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Une histoire très «tintinphile»
Après, Tintin... de Frederic Grolleau
Publié dans La Nouvelle République le 16 - 12 - 2009

A tous ceux et à toutes celles à qui Après, Tintin... a «donné du tintoin» (1), cette interview accordée par Frédéric Grolleau (2) est une invitation à s'immerger dans l'univers de cette histoire tintinphile qui ne finit pas de dérouter. Encore... Et encore.
La NR : Le titre Après, Tintin... suggère une idée d'inachèvement. Il laisse entrevoir une suite voire une continuité... Quel est le sens de ce titre et son lien avec l'histoire ?
Frédéric Grolleau : Peut-être l'inachèvement est-il connoté par les points de suspension du titre - davantage que par le «Après» vaguement suspensif. Mais mon intention de départ était plutôt de jouer sur la postérité d'Hergé en montrant que celle-ci relevait désormais d'une certaine caducité. A l'heure où se multiptlient et se vendent sur tous suports tels des petits pains les pirates, pastiches et parodies des Aventures de Tintin et Milou, il me semble intéressant d'observer que Après Tintin (j'enlève la virgule), c'est-à-dire après le Tintin du Père, il n' a plus rien. Après le Tintin d'Hergé donc, ... tintin ! Le titre est aussi un clin d'œil à un commentateur d'Hergé qui a consacré un essai à la jeunesse du héros d'Hergé et qui s'intitule Avant Tintin.
Le livre ouvre sur un préambule intitulé Tout un tintouin qui se décline sous forme d'une fiche à l'allure pédagogique où tu te livres à une explication exhaustive de l'expression «faire tintin». Quel est le sens de ce détour sémantique ?
Que le mot tintin qui renvoie originairement à un son de cloches, de grelot (homophonie de mon patronyme), de monnaie ou au tintement de verres - thématique de mon premier roman, Monnaie de verre - qui s'entrechoquent permet d'associer au nom propre du reporter la dimension du manque et du vide - ce qui est en accord avec le titre du roman, qui tend à souligner que ceux qui exploient éhontément la créature d'Hergé ... «font tintin». Mais peut-être font-ils aussi Tintin au sens où certains parodistes se montreraient plus fidèles en poursuivant l'œuvre d'Hergé à leur façon que les héritiers juridiques d'Hergé dont on connaît la rudesse et l'intransigeance en matière de gestion de l'héritage du Maître (ils nous privent ainsi du trésor que pourraient constituer des parodies respectueuses des codes hergéens et nous amènent, en ce sens, à faire tintin de Tintin. Ce qui nous cause du tintouin...) .Ce précis de polysémie est la première partie de l'ouvrage que j'ai écrite une fois venue l'idée générale et il était important pour moi qu'il figure ainsi en tête du roman afin de proposer une direction interprétative au lecteur, tant Après, Tintin..., à mes yeux, est un véritable jeu de pistes.
Il m'amusait, par ailleurs, de rappeler que le mot tintin apparaît dans le langage des troupes vu que l'un des mes héros, collectionneur fou et redoutable psychopathe, est présenté comme enseignant au lycée militaire de Saint-Cyr l'Ecole.
Sur la couverture du roman, Tintin est représenté tenant dans ses deux mains un objet qui pourrait être un livre ou une tablette sur lequel figure les noms de «Jésus-Christ» et «Dieu», un objet à connotation religieuse. Quel est la message véhiculé à travers cette image qui peut avoir un effet déroutant ?
C'est que j'aime beaucoup dérouter, ma foi... Plus sérieusement, cette photographie m'a été obligeamment cédée par le journaliste Gérard Ponthieu, spécialiste des pays africains et qui tient un blog sur le site du monde (http://gponthieu.blog.lemonde.fr).
Elle représente une statue, Tintin et Milou en plâtre/ciment vus de dos (ce qui permet d'éviter des problèmes de droit à l'image), située près d'une guinguette à Kinshasa où Mobutu aimait se rendre. Dès que je l'ai vue, j'ai compris que ce serait une couverture parfaite pour imager mon roman car, certes, il y a un clin d'œil à l'aspect religieux de la tintinomania - certains collectionneurs considèrent certaines pièces émanant du fond Hergé comme autant de reliques - mais, surtout, j'ai été attiré par la mise en abyme que représenterait la première de couverture d'un livre sur Tintin où le lecteur verrait Tintin tenant lui-même dans ses mains un livre etc. Si j'en avais eu les moyens techniques j'aurais même pu mettre la couverture de mon roman en lieu et place des mentions religieuses et le vertige eût été complet !
Le Kli-Oskh Club (K.O.C.) est animé par deux hommes et une femme qui se définissent comme des «apôtres du tintinisme», «obsédés par le rééquilibre du Bien dans l'univers de Tintin. Le «Bien» est opposé à la notion du «mal». Quel est le sens attribué à ces deux notions dans le contexte tintinien ? Comment se déclinent-elles dans l'univers de Après, Tintin… ?
C'est là une question assez technique : pour faire simple, disons que Tintin cherche toujours à promouvoir le bien, à sauver la veuve et l'orphelin, ce qui l'amène au fil de ses exploits à devoir combattre tous ceux qui veulent déstabiliser le monde vertueux auquel il croit. Mais ce chevalier à la gaie figure, pour moquer Cervantès, n'est pas toujours pris pour le paradigme de la probité par les pirates et autres parodistes, sans parler des commentateurs qui font subir à l'innoncence de Tintin les pires analyses -psychanalytiques, franc-maçonnes entre autres. Il était donc temps que des thuriféraires d'Hergé viennent venger l'honneur de son «fils», c'est-à-dire s'attaquer à ceux qui osent renverser le Bien tintinien en un Mal tintinoclaste. Les mécréants que traque le K.OC - ostensiblement inspiré par le Fight Club de David Fincher - sont ainsi amenés, le temps d'un repas ou d'une interview, à se repentir de leurs erreurs interprétatives avant d'être exécutés en prenant modèle sur un crime commis dans les Aventures de Tintin et Milou. C'est une sorte de retour à l'envoyeur façon Copycat pour ainsi dire...
Pour les lecteurs qui ne comprendraient pas à quel point il y a une littérature infinie sur Tintin - où tout n'est pas «mal» je précise - je renvoie au site dédié au livre où se trouve un imposant appareil de notes et de renseignements bibliographiques. Je fais figurer, notamment, sur le site toutes les tintinades (de vrais documents n'ayant pas été façonnés par l'imaginiare du romancier) que je n'ai pas pu intégrer dans le livre parce qu'elles auraient pris trop de place..
L'objectif des membres du K.O.C. vise à lutter contre «la marchandisation ou la surinterprétation de l'univers tintinien». Il y a dans leur attitude vis-à-vis de Tintin et de son concepteur une tendance à la sacralisation voire de la «tintonomania» une . Qu'est ce qui motive ce positionnement ?
De toute évidence, je crains que nos trois gaillards n'aient été bercés trop près du mur ! Le propos est, certes, outré, mea maxima culpa, mais, en cette période de forte intolérance religieuse, je suis parti du principe qu'il fallait répondre à l'exagération (i.e la surinterprétation de l'univers tintinien) par l'exagération, soit le délire de trois fans psychotiques qui décident un beau jour d'exécuter tous ceux qui blasphèment en portant atteinte aux valeurs hergéennes. Comme tous les fous, ils ont tout perdu, sauf la raison - la preuve : deux d'entre eux sont des professeurs de philosophie - , ce qui les rend encore plus dangereux et nuisibles !
Par moments, le «Je» narratif laisse transparaître en filigrane un «je» biographique. On a le sentiment par moments que le narrateur se confond avec l'auteur. Quelle est la part d'autobiographie dans Après, Tintin... ?
Comme dans toute démarche littéraire, il faut bien à un moment ou à un autre que l'auteur puise dans une partie de son vécu, de son expérience personnelle pour donner corps à ses personnages et aux lieux qu'ils peuplent mais la plupart des informations et éléments mis en scène dans Après,Tintin... relève de l'imagination du romancier. Il ne faut pas croire que parce que le narrateur dit «je» c'est forcément moi : si, en effet, je reconnais sans honte aucune aimer l'univers de Tintin je n'en suis pas encore à rêver la nuit de la façon dont je vais tuer ceux qui le spolient...
De ce point de vue, n'en déplaise à mes détracteurs, il s'agit bien en la matière d'un roman à consonnance fictive et non d'une autobiographie.
Nadia Agsous
1) Selon Frédéric Grolleau, «donner du tintoin à quelqu'un» signifie «l'embarrasser, lui donner du souci.. », p. 11.
2) Fréderic Grolleau est critique littéraire et auteur de plusieurs ouvrages. Pour en savoir plus sur cet auteur : http://www.fredericgrolleau.com/
3) Fréderic Grolleau, Après, Tintin..., BoD, avril 2009, 176 pages, 11 euros.


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