À son ami René, mais en fait aux générations montantes, Kamel Bouchama rappelle ce qu'entraîna l'acte odieux adopté par le Parlement français en janvier 1830. Hélas, cinq mois après, les hordes colonialistes, commandées par de Bourmont, débarquaient sur la presqu'île de Sidi Fredj, amenant ainsi l'Algérie à engager une lutte incessante pour son indépendance... L'avenir, dit l'auteur de « Lettre à René » en filigrane, appartient aux peuples qui le construisent ensemble, une fois soustraites les lourdeurs du passé. Là, où notre vieille garde militante n'a pas cru bon devoir consigner son témoignage, ce livre vient au bon moment. Il devrait de ce fait, être mis entre les mains de tous les jeunes. Ecrire un livre qui traite d'une amitié recèle autant de charges émotionnelles. Les souvenirs d'enfance se bousculent dans une mémoire tatouée, meurtrie, ensanglantée par une féroce oppression coloniale vécue. Kamel Bouchama appartient à cette génération qui, encore enfant, a vu passer les affres de la colonisation. Quarante-quatre ans après l'indépendance, il essaie de reconstituer au travers d'une lettre à un ami le sens à donner à l'Histoire. Le droit et la morale, l'inconcevable aberration de l'appareil colonial qui a voulu effacer l'âme d'un peuple, d'une Nation combien de fois millénaire de grandes civilisations. Avec des mots simples et pleins d'intensité, l'auteur restitue la réalité des événements vécus. Point de répudiation de la vérité. L'auteur rejette la fausse interprétation politique de l'histoire qui peut pousser à la dérision. Dans les obscurités politiques de certains nostalgiques d'un passé révolu, Kamel Bouchama va au fond des choses en réclamant haut et fort à travers cette «Lettre à René», ce que colonisation veut dire. Les inégalités, les désastres, la misère, la spoliation des terres, l'atteinte à la dignité humaine, la torture, bref toute la perversité, la grande folie de la colonisation. Une Nation peut sortir grandie aux yeux du monde en reconnaissant ses erreurs. Kamel Bouchama veut rétablir la vérité historique, loin de tout ressentiment. Le sens, la vérité, c'est finalement l'atteinte à l'identité d'un peuple. C'est effroyable, c'est tragique pour un peuple qu'on veut dépecer de sa culture et de sa foi. Le sens ou l'absence de sens se découvrent dans la réalité d'ordre historique. C'est avec un style clair qui confirme d'ailleurs la sincérité de l'auteur que « Lettre à René » apparaît comme un appel à la raison, à la conscience. Avec l'honnêteté intellectuelle affichée, sans hypocrisie ni mensonge, l'auteur par cette lettre décrit un contexte qui surgit au recul du temps et qui ouvre les horizons des espérances. L'esprit libre de l'auteur et le courage de dire à son ami René, la vérité rien que la vérité. C'est comme chez Racine, sentant son âme déchirée entre le bien et le mal s'écriait : « Mon Dieu ! Quelle guerre cruelle !». Le temps est à la repentance. C'est un acte qui fait triompher la raison, celle qui scellera la concorde et la réconciliation retrouvées entre les peuples. C'est au creuset de l'épreuve que se forge une amitié nouvelle, plus profonde, plus raisonnée. «Lettre à René» intervient dans le débat après l'adoption de la Loi du 23 février 2005 et qui restitue les faits de l'Histoire vraie. Cette Histoire, il faut l'assumer loin des rancœurs mais dans le sens des responsabilités face au devoir de mémoire. N'est-ce pas les propos du Président Français récemment lors de l'inauguration à Paris du musée Branly consacré aux Arts premiers et d'insister sur l'hommage de la France à : «des peuples auxquels, au fil des âges, l'Histoire a trop souvent fait violence. Peuples brutalisés, exterminés par des conquérants avides et brutaux. Peuples humiliés et méprisés, auxquels on allait jusqu'à dénier qu'ils eussent une Histoire». Voilà donc un livre que je recommande de lire afin de faire passer le message aux générations des deux rives de la Méditerranée pour que les peuples aspirent aux idéaux de paix, de liberté et de dignité. Construisons cet avenir ensemble en symbiose dans cette zone de prospérité partagée. Le destin des grandes Nations ne sera forgé dans l'honneur que si elles reconnaissent leurs erreurs, convaincues des devoirs que leur impose l'Histoire. Ce livre, je l'écris sous la forme d'une lettre que j'adresse à un ami, René, de l'autre côté de la Méditerranée. Mais au juste, qui est René ? Tout simplement, un Français, que mon imagination a choisi comme un ancien élève dans ma classe, pendant la colonisation, et député à l'Assemblée nationale française, présentement, pour être le destinataire de cette longue lettre. Je lui écris donc, parce que j'ai effectivement connu plusieurs élèves français, dans le cycle du primaire – nous étions réunis, dans notre école – et ce prénom m'est venu comme cela, par hasard. Peut-être parce que j'ai pensé à l'un de ces nombreux René, au moment où je cogitais cet écrit pour le jeter au pied des reîtres qui nous poursuivent et nous font découvrir le grotesque et le tragique, chaque fois qu'ils s'expriment sur l'immensité de l'épopée algérienne ? En effet, j'écris à René, après avoir compris, à la lueur de ces «sémaphores», qui brillaient de toutes allusions menaçantes, et à travers l'outrecuidante caricature répressive de l'hégémonie du colonialisme, qui se caractérise par de subtiles promesses de domination, que ces derniers (les reîtres) s'imaginent dans leur rêve d'autres «flottes et les clones du général de Bourmont «redébarquer» à Sidi-Fredj». Cette lettre ainsi rédigée, je la transmets au «supposé» député de l'Assemblée nationale française, pour lui dire que les positions et déclarations arrogantes et offensantes, qui se répètent, de la part de quelques nostalgiques de «l'Algérie française», à l'encontre d'une période historique que le colonialisme nous a imposée, depuis l'autre rive de la Méditerranée, ne doivent pas nous laisser insensibles. Assurément, nous ne pouvons afficher une indifférence, accepter le fait accompli et, peut-être même, demander pardon à ces coupables de triste mémoire, dont les leurs ont été «victimes du destin» pendant cette affreuse guerre qui a tant coûté à nos deux peuples. Notre réaction est tout à fait normale et légitime. Notre colère le serait davantage, si elle venait à nous saisir, car on ne peut, dans des circonstances pareilles, ne pas nous rappeler les épreuves que nous avons subies pendant plus d'un siècle, sous un régime qui n'avait aucune considération pour les «êtres humains» que nous sommes et les «citoyens dignes» que nous avons toujours été, car ce fut un régime qui affectionnait l'esclavage, l'oppression, l'horreur, la misère et l'atrocité. Quelle idée extravagante que de se délecter de capacités nuisibles et destructrices ! Je lui explique que nous ne pouvons être complaisants, en essayant d'occulter ou de faire taire le passé, sous prétexte que nous avons tourné la page et que nous nous préparons à signer un certain «traité» qui est certes d'une grande valeur morale et politique, mais qui peut nous rendre amnésiques au point de ne plus nous exprimer franchement, hautement, sur notre glorieuse Révolution, ou encore mieux, de ne plus l'enseigner à notre jeunesse. En effet, nous ne sommes pas complaisants et nous réclamons, avec calme et lucidité, ce qu'exigent naturellement, en pareil cas, tous les peuples qui ont eu à supporter la lourde facture des tragédies de l'oppression colonialiste. Je lui explique également, pour qu'il en soit bien convaincu, que si la France d'alors – coloniale, bien entendu – a occupé l'ensemble de notre territoire, c'est parce qu'elle a utilisé, plus que les envahisseurs que nous avons connus, avant elle, des «procédés» inhumains et indignes que n'ont jamais vécus les Algériens depuis leur existence. En effet, elle a utilisé plus de sauvagerie lors de ses attaques que ne l'ont utilisée l'escadre anglaise de lord Exmouth et celle de l'amiral Van Cappelen qui pénétra dans le port d'Alger en jetant 34.000 projectiles (en l'an 1816) ou celle de l'amiral Neal, quelques années plus tard. De la sauvagerie et du mal incommensurable qu'endurait notre peuple pendant cette période sombre de son Histoire..., nous pouvons en parler à satiété ! Et pour la bonne compréhension de cette longue correspondance que je lui adresse, en trois parties bien distinctes, mais en réalité complémentaires, tellement les sujets s'imbriquent, je mets l'accent sur la «dramatique tragédie» que nous avons subie de la part du colonialisme qui a tout «ordonné» dans le but de saborder notre unité territoriale d'abord, et d'entamer notre climat culturel et spirituel, ensuite. En effet, j'insiste, tout au long de mon écrit, sur cette dramatique tragédie où il fallait nous diviser pour nous affaiblir, pour susciter en nous toutes sortes de mésentente et pour nous pousser à vivre de chicanes et d'obscurantisme afin de mieux nous dominer. K.B Sous le titre ô combien révélateur : «T'expliquer amicalement...», l'écrivain et talentueux critique littéraire Kaddour M'Hamsadji relevait, avec brio, dans le quotidien national «L'Expression» : Kamel Bouchama tente, sans donner de leçons ni même de cours, l'expérience pratique du militant hautement cultivé et fort pédagogue auprès de qui, comme à l'école du soir, viendraient, librement pour «apprendre et comprendre», les adultes qui seraient en quête de vérité sur leur vécu en Algérie, terre de toute façon foncièrement étrangère pour eux, car terre conquise par les armes – puis reconquise par les armes –, car terre meurtrie par les tout premiers pionniers de la colonisation et par leurs suivants. À cet effet, Kamel Bouchama adresse une longue lettre à René... Il l'invite à connaître et, petit à petit, à reconnaître, peut-être – nous le saurons bien s'il y a une réponse de quelque René réel de France –, les erreurs commises dans le contexte de la colonisation par les prétendus pacificateurs de l'ordre colonial français... Autrefois, en Algérie..., ainsi aurait pu commencer la relation épistolaire avec René. Deux camarades de classe ; et sans aucun doute, deux bons camarades, assis à la même table, suivent les mêmes cours, les mêmes leçons. Aujourd'hui, l'un est toujours Français et vit quelque part en France ; l'autre est enfin officiellement Algérien et vit toujours quelque part en Algérie... La perfection de l'auteur, sa tendance à la perfection, est d'être conscient du rouge qui lui monte ou qui ne lui monte pas au visage, sinon le camarade de l'autre côté de la mer, ici ou là-bas, n'a pas de raison d'avoir raison. Rappeler un passé fait de souffrance et de misère pour comprendre que l'Algérie s'est résolument tournée vers le progrès, c'est instaurer un débat, établir des rapports sereins entre mémoire et histoire, entre deux peuples baignés par la même mer, la « Méditerra-née », berceau de chaleur humaine, de civilisation, de beauté et de bonté. C'est tout à fait par-là que sincèrement, honnêtement s'ouvrent les portes de l'avenir entre Français et Algériens...