«Avant théâtre» de Abdellatif Benahmed présentée au 13e FITB Lorsqu'on accepte de s'imprégner, le plus souvent possible, de l'ambiance des débats dirigés par les griots et les griottes du Congo ou des autres pays africains, on finit par retenir les proverbes hérités des ancêtres, parce qu'ils sont employés en contexte pour faciliter leur compréhension et l'accès à l'intérêt qu'on en tire. L'Afrique, sur ce plan, est un vaste terrain d'investigation en culture populaire. Le plus vieux continent du monde ayant été privé de l'écriture pour des millénaires d'occupation étrangère, les peuples ont développé l'oralité au plus haut niveau, peut-être même aussi les capacités de mémorisation. Un recueil de proverbes rwandais, classés par thèmes et étalés sur près de 700 pages, est un exemple de la richesse immense de ce patrimoine. Pour obtenir ce nombre impressionnant de pages consacrées exclusivement aux proverbes, il a fallu user de procédés judicieux comme celui de charger pendant les vacances, des jeunes de recueillir auprès des sages, sinon des plus vieux de leur région, tous les proverbes conservés et transmis de père en fils. Ceci a permis de découvrir des variantes d'un même proverbe et de leur fréquence, une manière de faire faire aux jeunes de la critique littéraire, sans qu'ils le sachent. Le proverbe comme support pédagogique On l'étudie comme on peut étudier tous les types de textes relevant du genre poétique. Le proverbe a une forme symétrique par ses deux parties séparées généralement par une virgule, dans sa forme classique comme : la parole est d'argent, mais le silence est d'or. On fait remarquer aussi son aspect métaphorique, ses sonorités par le choix des mots qui le composent. L'étude porte essentiellement sur la construction grammaticale et stylistique pour faire apparaître les images exprimées et le sens à la fois implicite et explicite. On en arrive à une forme de traduction littéraire liée à la traduction littérale qui ne s'intéressent qu'aux sens variables qui s'en dégagent, en fonction de son niveau de connaissance et selon le milieu de vie : urbain ou rural. Dans l'enseignement traditionnel qui, en fait, est le plus efficace, compte tenu des résultats fructueux qu'il a permis d'obtenir, pour avoir privilégié le proverbe ou ses équivalents comme la maxime ou l'adage populaire en qualité de support pédagogique aussi bien pour la leçon de langue ou de morale, l'apprentissage dans toutes les disciplines scolaires est accompagné d'une élévation du niveau de conscience. Des anecdotes anciennes, des fables ou des contes d'auteurs à caractère philosophique servent à illustrer les proverbes et à lever le voile de leur abstraction. Si vous dites à un enfant : «Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu'on te fasse», il ne comprendrait pas si vous ne lui racontez pas une histoire en rapport et qui apporte un éclairage à ce proverbe. Des proverbes d'origine religieuse, sociale, juridique ou autre Il y a des proverbes destinés aux petits enfants, souvent des adages énoncés en langage simple pour mettre en évidence le contenu. Ainsi, pour signifier que la vie n'aurait aucune saveur, ni aucun sens sans travail, on leur dit : « Sans un peu de travail, il n'y a point de plaisir ». Celui qui l'a rapporté avait 7 ans lorsqu'il l'a appris en première année du primaire ; on a fait dialoguer deux socs de charrue ; l'un est totalement rouillé pour n'avoir jamais travaillé, l'autre brille parce qu'il n'a jamais arrêté de tracer des sillons de labourage. «Où as-tu pris cet éclat ?» dit le premier à son semblable, «C'est en travaillant» répond ce dernier. D'une manière générale, en parlant des proverbes qui s'adressent à toutes les catégories d'âge : il y a ceux qui se rapportent à la vie de tous les jours ; il s'agit de règles de conduite ou de réflexions sur la condition humaine. Il y en a qui portent sur le domaine religieux, parfois même juridique. Il existe des proverbes, qui ont des équivalents du point de vue sens, dans d'autres langues. Dans un texte «luba» du CongoKinshasa, on a trouvé «Deux, c'est tout. Un c'est rien» qui signifie «L'union fait la force». Ce sens exprime le sens africain de la solidarité. Selon les Africains : «Vivre, c'est vivre avec les autres, par les autres et pour autrui». Il n'y a pas de pire souffrance que l'isolement. Dans l'imaginaire africain, le chiffre exprime la solitude, l'isolement avec tout ce que cela entraîne comme conséquence ; quant à deux pouvant dire «plusieurs», a une forte symbolique renvoyant à l'idée «d'union» pour le meilleur et pour le pire, ou «de force», sinon de couple uni comme source de bonheur. Ceci a été vérifié dans toutes les sociétés du monde et les classes sociales. En agriculture traditionnelle, il est une coutume, qui a fait le bonheur de tous les travailleurs de la terre et qui consiste à faire appel aux autres pour accomplir une tâche difficile : récolter des fruits comme les olives, moissonner, semer. Le même proverbe a une connotation religieuse dans la mesure où chaque être humain ne donne de sens à la vie que s'il apporte quelque chose à autrui, la croyance en Dieu ne pouvant se justifier que par la compassion et l'altruisme de chacun. Toujours dans «la langue Luba», au Congo, il existe un proverbe important qui s'adresse à la jeune fille en lui disant : « Jeune fille, voici la danse, voilà le mariage. Dis-nous ce que tu choisis ». Cela veut dire que ce n'est pas dans le libertinage qu'on construit une situation d'avenir et de stabilité, que c'est dans le mariage que la femme peut acquérir l'honneur et la dignité. Clémentine Faïk Nzuji qui a fait un travail d'investigation important dans ce domaine, traduit ce proverbe par : « C'est en accomplissant son devoir de mère de famille qu'elle fait son devoir de femme et s'assure le respect ». Par ces exemples de proverbes, on voit bien que les Congolais comme tous les Africains, les Maghrébins, les Méditerranéens ont une haute idée des sentiments humains, de l'union pour le meilleur et pour le pire ainsi que pour l'équilibre mental, la propreté morale, l'avenir.