Al Nahshabi qui compte parmi les maîtres d'Ibn Rashiq, était le premier à avoir inauguré la voie de la critique littéraire au Maghreb par son livre Al – Muntie. Il a été suivi dans cette voie par Ibn Rashiq et son collègue Muhammad Ibn Sharaf qui composa dans ce genre Rasa 'il Al intiqad (Correspondances de critiques littéraires). Cette période donne un éclat remarquable à Béjaïa , sous le règne des Almohades succédant aux Hammadites en 1152. Achir enfante Abû Ali Ibn Al – Achiri ( mort en 1173) qui redigea en l'honneur des Almohades son fameux Nadh 'm al – la âli fi futûh al – amr al – ali , l'illustre faqih et imam du grand M'zab , Abû yagub yûsuf Al-wargalani décédé en 1174 se distingue par son œuvre maîtresse Kitab ad – dalil oua l'bourhan. Sous la tutelle des premiers Hafsides , Béjaïa perpétue son statut de cité éminemment favorable aux études de toutes sortes et prend déjà figure de «métropole de la science». Les musulmans lettrés, notamment andalous y affluent, et une sorte d'heureuse fusion entamée à Kairouan ne tarde pas à s'opérer entre d'une part la littérature maghrébine qui s'inspira de la finesse, de la délicalesse et l'imagination caractérisant la poésie andalouse : procédés «Mouashahat» et du «Zadjel» et d'autre part le littérature andalouse qui prit à son compte les caractères distinctifs de la littérature maghrébine à savoir , la vigueur , le sérieux et l'esprit militant . Ce fait est mis en évidence par les poètes andalous qui renoncèrent à la luxure et à la vanité de leur existence dans lesquelles ils se complaisaient pour se consacrer désormais à exhorter leurs compatriotes aux bonnes œuvres et au combat des infidèles. C'est le parti qu'avait pris le vizir Abû Al-Hasan Ibn Al Djad qui fit l'éloge de Yusuf Ibn Tashfine et l'encouragea dans sa lutte contre les princes des Taïfas à qui il reprochait de s'adonner à la débauche alors que lui-même (le vizir) s'excusait auprès de son maître Ibn Al-Qarawi Al-Islami, d'avoir négligé les affaires de l'Etat en s'adonnant aux jeux et à la boisson . A partir du VIIe jusqu'au XIIIe siècle, Béjaïa devenue pôle d'attraction des lettrés les plus éclairés , voit son activité intellectuelle s'intensifier. Des poètes brillants venus principalement de l'Andalousie conquise par les chrétiens y affluent, c'est le cas de AchChuchtari poète d'une sensibilité verlainienne «selon l'expression de Louis Massigron et d'Al-Hiralli auteur de poèmes métaphysiques , pleins de paraboles , d'allégories et d'évocations sublimes». En ce VIIe/XIIIe siècle, Tlemcen connaît également une certaine prospérité littéraire, avec notamment son digne représentant Ibn-Khamis (décédé le 1er Chawal 708/14 mars 1309) Et aux débuts du XIVe siècle, Tlemcen continue toujours à s'illustrer dans le domaine des lettres grâce aux largesses accordées surtout aux poètes et aux juristes par les rois Abdelwadideou Ziyanides. Mais la vie intellectuelle tlemcenéenne en ce VIIIe/XIVe siècle est incontestablement dominée par Abderahmane Ibn Khaldoun, l'illustre sociologue-historien né à Tunis en 1332 . Il fait ses études à l'université de sa ville natale et à 20 ans il entre au service du sultan hafside Abû Al Abbas. Puis, il se rend en Andalousie, ensuite à Béjaïa, à Biskra pour enfin se retirer dans la Qal'â Ibn Salama près de Frenda pendant 4 ans afin de rediger sa fameuse Mouqadima ou Prolégomènes, et la plus grande partie du Kitab Al-Ibar, le Livre des exemples instructifs ou Histoire Universelle . C'est à ce titre qu'il peut être revendiqué par l'Algérie, en cette période en fait où on peut parler, pour l'ensemble du Maghreb de fonds culturel et civilisationnel commun berbèro-arabo-andalou-musulman . Dans son ouvrage Historiens arabes, Sauvaget dit à propos d'Ibn Khaldoun : «Les Prolégomènes constituent son œuvre géniale. C'est un essai extrêmement original et perspicace pour dégager les lois de l'histoire et les caractéristiques de la société où il a joué son rôle, et cela d'un point de vue dynamique évolutionniste aussi bien que descriptif. On y trouve toute une méthodologie des sciences et de l'histoire en même temps q'un tableau serré des phénomènes religieux, politiques, juridiques, économiques, artistiques, militaires. Ce livre extraordinaire est un précurseur de la sociologie moderne qui n'est pas sans laisser penser à l'Esprit des lois de Montesquieu par la vigueur de la pensée et l'ampleur des vues exposées.» Pour sa part, Gautier, l'auteur des Siècles obscurs du Maghreb ne manque pas de rendre hommage à Ibn Khaldoun d'avoir ressuscité l'histoire du Maghrib en écrivant : «L'histoire du Maghrib pendant tout le Moyen-Age serait un fatras indéchiffrable, si nous la connaissons uniquement par des ouvrage comme les Qirtas. Sans Ibn Khaldoun, on peut affirmer pratiquement que, sauf des noms tout secs et des dates, à peu près rien n'aurait surnagé de ce qui s'est passé entre Tunis et Tanger depuis la venue des arabes jusqu'aux temps modernes.» Les IXe/XVe siècles voient l'émergence à Tlemcen de Al Sanusi (1490) ainsi qu' At - Tamasi (1494) et à Alger l'illustre Abderahmane Al-Thaâlibi, né en 1386 , et décédé en 1468, après des études à Béjaïa, Tunis, Le Caire , la Mecque , et l'enseignement à Alger où il achève son impressionnant parcours. Il est notamment l'auteur d'un commentaire du Coran et d'une compilation sur les fins dernières. Tlemcen prospère en ces temps et produira de beaux esprits tels qu'Ibn MaryamAl-Mâliti qui rassemble dans son Bustan en 1605 de remarquables notices hagiographiques , ou encore Ahmad Al Maqari (1591-1632 ) dont les précieux détails sur l'Andalousie rapportés minutieusement dans son Nafh Attib arrachent à Lévi provençal cette réflexion : «C'est ce qui donne à cet ouvrage une valeur inestimable , il place cette œuvre au tout premier rang de nos sources sur l'Espagne musulmane depuis la conquête jusqu'aux derniers jours de la Reconquista. Par la suite Ibn Abderrahmane Al-Tilimsani nous leguera son Azahra An-Naira alors qu'en Kabylie Al–Wartilani se distingue par son œuvre Nouzhat Al-Andar. De la symbiose des traditions spirituelles, culturelles et littéraires arabo-berbères Fortement enracinée dans les esprits, la tradition orale, en dépit des diverses littératures écrites présentesdu punique, latin, etc., ne connut une véritable mutation socioculturelle au Maghreb médiéval, vraisemblablement, qu'avec l'irruption du Coran, le premier livre qui a totalement (ou presque) imprégné la société quasiment «verbale» où il a surgi, à l'instar, d'ailleurs, de la société arabe moyen-orientale, essentiellement orale où il est apparu (l'écriture arabe préexistante avant l'avènement coranique n'ayant guère eu de prégnance large en se référant aux textes d'historiens et littérateurs orientalistes comme Lévy Provençal, François D.) Dans ce contexte, et pour reprendre les propos de Nassim Khoury «le Coran est le premier livre qui ait fait irruption dans une société «verbale». Il se superpose à l'improvisation et à la «bédouinité» pour proposer une vie nouvelle. Nous pouvons dire qu'il est une réinvention de monde par la révélation, mais sous une forme concrète et écrite, une forme qui a remis l'univers réel et irréel dans un système linguistique , une vision spéciale du monde exprimé par la révélation également spéciale d'Allah. (…) L'Islam, dans son mouvement d'une part, et dans cette nouvelle écriture d'autre part , constitue la première apparition de la modernité dans la société arabe, apparition qui a impliqué une vision large et profonde de l'univers et poussé l'homme à découvrir le monde et les civilisations de l'époque. Cette écriture a pris sur la pratique deux sens : l'écriture mihna (métier) commencée avec le Coran, ou écrivain signifiait scrib, et l'écriture dans un sens créateur, parue à la fin du VIIe siècle, où l'écrivain signifiait auteur. Ce dernier sens a été établi comme moderne au VIIIe siècle ; il a acquis sa maturité avec les écrivains soufis tel qu'Al-Hallaj, Al-Taawhidi ,etc., chez qui l'âme rejoignait le divin et fusionnait avec lui. Le «je» de l'auteur devient un «autre». Les soufites ont considéré l'écriture non comme une simple rédaction, mais comme une possibilité de transmission de leur vision.»( Avec l'islamisation progressive du Maghreb, le ton est donné également à la quête d'une symbiose harmonieuse progressive des diverses cultures et langages autochtones qui vont tout autant progressivement s'interpénétrer et se féconder, tout au long d'un laborieux processus maturatif : processus d'harmonisation des divers paramètres linguistiques, culturels et spirituels de l'africanité, amazighité, arabité, islamité et méditerranéité… lent processus de maturation qu'on devine aisément marqué de heurts fréquents et cycliques à chaque période d'évolution historique et d'exacerbation des rapports de force notamment. Le multilinguisme complexe lié à l'histoire du Maghreb en général, (présence berbère, punique et romain, conquête arabe, présence andalouse ou juiv, influence espagnole, portugaise, turque et française… ) a de tout temps joué un rôle important dans la formation et l'évolution culturelle de l'Afrique du Nord, influençant fortement l'arabe mais également dans le berbère . L'arabisation du Maghreb qui a commencé avec la première phase (VIIIe-XIIe siècles) appelée hilalienne s'est faite à partir de noyaux limités des populations arabes ou arabisées le long des voies commerciales surtout, mais la seconde phase, dite hilalienne est le fait de groupes arabe arrivés au XII-XIII e siècles. Avec le temps, des régions se sont arabisées mais parfois aussi à nouveau berbérisées comme en témoignent les parlers citadins reflétant l'histoire de l'urbanisation et l'importance des legs culturels préhilaliens andalous et juifs dans certains vieux centres urbains comme Alger, Constantine, Tlemcen, en Algérie, ou Tuni, Gafsa en Tunisi, Fès, Raba, Tétouan,Tanger, Casablanca au Maroc . (A suivre)