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«Pour l'Algérie, c'est le moment idéal pour négocier un accord avec l'empire américain, qui est désormais en position de faiblesse»
Dr. Jack Rasmus :
Publié dans La Nouvelle République le 14 - 04 - 2025

Il est important de comprendre que les niveaux d'endettement et les taux de croissance ne sont pas en soi le problème. Le problème est celui du financement de la dette et des ressources disponibles pour le faire. Le financement consiste à payer le principal et les intérêts de la dette. Dans le cas du gouvernement américain, il peut toujours créer plus de liquidités pour faire face à une crise, même s'il doit les « imprimer ». En effet, le dollar américain est la monnaie mondiale et les Etats-Unis peuvent « exporter » la crise vers d'autres pays qui ne peuvent pas simplement « imprimer » leur monnaie pour éviter une crise. Dans la mesure où le dollar américain décline en tant que monnaie de réserve et de transaction mondiale, ce qui, à mon avis, a commencé à se produire avec la montée en puissance des BRICs, même les Etats-Unis auront des difficultés à stabiliser un nouveau crach financier et économique national. Cependant, contrairement à beaucoup de gens de gauche, je ne vois pas le dollar ou l'empire économique américain imploser pour le moment. Il est en difficulté, les contradictions s'intensifient, mais il ne s'effondre pas. Les capitalistes américains ont encore beaucoup de ressources pour essayer de protéger le dollar et l'empire. Trump devrait être considéré comme une tentative en ce sens en 2025.
L'instabilité financière peut se produire dans le secteur privé des entreprises, bien sûr, et pas seulement dans le secteur public. Les niveaux d'endettement des entreprises peuvent augmenter, et c'est d'ailleurs ce qui se passe. Aux Etats-Unis, la dette des entreprises s'élève peut-être à 10 ou 20 000 milliards de dollars. La dette des ménages s'élève à environ 18 000 milliards de dollars et augmente rapidement, car les revenus salariaux ne suivent tout simplement pas l'inflation. Les ménages peuvent subir un crach financier. Qu'il s'agisse d'entreprises ou de ménages, le problème est le même que pour les gouvernements. Ce n'est pas seulement le niveau d'endettement qui compte, ni même le taux d'augmentation de la dette, bien qu'il soit plus important. Il s'agit de savoir si les entreprises peuvent « financer » leur dette en couvrant les paiements du principal et des intérêts à mesure qu'ils arrivent à échéance. Cela dépend de la croissance des revenus. Si elle est insuffisante pour couvrir les coûts de la dette, il est probable que l'entité (entreprise ou ménage) sera en défaut de paiement. Si elles arrivent à restructurer cette dette (ndlr : opération consistant à regrouper tous ses crédits en un seul afin de n'avoir plus qu'à rembourser un unique prêt dont les mensualités sont plus faibles), elles peuvent alors devenir « insolvables », ce qui signifie qu'elles ne peuvent pas la payer même si elle est restructurée. L'étape suivante est alors la faillite. C'est alors que le facteur de contagion peut entrer en jeu. La faillite d'une grande institution, qu'il s'agisse d'une banque ou même d'une grande entreprise (comme Intel ou Boeing, aujourd'hui toutes deux en difficulté), peut précipiter une réaction en chaîne de défauts de paiement et de faillites. Pour éviter cela, la banque centrale et/ou le gouvernement doi(ven)t injecter davantage de liquidités dans le système pour le stabiliser temporairement. Mais l'injection de liquidités supplémentaires dans le système alimente la mauvaise répartition de l'argent sur les marchés d'actifs financiers, le détournement offshore ou l'augmentation de la richesse des actionnaires.
Le point à retenir est que les injections de liquidités à court terme (monétaires et fiscales) peuvent stabiliser temporairement la crise (réelle et/ou financière), mais cette même injection de liquidités engendre une financiarisation accrue, une augmentation de la dette et exacerbe la probabilité d'une nouvelle crise et d'un nouveau crach plus importants à l'avenir. En bref : la solution à la crise immédiate crée une crise ultérieure encore plus grave.
Donc, pour en venir plus directement à votre question : une nouvelle crise du type de celle de 2008 ou des années 1930 est-elle imminente ? C'est difficile à prévoir. La dette du gouvernement américain devient insoutenable. Le système ne peut pas continuer à enregistrer des déficits de 2 000 milliards de dollars par an et à augmenter la dette au-delà de 37 000 milliards de dollars maintenant que les taux d'intérêt se maintiennent dans une fourchette de 4 à 5 %. Les Etats-Unis versent déjà aux détenteurs d'obligations américaines 1 000 milliards de dollars par an en paiements d'intérêts sur ces 37 000 milliards de dollars. L'organe de recherche du Congrès, le CBO, estime que ce montant atteindra 56 000 milliards de dollars et 1 700 milliard de dollars de paiements d'intérêts par an d'ici à 2034. Les Etats-Unis dépensent déjà 1 300 milliard de dollars par an pour la défense. C'est dans ce contexte qu'il convient d'envisager les réductions de coûts actuelles de Trump, tant à l'étranger qu'à l'intérieur du pays. L'empire doit se restructurer financièrement. Les dépenses inutiles (guerre en Ukraine, OTAN, bases, USAID, etc.) sont réduites. Il en va de même pour les programmes sociaux américains et les emplois publics.
Mais je ne vois toujours pas de crise de la dette publique aux Etats-Unis. Pas tant que le dollar américain restera le pivot de l'empire américain.
Qu'en est-il d'une crise bancaire ? Jusqu'à présent, la Fed a réussi à contenir la crise des banques régionales de 2002 en y injectant 1 000 milliard de dollars supplémentaires. Et les grandes banques regorgent de bénéfices. Je ne vois donc pas de crise bancaire imminente. Qu'en est-il des entreprises non bancaires ? Je surveillerais Intel et Boeing. Une contagion financière peut se produire si une société non bancaire implose, à condition qu'elle soit suffisamment importante. Ces deux-là sont concernés. Mais le gouvernement est déjà en train de les renflouer discrètement. Qu'en est-il des ménages ? Leur problème d'endettement est déjà grave. Des millions de personnes ont atteint le plafond de leur crédit (dette). Ils réagissent en réduisant leurs dépenses, ce qui est déjà le cas. Si l'un de ces secteurs connaît une crise de paiement de la dette, le gouvernement et la banque centrale peuvent généralement « contenir » la contagion en les renflouant, à condition que la crise n'éclate pas trop vite et que la contagion ne s'accélère pas. Avec le temps, le gouvernement et la Fed peuvent stabiliser la situation.
Sommes-nous donc plus proches d'une Grande Dépression comme dans les années 1930 ? En ce qui concerne les contradictions internes croissantes, je dirais que oui. En ce qui concerne les excès du niveau d'endettement, je dirais encore oui. Mais nous n'avons pas encore atteint le mur du non-paiement du principal et des intérêts de la dette – qu'il s'agisse de celle des entreprises ou de celle des gouvernements. Jusqu'à présent, les gouvernements y sont parvenus, en dépit des problèmes fondamentaux croissants qui se cachent sous le système.
Est-ce que la mise en place du DOGE (Département de l'Efficacité gouvernementale) et la brutalité de la méthode employée n'est pas un signe de panique pour obtenir des marges de manœuvres budgétaires avant le grand krach ?
Comme je l'ai suggéré en répondant à la question précédente, le DOGE représente la reconnaissance par l'administration Trump de la nécessité de réduire le déficit budgétaire américain qui s'accélère et la dette nationale qui en découle. Elle ne peut pas continuer à creuser des déficits de 2 000 milliards de dollars par an et à porter la dette nationale à 56 000 milliards de dollars en dix ans, tout en versant 1 700 milliard de dollars par an, prélevés sur le budget, aux détenteurs d'obligations du Trésor. Pas si elle veut continuer à financer l'énorme budget du Pentagone et de la Défense et poursuivre les réductions d'impôts de 4 500 milliards de dollars pour les entreprises et les investisseurs.
Le DOGE fait partie de la stratégie générale visant à réduire le déficit et la dette au niveau national en limitant les programmes sociaux et les emplois publics, alors que Trump réduit simultanément les coûts inutiles des dépenses étrangères qui ont également un impact sur le budget et la dette.
Le DOGE a prévu de réduire les programmes sociaux et l'emploi public de 1 000 à 1 700 milliard de dollars. Ce n'est pas terrible si l'on se souvient qu'Obama et les Républicains ont réduit les dépenses de 1 000 milliard de dollars en 2011. Chaque fois qu'il y a une grande crise économique – que ce soit en 2008-09 ou en 2020-21 – les politiciens américains injectent de l'argent pour contenir l'effondrement. Puis, une fois la situation partiellement stabilisée, ils reprennent ce qu'ils ont jeté, et même un peu plus. Obama l'a fait en 2011. Trump le fera en 2025, après la relance budgétaire massive de 6 700 milliards de dollars et le sauvetage financier de 2021-22 qui a suivi le Covid.
Les coupes probables de 1 000 milliards de dollars du DOGE ne représentent pas une panique, mais un plan. Les grands médias de propagande des Etats-Unis – étroitement liés au parti démocrate, à la bureaucratie d'Etat américaine et à l'aile des capitalistes qui veulent simplement continuer comme ils l'ont fait sous Biden – font de leur mieux pour faire du sensationnel avec les politiques de Trump. Je ne fais pas l'apologie de ces politiques. Elles vont dévaster les travailleurs et les syndicats américains. Mais il y a une méthode dans le plan Trump. Il ne s'agit pas seulement de la folie de Trump.
Il est vrai que les initiatives de Trump reflètent une rapidité et une dimension de changement politique sans précédent depuis 1980 et la réponse de l'administration Reagan à la crise des années 1970 dans les économies américaine et mondiale et dans l'empire américain lui-même. Les politiques néolibérales introduites par Reagan après 1980 ont servi à contrer la contestation des capitalistes américains par la classe ouvrière à l'intérieur du pays ainsi que par des adversaires intra-capitalistes, principalement le Japon et l'URSS et, dans une moindre mesure, l'Europe également. Les politiques néolibérales de Reagan ont réussi à donner à l'empire américain quatre décennies supplémentaires d'expansion. Cette expansion s'est arrêtée autour de 2008 sur le plan économique et politique. Les décideurs politiques capitalistes américains, d'Obama à Trump, ont tenté de rétablir le cocktail de politiques néolibérales. Cependant, comme je l'ai dit, les contradictions politiques s'intensifient et cela devient de plus en plus difficile.
Il faut considérer Trump, le DOGE et les nouvelles initiatives de politique étrangère de Trump (tarifs douaniers, accord avec la Russie en Ukraine, retrait de l'OTAN, et même le Groenland et le canal de Panama) comme un nouvel effort du capital américain pour restructurer les relations, étrangères et intérieures, dans l'empire. Cette restructuration a été couronnée de succès en 1913-1918, de nouveau en 1944-1950, puis en 1979-1986, et aujourd'hui, elle tente à nouveau d'être menée à bien par Trump. Il reste à voir si Trump réussira à résoudre la crise budgétaire et à éviter un nouvel effondrement financier. Le jury n'a pas encore
« rendu son verdict », comme on dit. Il vient juste de s'asseoir et est en train d'écouter les déclarations d'ouverture du procureur, pour emprunter une métaphore.
Pensez-vous, comme certains économistes dissidents, que l'oligarchie mondialiste, ennemie du nationalisme US de Trump et très puissante dans la finance, à la FED, dans les grandes banques américaines ou au Trésor, peut accélérer la crise de la dette aux Etats-Unis via une hausse rapide et excessive des taux d'intérêt afin de faire dérailler le projet MAGA de Trump et accélérer le grand reset du capitalisme à bout de solutions dans un de ses fameux cycles dont vous parlez dans vos livres ?
Je ne pense pas que les capitalistes financiers veuillent délibérément précipiter une crise financière juste pour faire dérailler Trump. Je soupçonne que nombre d'entre eux considèrent que les changements opérés par Trump sont nécessaires pour l'empire et qu'ils offrent également de nouvelles opportunités rentables. Ils sont favorables à de nombreux projets de Trump visant à privatiser certains pans de l'économie, en particulier le système bancaire parallèle (BlackRock et autres). BlackRock, par exemple, est déjà impliqué dans le rachat des installations portuaires aux deux extrémités du canal de Panama. Je suis sûr qu'ils voient, comme beaucoup d'autres, de nouvelles opportunités d'exploitation des minéraux au Groenland. Et puis il y a les projets de Trump de réorienter les dépenses d'aide étrangère, les opérations de la CIA à l'étranger, et même l'OTAN, vers le développement de nouvelles armes par le biais du Pentagone. Quant à BlackRock, il est de notoriété publique qu'il est fortement investi en Ukraine. Un règlement de ce conflit se traduira par d'autres opportunités d'investissement dans la soi-disant reconstruction de l'économie et de l'infrastructure ukrainiennes après la guerre, qui se profile à l'horizon. Tout le discours de Trump à propos d'un accord sur les minerais en Ukraine vise à créer un fonds de capital d'investissement, dont une grande partie sera distribuée aux grandes entreprises américaines et aux capitalistes financiers qui se chargeront de la « reconstruction ». Ainsi, une fois de plus, je ne prêterais pas trop d'attention aux chaînes de propagande « atlantiste » des grands médias américains.
Je ne ferais pas non plus de parallèles historiques trop rapides avec les capitalistes qui ont favorisé les guerres mondiales pour détourner l'attention du public des crises nationales. La crise économique et politique actuelle des Etats-Unis n'est pas encore très grave. Ce n'est pas l'effondrement des régimes des années 1930. Les capitalistes financiers ne sont pas non plus l'équivalent historique des aristocraties européennes consanguines qui, en 1912-1914, se disputaient le partage du reste du monde pour leurs empires respectifs.
Bref, je ne vois pas les capitalistes américains – quelle que soit l'aile (MAGA ou atlantiste) qu'ils préfèrent – aller jusqu'à provoquer une crise juste pour mater Trump. Ils ne sont pas tous aussi opposés à lui que les médias de propagande/parti démocrate veulent le faire croire. De plus, il y a beaucoup d'argent frais à tirer de la restructuration de Trump.
Sur un autre sujet, pensez-vous que le rapprochement spectaculaire de Trump avec la Russie est un retour à la doctrine Monroe avec un partage du monde entre grandes puissances dans le respect de leur sphère d'influence respective ou bien est-ce une simple ruse rappelant le rapprochement tactique des Etats-Unis avec la Chine afin d'isoler l'URSS dans les années 1970 pour, en détachant la Russie de la Chine, empêcher l'intégration eurasiatique, afin de pouvoir s'attaquer à la Chine comme jadis à l'URSS ?
Le fait de parler de « retour » à la doctrine Monroe suggère que les Etats-Unis ne l'ont jamais abandonnée. Les Etats-Unis ont toujours considéré l'hémisphère occidental comme leur sphère d'influence. Le problème est que depuis le 11 septembre et les néoconservateurs américains qui dirigent la politique étrangère, les Etats-Unis se sont focalisés à l'excès sur le Moyen-Orient. Ils ont ainsi ignoré les changements survenus en Amérique latine au cours du dernier quart de siècle. Ils pensent probablement aussi que cette focalisation a ralenti les projets de confrontation avec la Chine en mer de Chine méridionale et à Taïwan comme ils le souhaitaient.
Les néoconservateurs américains ont ensuite redoublé leur politique ratée en confiant à un président léger et partiellement dément, Biden, le soin d'exécuter les vœux des Européens et de s'engager à outrance dans la guerre d'Ukraine.
La réorientation actuelle de la politique étrangère de Trump doit être considérée comme une consolidation de l'empire américain, à la fois en termes d'objectifs et de dépenses. Les Etats-Unis se recentrent sur l'hémisphère occidental et le lac américain appelé océan Pacifique. Il s'agit là de leurs intérêts impériaux, pendant qu'ils se restructurent pour faire face aux véritables défis à l'hégémonie américaine : les BRICs, le Global South et la Chine. Pour une raison ou pour une autre, les néoconservateurs ont convaincu les démocrates amateurs de se concentrer sur l'Europe de l'Est. Ils ont convaincu les politiciens d'étendre l'OTAN à l'Est, ce qui a rendu inévitable une confrontation avec la Russie. Ils les ont ensuite convaincus que la Russie imploserait économiquement et qu'un changement de régime serait facile. Tout cela s'est évidemment retourné contre eux. L'Histoire montrera que les néoconservateurs, qui se sont essentiellement emparés de la politique étrangère des Etats-Unis à la fin des années 1990 et ont ensuite renforcé leur contrôle sous Bush et Obama, ont été un désastre pour l'empire américain.
Trump reconnaît que continuer à subventionner la défense de l'Europe et à payer pour l'aventure militaire en Ukraine n'est pas dans l'intérêt des Etats-Unis à long terme. Il n'est pas nécessaire de dépenser des milliards de dollars pour soutenir l'Europe. Et la guerre en Ukraine a été perdue dès le départ, comme toute personne ayant une formation militaire de type ROTC (ndlr : Le Reserve Officers Training Corps, organisation militaire chargée de l'entraînement des officiers de réserve des forces armées des Etats-Unis dans un cadre universitaire) et une compréhension des principes de la guerre peut facilement le constater. Une folie totale. Trump sait que la guerre en Ukraine est déjà perdue et ne veut pas y consacrer plus d'argent, alors que les Etats-Unis ont déjà dépensé 350 milliards de dollars. Il ne veut pas non plus continuer à financer la défense de l'Europe. Ni l'une ni l'autre ne sont stratégiques. Le monde a évolué. Les BRICs et le Sud global sont stratégiques. Le rétablissement de l'hégémonie américaine dans l'hémisphère occidental est stratégique.
Jusqu'à présent, les Etats-Unis n'ont pas réussi à développer une stratégie arctique cohérente, alors que la Russie l'a fait et a des années d'avance sur les Etats-Unis dans cette région. Le Groenland est un élément clé de la nouvelle stratégie arctique des Etats-Unis. Il possède également des minéraux essentiels dont les Etats-Unis ont besoin. Le Canada est situé entre l'Alaska et le Groenland. Il doit lui aussi faire partie de la nouvelle stratégie arctique des Etats-Unis pour faire face à la Russie dans cette région. Mais le Canada s'est révélé peu fiable sous Trudeau, que Trump déteste de toute façon. Pour une raison quelconque, le Canada s'oriente davantage vers l'Europe. C'est la raison pour laquelle Trump a imposé des tarifs douaniers au Canada et l'a harcelé pour qu'il devienne le 51e Etat américain. Ce que Trump veut vraiment, ce sont les territoires arctiques septentrionaux du Canada pour en faire un rempart stratégique global dans l'Arctique. C'est ainsi que je vois les choses. Le Groenland est également important si les Etats-Unis veulent un jour refuser à la Chine un passage maritime à travers l'Arctique jusqu'à l'océan Atlantique, maintenant que la plate-forme glaciaire de l'Arctique diminue rapidement.
Quant à l'action de Trump concernant le Panama, il s'agit là aussi de mettre en échec la Chine qui a investi massivement dans le canal et le Panama. La Chine investit aussi beaucoup en Equateur et au Pérou. Je prévois des initiatives de Trump dans ces pays également. Trump veut reprendre le canal pour l'interdire à la Chine. Le canal doit également être élargi, ce que le Panama a tardé à faire. Pourquoi ? Les plus grands super-transporteurs américains de la classe Ford ne peuvent pas passer dans le canal, m'a-t-on dit. Il faut l'agrandir. Cela fait également partie du plan de Trump. Et, comme je l'ai déjà dit, BlackRock a déjà acheté des installations portuaires des deux côtés du canal. Je prédis que les Etats-Unis prendront le contrôle du canal sous Trump. La question de savoir s'il s'agit d'une appropriation ou non n'est pas cruciale.
Je pense que ce que nous voyons, c'est que Trump tente de conclure des accords avec Poutine et Xi sur la base d'une nouvelle compréhension géopolitique mondiale. Trump voit également des opportunités commerciales avec la Russie. C'est ce qui ressortira des négociations actuelles entre les Etats-Unis et la Russie. Les sanctions seront abrogées, du moins par les Etats-Unis. Les Européens sont une autre question. Ils se complaisent encore dans les fantasmes néocons sur l'Ukraine et la Russie. Il semblerait qu'après avoir rencontré Poutine, Trump ait déjà invité Xi à venir à Washington. Les trois vont se partager l'économie mondiale, je le prédis. C'est presque comme un parallèle au Sommet de Yalta en 1944, lorsque Roosevelt, Churchill et Staline se sont rencontrés et ont redéfini les relations politiques de l'après-guerre. Sauf que cette fois-ci, il n'y a ni Churchill ni Europe. L'Europe est destinée à devenir un marécage économique mondial. Politiquement aussi. C'est en partie pour cela que les Européens sont si effrayés par Trump. Il ne les laissera même pas s'asseoir à la table des discussions avec la Russie.
Je pense que les trois définiront de nouvelles sphères d'intérêt et de nouveaux domaines de coopération. En d'autres termes, les Etats-Unis sous Trump s'accommodent des nouvelles réalités. Les Etats-Unis cherchent à se rapprocher des deux puissances mondiales. Cela inclura un rapprochement plus large entre les Etats-Unis et les BRICs.
Quant à savoir s'il s'agit d'une ruse de Trump pour séparer la Russie de la Chine, je ne le pense pas. Nous ne sommes plus dans les années 1970, lorsque la Chine cherchait désespérément à nouer des relations avec la Russie, car son économie était affaiblie par les bouleversements de la révolution culturelle. La Chine est aujourd'hui une puissance économique mondiale. Et le Sud global est également un facteur majeur dans tout cela puisque la Chine et les BRICs sont désormais liés. Le Sud est désormais industrialisé et ne peut être ignoré, comme ce fut le cas dans les années 1980 lorsque les Etats-Unis ont restructuré leurs relations avec le Japon, l'Europe et l'URSS.
J'ajouterais que même si les ouvertures de Trump à la Russie étaient une « ruse », la Russie et la Chine ne rompront pas leur nouvelle alliance et leur coopération économique. La Russie a totalement renoncé, je crois, à restaurer ses relations économiques ou autres avec l'Europe. L'Europe s'est « tiré une balle dans le pied », comme on dit, en raison de son obsession pour la guerre par procuration qu'elle mène en Ukraine contre la Russie.
L'hystérie guerrière actuelle des élites européennes contre la Russie est vraiment étrange. Parfois, je me dis qu'il y a quelque chose qui ne va pas avec l'Europe au niveau de l'ADN. Après tout, ils nous ont donné deux guerres mondiales et il semble maintenant qu'ils en veulent une autre avec la Russie. Mais cette fois, les Etats-Unis et le reste du monde ne se joindront pas à eux. La récente décision de l'Allemagne visant à renouveler son armement militaire devrait susciter une certaine inquiétude. Il s'agit peut-être d'un autre exemple de l'agitation qui règne au sein de l'OTAN. Comme le dit le proverbe, « l'objectif de l'OTAN est d'empêcher les Russes d'entrer et les Allemands de sortir ». L'Allemagne prendra probablement la tête de la remilitarisation de l'Europe et du développement de l'industrie de l'armement.
Je prédis également que l'OTAN et l'UE elle-même finiront par se restructurer. Je ne vois pas la Hongrie, la Slovaquie et la Serbie en faire partie à long terme. Et s'ils se séparent, il faut s'attendre à une sorte d'alliance de l'Europe du Sud-Est avec la Roumanie et la Bulgarie qui les rejoindront. Peut-être même la Turquie.
À plusieurs égards, je vois le résultat de la perte de la guerre en Ukraine conduire l'Europe à une plus grande dépendance économique à l'égard des Etats-Unis. Ce n'est pas seulement l'Europe qui devient plus dépendante des ventes d'énergie américaines, comme elle l'a déjà fait, mais toute son économie, car les entreprises américaines s'installent dans le vide économique laissé par le retrait de la Russie.
Après avoir chassé la Russie de la région, l'Europe devra devenir plus dépendante des Etats-Unis. C'est un capital en expansion. Une grande partie de ces investissements se fait aux Etats-Unis plutôt qu'en Europe. Les récentes politiques fiscales américaines, et maintenant les droits de douane, témoignent de l'inévitable dépendance croissante de l'Europe à l'égard des Etats-Unis. Comme je l'ai dit récemment, l'Europe est destinée à devenir un musée agréable à visiter, mais de moins en moins pertinent à l'échelle mondiale, tant sur le plan économique que géopolitique.
Après 75 ans d'intégration, pensez-vous que Trump sera capable de désengager aussi rapidement les Etats-Unis de l'Europe sur les plans politiques, économiques et militaires ?
J'ai déjà abordé cette question dans mes remarques précédentes. Mais j'ajouterais qu'il ne faut pas considérer la relation future entre les Etats-Unis et l'Europe comme un désengagement.
Il s'agit plutôt d'une restructuration, les Etats-Unis apportant moins de soutien économique et politique. Pensez-y comme une dépendance croissante de l'Europe à l'égard des Etats-Unis, qui deviendra plus claire une fois que la poussière sera retombée sur les différends actuels concernant l'Ukraine, la Russie, l'OTAN, le Groenland et les tarifs douaniers.
Les changements de politique de Trump ne visent pas à se désengager de l'Europe. Et je ne pense pas que Trump s'engage à faire quoi que ce soit avec l'Europe « rapidement ». Le changement de cap des Etats-Unis est fondamental et tellement évident qu'il semble que Trump soit impatient.
Par ailleurs, il faut s'attendre à ce que le rôle mondial du G7 change également. Les Etats-Unis deviendront plus dominants par rapport à l'Europe et au G7 ou ils ignoreront tout simplement le G7.
Le rôle du G20 deviendra encore plus important pour les Etats-Unis à l'avenir, tout comme les relations bilatérales des Etats-Unis avec la Russie et probablement la Chine. Il n'y a donc pas de découplage ni de désengagement, mais une restructuration fondamentale des relations entre les Etats-Unis et l'Europe qui ne plaira pas aux élites politiques européennes, mais qu'elles accepteront à plus long terme.
Pensez-y : vers qui l'Europe peut-elle se tourner ? Elle n'a aucune relation d'avenir avec la Russie. Elle s'aperçoit qu'elle ne peut pas rivaliser avec la Chine et son approbation des sanctions contre la Chine a envenimé cette relation. Peut-elle se concentrer sur le Sud mondial en concurrence avec la Russie, la Chine et les Etats-Unis ? Pas très bien, je pense.
Elle n'aura donc pas d'autre choix que de rechercher un nouvel ensemble de relations économiques avec les Etats-Unis, ce qui, à long terme, signifie également politiques. Par ailleurs, comme je l'ai suggéré, plusieurs pays d'Europe pourraient rompre non seulement avec l'OTAN, mais aussi avec l'UE.
Pour mon pays l'Algérie, pays riche en hydrocarbures et en ressources minières, très attaché à sa souveraineté, pilier du multilatéralisme en Afrique, partenaire des BRICs, conseilleriez-vous de se rapprocher tactiquement de l'Amérique de Trump et d'accepter ses horribles deals ou pensez-vous que les compromis avec cette Amérique sont des pièges mortels à moyen et long terme ?
Je ne pense pas que le choix soit un «ou bien/ou bien». L'Algérie (et tous les BRICs) peut et doit faire les deux. Pour des pays comme le vôtre, c'est le moment idéal pour négocier un accord avec l'empire américain, qui est désormais en position de faiblesse. Passez des accords si c'est à votre avantage, tant que cela ne signifie pas que vous renoncez à votre souveraineté. Et jouez aussi la carte des BRICs. N'est-ce pas ce que la Russie fera bientôt lorsqu'elle conclura des accords commerciaux dans les négociations actuelles avec Trump, et qu'elle décidera de solutions de compromis pour mettre fin au rôle des Etats-Unis dans la guerre en Ukraine ? Si la Russie peut coupler les négociations sur la guerre avec des accords de coopération économique, l'Algérie et les autres BRICs le peuvent aussi.
Les Etats-Unis entrent dans une période où ils savent qu'ils doivent établir de nouvelles relations avec les BRICs. Ils chercheront à conserver l'influence et le rôle du dollar, du système de paiement SWIFT, du FMI, etc. tout en reconnaissant certaines des demandes des BRICs et des pays du Sud. Le monde passe d'une économie unipolaire à une économie multipolaire, c'est vrai. Mais il s'agira d'une période de transition qui se poursuivra pendant un certain temps. Un bon moment pour faire levier sur Trump et l'empire américain qui veut passer un accord. Trump a besoin de quelques succès pour montrer que sa stratégie générale de restructuration des relations économiques et politiques mondiales des Etats-Unis fonctionne.
( Suite et fin )
Interview réalisée


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