La crise financière sans précédent depuis 1929, comme l'avoue Alan Greenspan lui-même (ancien président de la Réserve fédérale américaine), qui secoue les principales places boursières du monde démontre que le système néolibéral est un échec cuisant, parce que le marché ne peut se réguler de lui-même sans l'intervention de l'Etat. Sergio Rossi, professeur d'économie à l'Université de Fribourg, et d'autres spécialistes, confirment cette opinion. [1] Après la crise de 1987, celles de 1997 et de 1998 qui ont secoué, respectivement, les marchés asiatiques et russe, celle du Nasdaq de 2001, les faillites d'Enron et de Parmalat, la crise alimentaire (qui menace la survie alimentaire de plus de 40 pays) et celle des subprimes, le capitalisme nous offre un nouvel aperçu de son visage hideux. La première partie de cette crise a éclaté avec la faillite de Lehmann Brothers et de Merrill Lynch, en septembre, qui se répercuta sur les places boursières. Puis, vint le fameux lundi noir du 6 octobre, où toutes les Bourses chutèrent (Paris -9.05%, Londres -8,5%, Francfort -7,07%, Moscou -19%, Milan -8,24%, Djakarta -10%). La Bourse japonaise continue sa descente et a perdu près de 50%, en 1 an. La plupart des pays dont l'économie est liée au néolibéralisme sont touchés (même l'Islande, dont la croissance fit des envieux, pâtit de ces dysfonctionnements). Le Fond monétaire international (FMI) a, d'ailleurs, revu les prévisions de croissance mondiale à la baisse. Cette crise provoque une perte de confiance chez les investisseurs et, de ce fait, plus personne ne prend de risques au niveau des investissements et des prêts. Ce mécanisme va toucher l'économie réelle, productrice de biens, puisque les industries et les entreprises ne peuvent plus emprunter, tout en voyant leurs productions réduites à cause de la frilosité des consommateurs. En Allemagne, on parle déjà de récession et le secteur de la construction automobile est touché (5 000 salariés sont déjà au chômage technique, dans ce secteur, depuis le mois d'octobre). Chez BMW, cette crise diminuera la production de voitures de 40 000 unités. Dans ce pays, la croissance ne devrait être que de 0,2%, l'année prochaine. Les nombreux apôtres du libéralisme sont les premiers à faire appel aux Etats, pour recapitaliser et renflouer les grands établissements financiers victimes de cette crise. On se retrouve, donc, dans la logique suivante : privatiser les bénéfices et nationaliser les pertes. Bien entendu, ces interventions du partenaire étatique sont en complète contradiction avec les idées néolibérales. De plus, ces mêmes organismes, et leurs bras internationaux (FMI, OMC, BM) empêchent les pays en voie de développement de recourir aux mêmes procédés A titre d'exemple, George W. Bush, grand défendeur du libéralisme, vient de faire adopter un plan de sauvetage de 700 milliards de dollars, argent du contribuable américain, qui sera injecté dans la machine économique. En tout, l'Union européenne (UE) débloquera 1 700 milliards d'euros, pour venir en aide aux requins de la finance. Les mauvaises langues disent, déjà, que ce déblocage d'argent dans la zone euro ne servira qu'à aider l'économie américaine. On a appris la sinistre nouvelle que la Suisse, à son tour, débloque 68 milliards de francs pour venir en aide à l'UBS. Bien entendu, ces dépenses faramineuses se feront contre de nouvelles coupes dans les budgets sociaux, ce qui engendrera de nouveaux problèmes sociaux et économiques qui se répercuteront sur les classes moyennes. A Genève, le Conseil d'Etat pourrait revoir son budget et remettre en cause certains acquis et la promesse du 13e salaire pour la fonction publique, et refuse de débloquer quelques millions supplémentaires pour l'application de l'Initiative 125 (demandant une juste dotation pour le personnel au niveau des EMS). Le plus choquant est que 40 milliards de dollars suffiraient pour permettre à chacun d'avoir accès aux soins, à l'eau potable et à l'éducation, mais cet investissement ne rapporterait pas un sou aux prédateurs de la finance ! Le capitalisme est un échec total, comme le montrent les conséquences humaines et sociales de cette économie, qui s'aggravent encore suite à cette récente crise. Aux USA, le taux de chômage atteint actuellement les 6,1%, contre 4,7% il ya un an. Certains économistes estiment que ce taux pourrait grimper jusqu'à 7,5%. Le néolibéralisme ne permet pas de résoudre la pauvreté, même dans les pays riches, puisqu'il y a 37 millions de pauvres aux USA, et 16% des citoyens de l'Union européenne sont touchés par ce fléau (19% chez les enfants). De plus, dans ces mêmes pays, le phénomène des travailleurs pauvres devient préoccupant : entre 200 000 et 300 000 en Suisse, environ 20% en France et 30% aux USA (certains économistes estimaient que les bas salaires permettraient la relance dans la productivité, à ce titre, les salaires ont reculé de 5% en trois ans dans la patrie de Goethe…). Les Etats-Unis comptent près de 50 millions de citoyens qui n'ont pas d'assurance maladie et 18 000 meurent chaque année faute de prise en charge pour des questions économiques. Dans le monde, les inégalités n'ont jamais été aussi flagrantes que de nos jours malgré les promesses d'un néolibéralisme apportant une prospérité généralisée. Alors que l'on connaît une période de production de richesses sans équivalent dans l'histoire, près de 3 milliards d'individus vivent avec moins de 2 dollars par jour et 1,1 milliard avec moins de 1 dollar par jour (ce dernier chiffre, il est vrai recule depuis 20 ans mais bien moins vite que la croissance économique). De plus, 900 millions de personnes souffrent de la faim dans le monde (alors que nous pourrions nourrir près de 10 milliards d'individus), 150 millions d'enfants sont victimes de la malnutrition et près de 8 millions d'entre-eux meurent chaque année, le 1/5 de la population mondiale détient 86% des richesses de la planète. L'inégalité entre les pays pauvres et riches était de 1 contre 3 au XIXe siècle, elle est actuellement de 1 contre 60 ! Le néolibéralisme crée aussi des inégalités dans les pays riches en permettant à une classe de citoyens d'être de plus en plus riches et aux autres une paupérisation accrue : aux USA, les 10% des revenus les plus élevés ont perçu 48,5% des revenus déclarés (contre 33% en 1970). Le dixième supérieur de ce groupe ont vu leur revenu augmenté de 908 000 dollars en un an et le centième le plus riche de 4,4 millions de dollars par an. Par contre, les revenus des 90% les plus pauvres ont diminué de 172 dollars. Pis, 407 familles américaines disposent des mêmes revenus que 3,5 milliards d'habitants. [2] A souligner aussi la montée en puissance des multinationales : les 500 plus grosses d'entre-elles contrôlaient, en 2004, 52% du produit national brut (et l'équivalent des avoirs cumulés des 133 pays les plus pauvres du monde) mais n'emploient que 1,8% de la main-d'œuvre mondiale . Un bref regard sur l'histoire nous permet de comprendre pourquoi nous en sommes arrivés à ce stade. Nous avons assisté dans les années septante, à la fin d'un capitalisme industriel issu du XIXe siècle (bien que pouvant être fortement critiqué au niveau syndical, écologiste et social, ce système a tout de même produit des richesses) par un capitalisme financier qui ne vit que sur les rentes et la spéculation. Il ne produit rien mais au contraire détruit les emplois, les ressources naturelles et la production pour le bénéfice de quelques parasites. A ce sujet, l'économiste Walter Wittmann déclare : «Les marchés financiers se sont dissociés de l'économie réelle et mènent leurs affaires pour leur propre compte. L'objectif est de réaliser le plus de bénéfices possible sans travail…» [3] Parallèlement, le système de Bretton Woods (système international de régulation économique et monétaire), mis au point par les USA et la Grande-Bretagne en 1944, a institué un contrôle étatique des capitaux et des devises. Ce contrôle a été abrogé par le gouvernement américain, en 1971, et permit dès lors une grande fluidité des capitaux. La machine pouvait se mettre en route. En outre, les années cinquante, soixante et septante ont été marquées par la période dite des «trente glorieuses» qui combinait état social et capitalisme, ce qui signifie que l'Etat pouvait prélever une partie de ses revenus et le redistribuer dans le domaine social et public dans un esprit non lucratif. Ce système prévaricateur provient de la pensée de Milton Friedman et du consensus de Washington. Friedman, célèbre économiste de l'Ecole de Chicago, préconisait que le rôle même de la démocratie est de faire des bénéfices, donc une politique qui s'opposerait aux intérêts du marché serait contraire à la démocratie. Quel bel exemple de sophisme ! L'Etat doit s'occuper uniquement de maintien de l'ordre et de la sécurité ; il doit aussi aider ses entreprises à trouver des débouchés. Le domaine social et la répartition des richesses sont déterminés par le sacro-saint marché et s'autorégulerait. Friedman alla même jusqu'à soutenir les militaires chiliens qui renversèrent le président Allende (en 1973) pourtant élu démocratiquement. Le libéralisme peut donc s'acoquiner de régimes fascistes et dictatoriaux. Eduardo Galeano se demandait d'ailleurs comme préserver les inégalités autrement que par des décharges électriques. Une récente recherche démontre d'ailleurs que ce système ne peut exister que grâce à son système carcéral qui permet de neutraliser des franges entières de la population paupérisées et marginalisées par le néolibéralisme (aux USA, les Afro-Américains représentent 13% de la population mais constituent 1/5 de la population carcérale ; dans ce pays, le nombre de prisonniers atteint les 2 millions contre 380 000 en 1975). Pour revenir à notre «illustre» économiste, ce dernier avait développé la stratégie suivante : attendre qu'une crise survienne puis, une fois les citoyens sous le choc, dépecer l'Etat en le privatisant. Cette technique est appelée : «stratégie du choc» et, selon Naomi Klein, aurait été appliquée notamment en Iraq, en Amérique latine et lors de l'ouragan Katarina. [4] Cela peut paraître excessif mais Friedman avait une véritable mission : celle de purifier l'économie des ingérences de l'Etat. Longtemps mis en minorité, Friedman put appliquer ces théories lors de l'arrivée au pouvoir de Ronald Reagan et de Margaret Thatcher qui étaient des fans de cet homme. Puis, survint le Consensus de Washington en 1989. Cette expression formulée par l'économiste américain, John Williams, se propose de libéraliser complètement les échanges économiques et de diminuer le rôle des Etats. Ainsi, les capitalistes pourront tirer encore plus de dividendes pour financer les nouvelles technologies et répondre aux exigences du capitalisme financier qui réclame des capitaux importants. Cette doctrine, promulguée au début pour l'Amérique latine, a pu s'étendre partout dans le monde en bénéficiant de l'écroulement de l'URSS. Elle exige l'ouverture complète des marchés, notamment des pays en développement, une réforme de la fiscalité (qui profite aux plus riches), des privatisations massives dans tous les secteurs y compris dans les services publics et une offensive contre les droits des travailleurs. Le capitalisme entrera ainsi dans sa phase de destruction. Les monopoles, produits par les fusions et les rachats (avec, à la clé, de nombreux licenciements) principaux symptômes de ce nouveau mal domineront le paysage économique. Dans l'aéronautique, il n'y a plus que deux constructeurs principaux : Boeing et Airbus ; dans l'automobile, on ne trouve qu'une douzaine de grandes entreprises contre 25 en 1990. Le nombre de fusions est passé de 1 719 en 1985 à 11 169 en 2000. Ces fusions ont rapporté près de 14 099 milliards de dollars pour la seule année 2000. En outre, la capitalisation boursière a un taux de croissance très impressionnant par rapport à celui du PIB (ou économie réelle) : 16% en moyenne dans le monde entre 1990 et 1999 et la moyenne mondiale du PIB était de 3,3%.On comprend que l'investissement spéculatif rapporte nettement plus que l'investissement dans l'économie réelle. Le monde est transformé en un gigantesque champ de bataille où les Etats et leurs multinationales tentent de s'emparer de nouveaux marchés en écartant violemment leurs rivaux. Les sociologues allemands ont parlé, pour décrire le phénomène précité, du Killerkapitalismus (capitalisme tueur). Jean Ziegler nous l'explique très justement : -1) -les Etats du tiers-monde se battent entre eux pour attirer des investissements…Ils n'hésitent pas à réduire les déjà faibles protections sociales…2)-En Europe, les entreprises procèdent de plus en plus à la délocalisation et la simple menace d'une délocalisation induit l'Etat à céder de plus en plus aux exigences du capital à précariser le marché autochtone du travail…3)-Les travailleurs de tous les pays entrent en compétition les uns avec les autres la solidarité salariale est rompue entre la fonction publique et la fonction privée, une antinomie s'installe, le travailleur autochtone se met à haïr l'ouvrier immigré». [5] Il est évident que ce dogme est dangereux et impraticable. L'histoire économique de ces deux derniers siècles le démontre. Ainsi, Noam Chomsky nous apprend que : «les grandes compagnies du monde ont bénéficié d'une aide décisive des pouvoirs publics et qu'au moins 20 compagnies classées dans les 100 premières par le revue Fortune en 1993 n'auraient pu survivre de manière indépendante si elles n'avaient pas été sauvées par leurs gouvernements respectifs» et cet auteur poursuit au sujet de l'intervention de l'Etat qui : «a joué un rôle clé dans le développement et la diffusion de nombreuses innovations, en particulier dans l'aérospatiale, l'électronique, l'agriculture moderne, la technologie des matériaux et celle des transports, l'énergie». [6] (Suivra)