On a fini par croire par expérience, sinon par superstition, que l'enseigne d'un commerce, toutes catégories confondues, est déterminante pour attirer les clients et les inciter à acheter. Pratiquer le commerce n'est pas donné à tout le monde. Cela dépend d'un esprit mercantile et surtout d'un bon niveau de culture. Et pour être logé à la même enseigne que ceux qui ont réussi, il y a tout un apprentissage à faire avec ténacité. En somme, l'enseigne agit à la manière d'un appât qu'on choisit pour avoir plus de chance d'attraper un poisson. Et s'agissant d'un client, il faut tout un savoir-faire à mettre en œuvre pour réussir à le fidéliser. C'est pourquoi on a coutume de dire que le commerce est un art et que le client est roi. Une jolie enseigne peut-elle être une condition suffisante ? Il ne suffit pas d'avoir une enseigne alléchante pour réussir en commerce. C'est une question de psychologie de l'adulte en général et du consommateur en particulier. L'expérience nous a apporté la preuve qu'il existe une catégorie de gens qui fréquentent un commerce par rapport à l'enseigne. On va par exemple au café «El Bahdja» pour son nom historique si cher aux cœurs et à l'esprit. Le contenu sémantique de cette appellation «El Bahdja» s'inscrit dans un ensemble lexical conservé jalousement en tant que patrimoine hérité des générations passées. El Bahdja rappelle les cafés d'antan qui ont marqué les anciens qui s'y retrouvaient pour se raconter des histoires de leur quotidien. C'est pourquoi cette enseigne comme d'autres ont survécu même après la disparition des commerces qui les ont portées. Un vide s'est installé mais les enseignes restent gravées dans les mémoires au point de devenir des toponymes. C'est le cas parmi d'autres de «Qahwat echergui», connu aujourd'hui comme nom de cité urbaine à Bordj El Bahri. A l'origine, c'était un café ouvert par un certain «Chergui» au milieu d'un carrefour où les maisons pouvaient se compter sur les doigts d'une seule main. Il existe à la place des Martyrs, le café Malakoff, à l'extrémité de la rue Bab El Oued pour celui qui vient du lycée Emir Abdelkader. Ce café avait acquis une grande célébrité parce qu'il était devenu un lieu de rencontre des pionniers du théâtre algérien : Mahieddine Bachtarzi, Mohamed Touri, Hilmi, Rouiched et beaucoup d'autres qui y venaient pour des échanges fructueux. L'établissement était, paraît-il, parfaitement bien tenu pour la pleine satisfaction d'une clientèle de marque. On s'y rencontrait dans la bonne humeur pour parler de l'avenir ou des projets de créations artistiques. Pour ceux qui ont le sens du patrimoine, c'est un lieu qui doit être vénéré pour ses marques historiques et toute sa symbolique au milieu d'un espace chargé de souvenirs. Aujourd'hui, on n'arrive pas à retrouver ce café d'antan devenu, de par la dégradation de la situation, un nid de marginaux et d'agresseurs. Passez-y pour vous rendre compte du changement en mal. Lorsqu'on allait à la place des Martyrs jusque dans les années soixante, on éprouvait un immense plaisir, c'était propre et sécurisant, même tard dans la nuit. Maintenant, vous risquez de vous voir délesté de votre portefeuille et de force, les voleurs agissent en toute liberté. Des traditions, ces agresseurs n'en ont cure. Des enseignes liées à de petites histoires Des histoires de familles, d'enseignes rapportées par un grand-père ayant vécu dans un pays ou qui a traversé l'océan. On raconte qu'un tel a ouvert un restaurant appelé «La Rascasse» parce que son aïeul a été un grand pêcheur des plus gros poissons dont «la rascasse» qui a donné à un arrière-petit-fils l'idée d'en faire une enseigne de restaurant d'un bord de mer réputé, à l'est d'Alger. Les commerçants qui ont une longue expérience, des goûts, caractères, choix des clients, prennent la précaution d'opter pour des enseignes alléchantes. On y vient la première fois par curiosité et pour peu que le propriétaire douteux soit magicien des relations humaines, on finit par devenir un client fidèle. Ainsi, il nous a été donné de collectionner des enseignes dont la plupart peuvent paraître insolites comme : La mère Michèle, Lalla Hlima, l'Albatros. Et certains consommateurs osent même se vanter d'aller régulièrement acheter leur pain à la boulangerie «Le Cosmos», ou de prendre leurs consommations au café «Avzim» devenu un lieu de rencontre des amis ou des amis des amis. Quelqu'un nous a juré que dans ses années de jeunesse, avoir accompli le miracle de faire le plein d'un restaurant, tous les jours, en y faisant venir des collègues de travail qui chacun à son tour a joué le jeu, moyennant des paroles amicales, mais sur fond de publicité, en faisant connaître l'établissement, pourtant aménagé simplement. Le restaurateur s'est constitué une clientèle pendant une longue période. Les rencontres fructueuses étaient bien plus intéressantes que les repas. Et la convivialité fut telle que le patron avait fini par accrocher une enseigne lumineuse au nom de «l'Albatros» qui, au départ, ne lui avait jamais effleuré l'esprit.