Le Maroc au cœur des rivalités européennes La mainmise sur le Maroc s'avéra plus difficile à réaliser. Le royaume Chérifien demeurait en effet, au tournant du siècle, avec l'Éthiopie et le Libéria, l'un des derniers territoires africains encore indépendants. Héritier d'une longue histoire, illustrée par plusieurs grandes dynasties, le Maroc avait, jalousement, préservé son indépendance, mais l'autorité du sultan ne s'étendait qu'au bled es makhzen et le souverain devait compter avec les dissidences chroniques des tribus berbères accrochées à leurs repaires montagnards. Outre la France, le Maroc intéressait par ailleurs au plus haut point plusieurs puissances européennes, parmi lesquelles l'Angleterre, l'Espagne, l'Italie et, plus récemment, l'Allemagne, depuis que l'Empereur Guillaume II avait décidé de mettre en œuvre la «politique mondiale» dont s'était toujours méfié Bismarck. Plusieurs crises internationales survinrent ainsi, à propos du Maroc, et retardèrent longtemps la mise en place du protectorat français. Le «coup de Tanger» – le discours prononcé en 1905 dans cette ville par le Kaiser – conduisit à la conférence internationale d'Algésiras qui, l'année suivante, laissa une marge de manœuvre importante à la France, qui s'était déjà entendue avec l'Italie, en 1902, et avec l'Angleterre, en 1904, pour acheter – contre l'abandon de ses prétentions en Tripolitaine et en Égypte – sa liberté d'action dans le royaume chérifien. L'émeute de Casablanca, consécutive à la construction d'un chemin de fer dont le tracé traversait un ancien cimetière musulman – entraîne en 1907 un massacre d'ouvriers européens et le bombardement de la ville. L'affaire des légionnaires déserteurs accueillis au consulat d'Allemagne est à l'origine d'une nouvelle crise franco-allemande en 1908. Elle est, à peine, réglée quand l'intervention française à Fès, engagée en 1911 à la demande du sultan, a pour conséquence l'arrivée, devant Agadir, de la canonnière Panther et le débarquement d'un petit contingent allemand. L'habileté de Joseph Caillaux permet, cependant, de surmonter la crise, au prix du «troc» qui laisse à la France les mains libres, au Maroc, contre la remise à l'Allemagne d'une partie du Congo. Plus rien ne pouvait arrêter les Français et la convention de Fès, conclue en 1912 avec le sultan Moulay Hafid, établit un protectorat qui allait durer un peu plus de quarante ans. La prise de Marrakech, dès 1912, celle de Taza en 1914, permettent au général Lyautey de «tenir» le Maroc avec des effectifs réduits, tout au long de la première guerre mondiale, mais des poches de résistance montagnardes persisteront jusqu'au début des années trente et la guerre du Rif, qui mit en péril le Maroc espagnol, incita les Français à intervenir contre le chef indépendantiste Abd el-Krim, finalement contraint à la reddition. Le statut administratif de l'Algérie : du second Empire… L'Algérie et les deux protectorats tunisien et marocain connurent des régimes différents. Une fois réalisée la conquête du territoire algérien, la question se posa de son statut administratif. Le pays devait-il relever des autorités civiles ou des chefs militaires ? Était-il souhaitable d'y développer une colonisation de peuplement ? Quelle politique convenait-il d'adopter vis-à-vis des populations indigènes ? Autant de problèmes auxquels furent apportées des solutions successives et contradictoires, dont aucune ne se révéla, finalement, satisfaisante. Bugeaud avait rêvé d'une colonisation militaire de paysans-soldats, mais les volontaires se firent attendre. Le Second Empire, à ses débuts, remplaça le Gouverneur général, qui était un militaire, par un Ministre de l'Algérie et plaça les territoires civils sous l'autorité de préfets tout en encourageant initialement la poursuite de la colonisation, une entreprise incertaine dans la mesure où la situation démographique et économique de la France ne pouvait guère susciter des vocations pour le départ outre-mer. Les colons venus de métropole furent toujours trop peu nombreux et, si l'on excepte les vaincus de juin 1848 et de décembre 1851, certains Alsaciens-Lorrains protestataires de 1871 et quelques communards éloignés outre-Méditerranée, les immigrants ne furent jamais en mesure de fournir les masses nécessaires à une véritable colonie de peuplement, alors qu 'Espagnols, Italiens ou Maltais formaient une bonne partie des arrivants. La colonisation posait, également, le problème des terres qui, quand elles ne furent pas directement mises en valeur, comme ce fut le cas dans la Mitidja, furent prélevées sur les biens communautaires indigènes ou les terrains de parcours des éleveurs nomades de l'intérieur. Une telle situation ne pouvait qu'être source de conflit ; Napoléon III en prit conscience, après le voyage qu'il effectua en Algérie en 1860, à l'issue duquel il tenta de mettre en œuvre sa nouvelle politique dite du «royaume arabe». Appliquant à l'Algérie le principe des nationalités, qui lui était cher, l'Empereur, qui préférait «utiliser la bravoure des Arabes, que pressurer leur pauvreté», imaginait alors un royaume indigène associé à la France, ce qui impliquait de limiter la colonisation européenne et de rendre au pouvoir militaire son ancienne primauté en constituant, notamment, des «bureaux arabes». … à la IIIe République À l'inverse, les républicains victorieux revinrent au régime civil, prétendirent assimiler l'Algérie à la France, créèrent trois départements, confiés à des préfets, et firent des Israélites autochtones des citoyens français de plein droit. Ces transformations entraînèrent des troubles graves qui culminèrent, en mars-juillet 1871, avec la révolte du cheikh Mokrani. Elle fut promptement réprimée, et les terres confisquées furent distribuées aux colons alors que la centralisation Jacobine, triomphante, s'appliquait à un pays bien différent de la France métropolitaine. Jules Ferry, lui-même, en convenait, en 1892, en constatant dans le rapport d'une commission sénatoriale «que les lois françaises n'ont point la vertu magique de franciser tous les rivages sur lesquels on les importe, que les milieux sociaux résistent et se défendent et qu'il faut, en tout pays, que le présent compte grandement avec le passé… Il n'est, peut-être pas, une seule de nos institutions, une seule de nos lois du continent, qui puisse, sans des modifications profondes, s'accommoder aux 270 000 Français, aux 218 000 étrangers, aux 3 267 000 indigènes qui peuplent notre Empire algérien…». Une relative autonomie fut reconnue à l'Algérie à partir de 1896, dans la mesure où le Gouverneur général redevint le chef de l'administration algérienne, qui ne dépendit plus, directement, des ministères parisiens concernés. À partir de 1898, l'Algérie eut son propre budget, voté par les Délégations financières où siégeaient des délégués élus d'Européens et de notables indigènes. Le pays connut des progrès rapides, largement mis en avant par la célébration – en 1930, un an avant la grande Exposition coloniale du bois de Vincennes, du centenaire de la conquête. Les protectorats tunisien et marocain Établi en 1881, le régime du protectorat tunisien fut précisé, en 1883, par de nouvelles conventions. Le pays gardait son gouvernement et son administration indigènes, mais sous contrôle français. Les différents services administratifs furent, ainsi, dirigés par de hauts fonctionnaires français, et un résident général reçut la haute main sur le gouvernement alors que la France représentait le pays sur le plan international. La colonisation se développe, rapidement, et permet le développement des cultures de céréales et de la production d'huile d'olive, ainsi que l'exploitation des mines de phosphates et de fer, alors que les français installent, à Bizerte, un grand port de guerre. Confié à Lyautey, le Maroc devient, sous son autorité, un modèle de colonisation réussie. Hostile aux projets assimilationnistes, qu'il jugeait parfaitement irréalistes, le chef militaire qui s'était formé à l'école de Gallieni sut pacifier un pays traditionnellement rebelle et établit, solidement, l'autorité du sultan mais il reconnut, en même temps, l'identité et la personnalité du royaume Chérifien et s'efforça de les valoriser, de réaliser, en fait, à un demi-siècle de distance, ce qui avait été le projet de royaume Arabe algérien de Napoléon III. Cela ne nuit, en rien, à la modernisation du pays, symbolisée par le rapide essor de Casablanca, alors que l'installation de la capitale Chérifienne à Rabat, sur la côte atlantique, rompait avec la tradition qui avait fait de Fès, de Marrakech ou de Meknès les grandes cités historiques de l'intérieur du pays. (Suivra)