Les origines du blues remontent à l'arrivée des esclaves noirs sur les côtes de Virginie, au début de XVIIIe siècle. Pour tout bagage, ils apportent leur culture orale (qui associe musique, chant et danse) et quelques instruments : tambour, balafon (xylophone africain) et banjar (ancêtre du banjo). Les grands propriétaires voient d'un mauvais œil les danses, jugées lascives, et interdisent les tambours, suspectés de servir à lancer des messages. En revanche, « un noir qui chante est un bon noir», ont-ils coutume de dire, alors ils autorisent les esclaves noirs à se créer un autre exutoire, d'autres formes musicales. Cela était sensé donner du cœur à l'ouvrage et rendre les esclaves plus productifs. Ceux-ci inventent alors les worksongs et les field hollers, mélopées rythmant les travaux de plantation. Le blues est né dans les champs de coton du sud des Etats-Unis d'Amérique. Il est le chant des esclaves, un chant de travail et un chant de repos. Il aide à supporter le poids du travail et la condition d'esclave. Il est aussi un mode d'information, via le chant, on communique entre fermes voisines. Le blues exprime certes la douleur et la tristesse mais aussi l'espoir et le divin, il raconte aussi la vie triviale. Hors des champs, le soir, certains esclaves ayant un instrument animent les veillées. Ces instruments viennent parfois des maîtres blancs, parfois l'esclave a pu se les acheter ou se les fabriquer. Certains affranchis vont de ferme en ferme et, à la manière des griots africains ou des troubadours, transportent les informations. On ignore souvent ce rôle informatif du blues car il n'y a que peu de traces écrites ou orales de ces chants. N'ont survécu que les chansons et les refrains plus intemporels. C'est avec ces chanteurs itinérants que le blues quitte le Sud pour monter vers le Nord à Chicago, ou bien vers l'Ouest en Californie. Plus tard, une autre vague «migratoire» conduira les noirs des champs du Sud aux usines du Nord. L'espoir des esclaves n'est pas seulement dans le blues, il est aussi en Dieu et nombre de blues expriment cette foi notamment dans ce que l'on nomme gospel ou negro-spiritual. La mélancolie noire La définition formelle du blues est simple : une structure harmonique invariable sur un rythme souvent lent à quatre temps. «C'est le schéma régulier à 12 mesures et vous brodez là-dessus», expliquait le bluesman T-Bone Walker (1910-1975). Le blues signifie également un état d'esprit que l'on traduit imparfaitement par mélancolie, cafard ou, mieux, spleen. «Aucun homme blanc n'a jamais eu le blues», affirmait Leadbelly (1885-1949), l'un des pionniers de ce genre né d'une expérience qu'un Américain blanc, n'ayant pas d'ancêtre esclave, n'ayant pas subi le racisme du Sud ou connu les ghettos du Nord, ne peut avoir. Les évolutions multiples du blues aboutiront au jazz et au rock. Les influences et la rhétorique du blues Le blues tire une part de ses influences de la musique occidentale. Les instruments de musique d'origine africaine étant rares et parfois proscrits, les esclaves se sont très tôt approprié le violon et les genres musicaux des colons européens de l'époque, en particulier ceux originaires de l'Europe de l'Est (polkas, mazurkas, valses). Ils les ont ensuite transformés en y ajoutant leurs banjos et leurs percussions. Les ménestrels, interprètes de ce métissage musical, obtiennent au milieu du XIXe siècle un certain succès auprès du public noir et blanc. Mais, outre le folklore, c'est essentiellement le choral religieux qui influera sur le blues. La diffusion de la mélancolie À l'origine, le blues est implanté dans les régions de peuplement afro-américain, dans le Sud rural des Etats-Unis. Il suivra ensuite le peuple noir dans ses migrations vers les zones urbanisées du Nord. Avant d'essaimer sur l'ensemble du territoire nord-américain, il est parti du delta du Mississipi. Et c'est dans ce berceau, qu'il conserve aujourd'hui encore sa forme la plus traditionnelle. Un grand nombre de figures emblématiques sont originaires de cette région : les pionniers Charley Patton (1887-1934), Big Joe Williams (1903-1982) et des légendes vivantes comme B.B. King (né en 1925). Au début du 20ième siècle, le blues se développe dans d'autres parties du Sud. Là où il s'implante, il prend des formes spécifiques. Ainsi, en Louisiane, l'accordéoniste Clifton Chenier (1925-1987) lui donne des accents de la culture cajun, héritée des colons français. Le Texas fournit un important contingent d'excellents musiciens : Blind Lemon Jefferson (1897-1930), Leadbelly, T. Bone Walker. Enfin, deux villes, Saint Louis dans le Missouri et Memphis dans le Tennessee, constituent deux creusets importants du blues. Entre les deux guerres mondiales, le blues obtient de plus en plus de succès, notamment grâce à la naissance de l'industrie du disque et à l'essor de la radio. Ainsi, Crazy Blues de Mamma Smith est le premier blues enregistré (le 14 février 1920 à New York). Cette audience sur l'ensemble du territoire est due au départ massif des Noirs vers les zones industrielles du Nord. Chicago, qui dispose de studios d'enregistrement et de radio, en devient le principal centre de création. Le blues connaît son apogée au début des années 1930, avant d'être supplanté par le jazz. Le Saint Louis Blues (1925) de Bessie Smith (1895-1937), accompagnée par Louis Armstrong, en marque la transition. Avec le temps, le blues installe ses règles, s'enrichit de rencontres, s'urbanise (surtout à Chicago) tout en restant l'expression d'un peuple opprimé, en lutte, car si l'esclavage est aboli, il est remplacé par la ségrégation raciale. En 1944, les G.I. débarquent en Europe, on sait bien sûr qu'ils apportent dans leur bagage le jazz, mais on oublie que celui-ci n'est pas arrivé seul et qu'il vient avec ses racines : le blues. En 1951, Big Bill Broonzy sera le premier à donner un concert de blues en France, c'est le point de départ de ce que l'on baptisera le blues revival avec notamment l'harmoniciste-guitariste John Mayal (auprès de qui débuteront Eric Clapton, Peter Green et le futur Rolling stones Mick Taylor). Dans les années 70, le blues passe en arrière-plan, supplanté par la soul et le rhythm & blues, mais dès les années 80, il revient au premier plan, dans un format plus rock, plus électrique avec des artistes comme Robert Cray et Stevie Ray Vaughan. Aujourd'hui, le blues est toujours présent grâce, entre autres à Popa Chubby, Tino Gonzales, et Jonny Lang. Le blues est même entré dans l'univers de l'électro-music avec Moby. Après la Seconde Guerre mondiale, Chicago demeure la capitale du blues avec des interprètes comme Muddy Waters (1915-1973), Willie Dixon (1915-1992), Otis Spann (1931-1970) et Howlin Wolf (1910-1976). C'est sous l'influence de ces artistes, que de jeunes musiciens blancs, tels que les Rolling Stones, Elvis Presley ou Janis Joplin, inventent le rock'n roll. Mais le blues a su survivre à ses multiples évolutions, et l'art de B.B. King, de John Lee Hooker ou de Buddy Guy, prouve que le blues est toujours bien vivant.