La légende de Bangor, Maine – pardon, l'écrivain culte – Stephen King, est entrée dans une zone à la fois inquiétante et fascinante : « À mon âge, on n'est plus sous garantie. On ne peut rien tenir pour acquis. » Le roi de l'horreur joue-t-il à faire peur ? Autrement dit : à soixante-dix-huit ans, l'auteur ne croit plus aux lendemains assurés et considère sa carrière comme soumise à une échéance implicite, assure-t-il lors d'un entretien accordé à USA Today. Pause anticipée, pas un arrêt King explique qu'il « essaie de vider son bureau autant que possible » avant d'envisager une forme de retrait (Parade). Il dit avoir encore deux romans en cours : un prochain épisode de la saga The Talisman avec le regretté Peter Straub, et une ultime enquête de son personnage fétiche, Holly Gibney (JoBlo). Mais après ? Le verbe est au conditionnel, l'anticipation teintée d'inquiétude — voire d'humour noir, comme c'est un peu sa spécialité. Quand on a bâti une œuvre digne d'un empire — plus de soixante romans, des dizaines de millions d'exemplaires vendus, des adaptations à la pelle —, il y a quelque chose d'émouvant à voir ce titan reconnaître les fissures du temps. Il ne jette pas l'éponge pour autant : « Je ne vais pas prendre ma retraite demain. Je suis un homme occupé. » Le risque de devenir... banal Ce qui frappe, c'est cette autre confession : « J'aimerais m'arrêter avant de commencer à radoter. À me répéter. Je déteste l'idée de devenir ennuyeux. J'aimerais encore surprendre un peu les gens. » Tout King est là : ce goût du surprenant, du retournement, de l'inconfort littéraire. À y regarder de plus près, le mot «ennui » revient comme un tabou. Il se refuse à devenir, un jour, « le gars qui radote ». En tant qu'observateur du monde littéraire, difficile de ne pas saluer ce souci d'honnêteté : beaucoup vieillissent avec panache, mais peu à ce point anticipent la fin sans la nier. Son « hors garantie » sonne comme un adieu anticipé à l'invincibilité — mais pas encore à l'écriture. Deux livres, un tri possible Le site spécialisé Lilja's Library résume bien la situation : King affirme avoir encore deux livres à écrire, puis « on verra bien ce qui se passera... ». Le premier est ce fameux Talisman 3, annoncé comme la conclusion d'un arc narratif lié à la mythique série The Dark Tower. Le second mettra en scène Holly Gibney, devenue personnage central, et qu'il adore : « J'aime Holly... En ce moment, je relis L'Outsider parce que j'ai une idée pour ce dernier livre sur elle, et j'ai besoin de me rafraîchir la mémoire. » Cela ressemble à un clap final soigneusement réglé. Il ne dit pas « au revoir », mais il orchestre une fermeture. Rappelons que cet auteur a débuté en 1974 avec Carrie, et que, depuis, rares sont les années sans parution (JoBlo). Il a traversé les décennies, galvanisé par un moteur simple : écrire parce qu'il s'amuse. « J'adore ces trois ou quatre heures chaque jour où je peux jouer dans un monde imaginaire. » (JoBlo) Le voilà pourtant à un âge où la question se pose : jusqu'à quand peut-on « jouer» sérieusement ? L'âge, la vie, les alertes L'âge, bien sûr, pèse. King évoque cet accident de voiture survenu alors qu'il était, selon ses mots, dans son « meilleur moment ». « Il me reste peut-être dix ou quinze ans, mais on ne peut pas compter là-dessus, voilà tout. » Le « garantie expirée » n'est pas qu'une pirouette d'humour macabre : c'est une phrase traversée par la vulnérabilité. Sa création littéraire ne s'éteint pas ; elle prend acte du temps. Pour le monde de l'édition, cette posture a quelque chose d'exemplaire : un auteur majeur qui anticipe le retrait sans drame, mais avec lucidité. Pour les lecteurs, c'est à la fois un soulagement et un pincement : réjouissons-nous que King reste «un homme occupé », tout en sachant que peut-être, un jour — pas demain, mais bientôt —, ce sera le dernier roman. Et quel roman ce sera. Car si la ligne d'arrivée se profile, la qualité demeure une obsession. King refuse d'écrire pour écrire ; il veut encore «surprendre ». Le monde littéraire, éditeurs compris, ne peut qu'attendre ce qu'il appelle cet « espace pour explorer », avec le demi-sourire de celui qui sait que l'horreur, comme la vie, n'est jamais bien loin. Alors que bien des auteurs regardent dans le rétroviseur, Stephen King regarde l'horizon — sans illusions, mais sans renoncement. Le moment est venu de se demander : comment se conclura ce chapitre monumental ? Par un dernier voyage dans les Territoires, un ultime roman de Holly Gibney... ou une surprise ? Car même « hors garantie », King reste ce qu'il a toujours été : un survivant de la fiction, un conteur têtu. Et tant que sa plume aura encore un peu de force, nous serons là, prêts à le suivre.