Ecrit en anglais, De Niro's Game est le premier roman du Libanais Rawi Hage. Ce récit quasi initiatique sur fond de guerre civile, d'amitiés trahies et d'exil a valu à son auteur le prestigieux prix Impac de Dublin 2008. Le Libanais Rawi Hage a été l'une des principales découvertes littéraires de ces dernières années. Ecrit en anglais – la troisième langue de Hage après l'arabe et le français –, le livre raconte la quête initiatique d'un jeune chrétien libanais sur fond de guerre civile, d'amitiés trahies et d'exil. Le titre renvoie à la célèbre scène du film de Michael Cimino sur la guerre du Vietnam, Voyage au bout de l'enfer, dans laquelle on voit le personnage incarné par l'acteur américain, Robert de Niro, tenter désespérément de tirer son ami d'enfance d'un lupanar vietnamien dont la principale attraction est le jeu de la roulette russe. Un jeu auquel les protagonistes de Hage s'adonnent avec des conséquences dévastatrices. Ce n'est, toutefois, pas la seule référence intertextuelle de ce roman. Roman littéraire par excellence, De Niro's Game procède par renvois subtils à de grands textes sur la guerre et ses terreurs, Beyrouth dévasté rappelant la Saïgon de Cimino, mais aussi l'Alger de Camus ou la Troie homérienne. Conrad et son cœur des ténèbres ne sont jamais très loin non plus. Une fraternité mise à rude épreuve «Les bombes pleuvaient et moi j'attendais Georges. Dix mille bombes s'étaient abattues sur Beyrouth, cette ville surpeuplée, et moi j'étais étendu sur un divan bleu couvert d'un drap blanc censé le protéger de la poussière et des pieds sales. Il est temps de partir, me suis-je dit. » Ainsi, commence De Niro's Game. Tout est dit dès ce début programmatique : l'horreur de la guerre, la lassitude et le fatalisme des victimes et, enfin, l'aspiration lancinante à l'exil. Nous sommes dans le Beyrouth des années quatre-vingt. En pleine guerre civile. Bassam et Georges sont deux amis d'enfance, deux frères dont la fraternité sera mise à rude épreuve par cette guerre qui n'en finit pas de dévaster leur ville et leurs vies. Des vies de petits truands, ponctuées par les bombes qui explosent sur les maisons, sur les places de marché, sur les foules. Tuant indistinctement miliciens et civils. Bassam a perdu sa mère lors d'un de ces bombardements. Celle de Georges est morte d'un cancer foudroyant. Rapprochés par leurs deuils respectifs, ils tentent de se soutenir moralement et matériellement. Proche de la milice chrétienne qui contrôle la partie ouest de la ville divisée, Georges entraîne son ami dans des trafics minables qui finissent parfois mal. Les virées nocturnes du duo, sur une moto ronflante à travers des routes de montagnes, le conduisent dans des villages haut-perchés où, à l'abri des bombes, les riches Beyrouthins s'adonnent aux plaisirs interdits de la drogue et de la chair. La réalité de la guerre finit par rattraper les deux amis, Georges prenant une part de plus en plus active dans la violence intercommunautaire qui embrase tout Beyrouth. Bassam, lui, parvient à s'enfuir à l'étranger. Mais réussira-t-il à se libérer d'un passé jonché de cadavres et de mystères qui ne cessent de hanter son esprit détraqué ? Un profond sentiment de futilité La plongée vertigineuse au cœur de la guerre civile que raconte ce roman a la force du vécu. Né en 1964, Rawi Hage a grandi dans un Liban croulant sous les bombes, avant de partir à l'âge de dix-sept ans se réfugier dans des contrées plus paisibles. Il a habité New York, puis s'est installé au Canada en 1992. Il vit, aujourd'hui, à Montréal où il exerce le métier de photographe. Dans De Niro's Game, il puise dans sa propre expérience de la guerre et de ses violences pour mener ce récit haletant de survie et de décadence sous les bombes. Empreintes d'un humour noir proche du désespoir, ces pages disent admirablement l'absurdité de la guerre. C'est pendant son séjour aux Etats-Unis que l'auteur a pris conscience de l'instrumentalisation des protagonistes de la guerre civile libanaise par des puissances extérieures. «Le Liban était devenu le théâtre d'une guerre par procuration, une guerre entre grandes puissances qui se foutaient royalement des croyances et des valeurs que les belligérants pensaient défendre», a expliqué Hage dans ses interviews à la presse, lors de la sortie de son livre en anglais en 2006. Porté par un sentiment profond de futilité que traduit magistralement l'écriture hallucinée, hachée de Hage, De Niro's Game est un roman très «camusie» où la conscience de l'absurdité de l'existence s'insinue jusqu'à la moelle des mots. Le lecteur en reste imprégné longtemps après l'avoir refermé. T. C. De Niro's Game, par Rawi Hage. Roman traduit de l'anglais par Sophie Voillot. Editions Denoël, 269 pages