civilisation, le refus d'une demande en mariage peut provoquer de la part de l'homme qui s'estime offensé des réactions saugrenues ou sanguinaires, c'est-à-dire insolites ou assassines, voire les deux : sanguinaire et saugrenue, autrement dit «sangrenue». A priori, il n'y a pas qu'en Algérie que le refus d'une demande de mariage formulée par un homme à une femme suscite une réaction irrationnelle. Une riposte à la hauteur de la «rebuffade vexatoire»essuyée. En revanche, si en Algérie, elle prend parfois la forme d'une exécution sommaire perpétrée sans autre forme de procès, matérialisée par la mise à mort de la femme jugée sentimentalement récalcitrante, ailleurs, notamment à Singapour, elle emprunte la voie judiciaire pour faire condamner la prétendue coupable, accusée de «perfidie conjugale». C'est la mésaventure insolite rapportée par la presse, notamment le journal local de Singapour, The Straits Times. En effet, un homme résidant à Singapour décide d'attaquer en justice une femme pour avoir refusé de se mettre en couple avec lui. Il la poursuit en justice pour «traumatisme émotionnel». Le Singapourien, inspiré probablement de la pensée de Nietzsche pour qui «la femme n'est pas encore capable d'amitié : elle ne connaît que l'amour», a dû également lire l'œuvre de l'humaniste mais néanmoins misogyne Jean Jacques Rousseau, qui soutenait, dans son livre Emile, que «La femme est faite pour céder à l'homme et pour supporter même son injustice». Y compris ses sollicitations maritales abracadabrantesques. Ses caprices sentimentaux saugrenus. Ses désirs lubriques capricieux. Ses fantasmes démentiels phallocentriques. Dans la logique de l'homme machiste, donc islamiste : ce n'est pas «l'homme propose, et la femme dispose», mais l'homme ordonne, et la femme s'incline. Pour autant, faute de l'étrangler à l'algérienne selon le mode opératoire islamiste, en lui coupant la respiration, le singapourien préfère l'étrangler financièrement en réclamant plus de 3 millions de dollars singapouriens (2 millions d'euros actuels) de dommages et intérêts à son amie (qui a déclaré qu'elle ne le voyait que comme un ami), pour avoir porté atteinte, selon les accusations de l'homme éconduit, à son «excellente réputation». De son côté, la femme a déposé une plainte pour harcèlement à son égard, et obtenu une procédure d'éloignement. Leur amitié a commencé sur les chapeaux de roue en 2016. Les deux tourtereaux se côtoient amicalement durant plus de 4 ans, sans aucun dérapage, ni déviation sexuelle, ni écart de conduite. En 2020, leur relation prend un virage sentimental inattendu, mais à sens unique, emprunté imprudemment par l'homme soudainement affecté d'érotomanie, cette conviction délirante d'être aimé. En effet, l'érotomanie est un trouble psychologique délirant qui se caractérise par la conviction chez un individu qu'il est aimé par un autre. La personne érotomane s'imagine que tous les gestes et paroles de son «ami(e) sont des preuves d'amour que l'autre lui envoie. En général, la personne érotomane éconduit peut céder à la rancune, puis à l'agressivité, voire au meurtre». Ainsi, dans le cas de ce Singapourien, début de «l'embardée amoureuse». Alors que la défenderesse ne considérait le demandeur que comme un «ami», il la considérait, quant à lui, comme son «amie la plus proche», indiquent les documents judiciaires, comme le rapporte le Guardian, quotidien britannique. Un désalignement «des relations, donc, poursuit l'accusation, dont le plaignant se serait bien passé. La jeune femme lui signifie qu'il lui faut prendre ses distances, mais reçoit deux jours plus tard une mise en demeure, la menaçant de poursuites judiciaires pour «dommages pécuniaires résultant de l'infliction par négligence d'une détresse émotionnelle et d'une éventuelle diffamation». L'homme éconduit, procédurier, estime avoir «subi un manque à gagner sur ses revenus et ses partenariats commerciaux, ainsi que des frais engagés dans des programmes de réadaptation et de thérapie pour surmonter le traumatisme». À propos de l'issue du procès, à ce jour, on ignore le verdict rendu par le tribunal. Aucune information n'a filtré. Néanmoins, la jeune femme, âgée de 34 ans, a décidé de contre-attaquer en réclamant à son ami érotomane 1 475 dollars (1 029 euros) en remboursement des frais engagés pour installer des «dispositifs de sécurité à son domicile». Comme nous le soulignons plus haut, si cette histoire finit devant un tribunal, en revanche, en Algérie, des histoires similaires finissent parfois, malheureusement, au cimetière. Combien de femmes sont tuées pour avoir décliné la demande en mariage d'un prétendant érotomane ou assuré de son bon droit de cuissage conjugal octroyé, selon lui, par une légitime tradition phallocentrique encore prégnante parmi une frange de la population masculine biberonnée aux machismes islamiste et patriarcal ? Selon les informations, au cours de l'année 2022, 33 femmes algériennes ont été tuées par des hommes pour avoir refusé les avances ou les demandes en mariage. La dernière malheureuse victime fut Ryma Anane, brûlée vive pour avoir refusé de se marier. Ryma Anane, 28 ans, enseignante à Tizi-Ouzou, fut brûlée vive le 26 septembre. L'homme avait aspergé Ryma d'essence avant d'allumer un briquet et d'incendier la jeune femme. Ryma Anane, avait échappé in extremis à la mort. Brûlée aux troisième et quatrième degrés sur 60% de son corps, la jeune Ryma avait reçu une première chirurgie réparatrice à l'hôpital universitaire de La Paz, à Madrid, où elle avait été transférée. Moralité de l'histoire : à Singapour les hommes éconduits par les femmes savent faire preuve de justesse en recourant insolitement à la justice. En Algérie, d'aucuns se font insolemment justice eux-mêmes car ils manquent de justesse. À Singapour, l'érotomane frappe au bureau du tribunal de justice pour demander réparation, en Algérie il frappe en bourreau de sa justice vengeresse dictée par ses tranchantes mœurs phallocrates. Dans son ouvrage «Par-delà le bien et le mal», le philosophe misogyne Friedrich Nietzsche, pour qui la «La femme est la seconde faute de Dieu», écrit : «Dans la vengeance et en amour, la femme est plus barbare que l'homme.» Comme sur nombre de sujets sensibles, ce psychopathe penseur, qui aimait philosopher à coups de marteau (au point de devenir lui-même marteau), s'est encore trompé (de cible). Normal pour un philosophe allemand qualifié par certains de précurseur du nazisme, aux idées misogynes semblables aux islamistes. N'a-t-il pas écrit «Au fond du cœur, l'homme n'est que méchant ; mais au fond du cœur, la femme est mauvaise». Voilà l'ennemi, la femme. Il faut donc soit la tuer socialement en lui ôtant tous ses droits pour la maintenir dans l'asservissement, soit l'ôter de la vie si elle s'avise à vouloir s'émanciper, affirmer sa personnalité, résister à l'empire et à l'emprise de l'homme. Khider Mesloub