Les murs de Wynwood, à Miami, se visitent aujourd'hui comme un musée à ciel ouvert. Un musée du graffiti payant où des milliers de touristes défilent pour se prendre en selfie devant d'immenses fresques murales. Au risque, selon les puristes, de nuire à l'authenticité de ces « Wynwood Walls ». Il est vrai que ces fresques n'ont plus rien de sauvage. Elles sont souvent commandées par de grandes marques ou des hôtels de luxe qui ont investi ce quartier. Depuis une quinzaine d'années, Wynwood est frappé par une forte gentrification. À tel point que ses fameux murs sont aujourd'hui inaccessibles aux artistes pionniers qui ont pourtant fait la notoriété de cette ancienne friche industrielle à partir de la fin des années 90. C'est l'un des quartiers de Miami les plus visités. Ici, tous les murs, tous les bâtiments, toutes les rues sont tapissées de fresques murales peintes à la bombe. Nous sommes à Wynwood, un des hauts lieux du street art aux Etats-Unis. Aujourd'hui, la visite est assurée par le grapheur Luis Valle, figure historique des « Wynwood Walls ». Ce grapheur est arrivé de New York à la fin des années 90, il avait alors une vingtaine d'années. C'est à cette époque que cette friche industrielle, située en plein cœur de Miami, est devenue le terrain de jeu favori des grapheurs comme Luis Valle. « C'était un quartier complètement déshérité. Il y avait beaucoup de violence et beaucoup d'entrepôts en ruine. C'est pour cette raison que nous sommes venus ici. Là-bas, il y avait une usine RC Cola qui a fait faillite. Le bâtiment était à l'abandon. Et nous, gamins, on a commencé à faire des graffitis à l'intérieur. On pouvait le faire sans risque, sans que la police nous remarque. Et puis à la frontière de Wynwood, il y a l'autoroute N95. Et ça, c'était l'une des rues les plus mythiques du graff. Les meilleurs artistes venaient peindre sur ces murs en face de l'autoroute. C'était le « Wall of Fame » de Miami. Seuls les tout meilleurs peignaient sur ce mur. » Les artistes obligés de fuir le quartier Mais aujourd'hui à Wynwood, on croise surtout des touristes qui visitent les fresques murales à bord de Gold Cart électriques et s'arrêtent pour des selfies devant des murs peints à la demande de grandes marques. L'esprit pionnier du « Wynwood underground » paraît lointain. Il a même « complètement disparu », regrette Luis Valle, à cause, dit ce grapheur des tout débuts, de la gentrification extrême de Miami. « L'esprit de Wynwood a complètement disparu. C'est une coquille vide qui a perdu son âme. Autrefois, je pouvais débarquer ici à l'improviste et je savais que j'allais passer un super moment. J'allais croiser des amis, partout il y avait des grapheurs en train de peindre sur les murs. À un moment, il y a eu près d'une centaine de galeries d'art ici. Aujourd'hui, plus aucun artiste n'a son studio à Wynwood. C'est beaucoup trop cher. » En quelques années, avant même le Covid, les prix de l'immobilier ont explosé à Wynwood. Le quartier est devenu inabordable pour les artistes. La gentrification les a tout simplement fait fuir. C'est d'ailleurs ce qui est arrivé à Luis Valle en 2015. «J'ai ouvert une galerie ici en 2011. J'ai dû la fermer en 2015. Le loyer n'arrêtait pas d'augmenter. En 2011, on louait un entrepôt de 5000 m2 pour 2500 dollars par mois. Aujourd'hui, ce même endroit se loue entre 30 000 et 40 000 dollars par mois. C'est juste intenable. Alors aujourd'hui, c'est beaucoup plus dédié aux affaires ici, beaucoup de touristes viennent, beaucoup d'entreprises. La loi de la rue ne s'applique plus. C'est presque devenu un Disneyland pour fresques murales. » Et pourtant, contre toute attente, Luis Valle ne voit pas forcément cette gentrification des murs de Wynwood d'un mauvais œil : « C'est le revers de la médaille dans un sens. C'est vrai, l'âme de Wynwood a disparu. Mais en même temps, ça aide des artistes comme moi à se faire connaître et à vivre de leur art ». Le street art accaparé par les grandes marques Changement d'époque : autrefois, Luis était pourchassé par la police pour ses graffitis, aujourd'hui il est payé des milliers de dollars par de grandes marques ou des hôtels de luxe pour décorer leurs murs. « Parfois, il faut savoir danser avec le diable », avoue-t-il. Et pour appuyer son propos, le grapheur nous amène devant la façade d'un bâtiment d'une trentaine de mètres de hauteur. Là, perché sur une grue mécanique, un artiste est en train réaliser un immense portrait en hommage au footballeur Lionel Messi qui vient d'intégrer l'Inter Miami, l'équipe de foot de la ville. « Voilà comment ça se passe aujourd'hui. Cette fresque de Lionel Messi est une commande de l'équipe de foot de David Beckham. Et ça, c'est bien pour l'artiste parce qu'il est payé pour son art. Je dirais 20 ou 30 000 dollars au moins. Enfin, j'espère pour lui.» Et il en va ainsi de la plupart des fresques de Wynwood, qui sont aujourd'hui commandées par des grandes enseignes. Luis Valle garde néanmoins un petit espoir de trouver un meilleur équilibre entre cette gentrification et l'essence originelle de Wynwood.