté», un de ses «spécialistes des coups tordus», Aussaresses ! que nous avons évoqué plus haut et qui confirme ainsi le diagnostic organique du MTLD, tout en précisant le genre de travail qu'il était chargé de mener. Ainsi, une guerre dans la guerre est engagée là, comme partout à travers le pays. Mais là, pour des raisons qui n'intéressent pas notre propos, l'officier préposé pour la mener a écrit sur les basses œuvres qu'il a exécutées pour accomplir la volonté politique des dirigeants de l'Etat français de détruire le FLN dans la région. Sans trop s'étaler comme il l'aurait certainement voulu, il en a cependant assez dit pour que l'on ait une idée de la besogne dont il s'est chargé. Ce «spécialiste des coups durs, des coups tordus» raconte : «On commençait à envoyer des nettoyeurs et j'en faisais sûrement partie. Il fallait identifier ses dirigeants [du FLN], les localiser et les éliminer discrètement. Obtenir des informations sur les chefs du FLN me conduirait forcément à capturer des rebelles et à les faire parler...» [34] Il nous semble clair que le terme «discrètement» explique la pauvreté du tableau des actions dans la région que les historiens et l'opinion publique ont eu à se mettre sous la dent. La «discrétion» dont il fait preuve concerne la carte blanche que lui donne sa République impériale et démocratique ; elle le couvre pour ce qui est des méthodes et moyens pour «faire parler» ceux qu'il «capture». Il laisse au romancier de guerre, Lartéguy, de le dire plus crument par la bouche de Boisfeuras, son officier – «nettoyeur», pour qui les rebelles, c'est la population de la dechra qu'on «fait parler» jusqu'à forcément découvrir la voie qui mène aux chefs FLN... Il lui prête même le personnage de Benghersallah, le responsable novembriste, avec Kadid, de la kasma d'El Harrouch, qui lui a donné du fil à retordre... Et qui l'a impressionné : «Il ressemblait à Alain Delon» [35], dit-il, ce qui avait fait chavirer le cœur de la sœur du maire pied-noir de Aïn Bouziane qui l'a harcelé de ses assiduités, au point qu'afin d'y échapper, il a dû quitter, avec sa petite famille, ce bourg pour El Harrouch. Le personnage qu'en fait Lartéguy est affublé du même qualificatif de «proxénète» collé au jeune responsable par Aussaresses ! Ainsi, l'officier- «nettoyeur» a la grande latitude de peaufiner la méthode pour s'acquitter de sa besogne. Grâce à quoi il «s'illustrera» plus tard, avec d'autres «nettoyeurs» de son acabit réunis dans la Capitale pour ce dont ils ont pensé se glorifier, leur «bataille d'Alger»... Là, au grand jour, à la lumière de «l'aveuglant soleil de la torture» désormais «au zénith, [qui] éclaire tout le pays» [36] ! On peut imaginer le nombre de suppliciés et de morts sous la torture pour préparer la tâche à l'armée française de surprendre sans danger le grand Badji Mokhtar dont la mort au champ d'honneur à la mi-novembre ! est tue dans le bilan. À ses côtés est tombée, les armes à la main, la première chahida de la guerre de libération, Chaïb Dzaïer. Et sans cette même préparation mortifère, Ducourneau n'aurait jamais pu «avoir» l'immense Didouche... dont les nécessités de la propagande n'ont pas permis d'escamoter le sacrifice pour un bilan minimisé... Voilà l'épreuve qu'a à affronter la petite équipe en charge de la lutte armée lancée dans la région... Et même si le général-«barbouze» lui porte, sans risque, des coups sévères, il ne peut, malgré ses vantardises empêcher la région de réussir son entrée en guerre de libération et de donner, quelques mois plus tard, la grande leçon politique du 20 août sur le sens cette guerre et sur le peuple héroïque qui la supporte...
Le 1er Novembre en zone 5 (Oranie)
Là, le tableau évoqué plus haut relève trois actions, ou plutôt trois localisations d'actions, toutes significatives. D'abord, Oran. C'est le chef-lieu du département ouest du pays où, à côté d'un gros colonat bien présent, avec L'Echo d'Oran de P. Lafont comme porte-voix régional, il y a «l'Algérie française» populaire, celle des pieds-noirs... de ce fait, Oran est le pendant de la Mitidja des gros colons. Mais Oran est aussi une base importante du nationalisme indépendantiste, PPA-MTLD... animée par des militants issus de la localité-même ou des autres villes du département : Aïn-Temouchent (dont la kasma est, après Skikda, la plus importante du parti), Mascara, Mostaghanem, Sidi-Belabbès, Tlemcen)... Oran a déjà, en 1949 [37] ! organisé et réussi une première action armée, le hold-up de la poste de la ville, où on s'est procuré des moyens financiers, le nerf de la guerre !... Mise au point par Aït Ahmed et Benbella, cette opération a été exécutée par un groupe d'«ossistes» issus de différentes régions du pays. Oran confirmait là le mûrissement de la conscience nationale et de l'idée de l'action armée pour laquelle l'OS a été créée...
Mais un an après, c'était la catastrophe !
Oran allait accueillir et protéger, dans son background suburbain ou plus profond, ceux des militants de l'OS – locaux ou des autres régions –, recherchés depuis la répression et la traque policières (poursuites, tortures et procès retentissants) de 1950[38]... Signalons que, parmi les 48 hommes de l'OS arrêtés en Oranie et déférés devant les tribunaux lors d'un des maxi-procès visant autant à terrasser cette «OS» secrète qu'à intimider le parti légal, rappelons la personnalité marquante et prometteuse de Hammou Boutlélis : il est condamné à la plus lourde peine : 6 ans de prison, autant d'interdiction de séjour et privation des droits civiques. Il ne verra plus la liberté. La veille de sa libération, fin 1957, on lui annonce qu'il est libéré et qu'on vient le chercher pour cela : les officiers- «nettoyeurs», vigilants, sont passés par là ! Nombre d'entre ces hommes mangeront – lors des missions, souvent punitives, ici ou là.
(A suivre)


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