Pourtant, ce n'est pas le talent qui lui manque, lui qui avait la plume facile et l'imagination fertile. En témoignent tous ces contes ou ces poèmes légués à la postérité et qu'un éditeur propose, aujourd'hui, de redécouvrir mais surtout d'apprécier. Rachid Khettab explique dans la note de l'éditeur que «quarante-six ans après sa parution et soixante ans après sa création, (il) remet entre les mains du lecteur l'œuvre quasi complète de Belaïd Naït Ali : une œuvre fondatrice de la littérature moderne kabyle». Publiés une première fois en 1963 par le Fichier de Documentation Berbère (F.D.B.), ces cahiers n'ont pas touché un vaste lectorat du fait d'un tirage réduit. Cette présente édition escompte faire connaître l'œuvre de ce poète et le sortir de l'anonymat. Né en 1909 à Azrou-Kellal, village de la fraction des Aït-Khelef, de la tribu des Aït-Menguellet, dans le secteur de Michelet (actuellement, Aïn El-Hammam), Belaïd Naït-Ali a très tôt appris à lire et à écrire grâce à sa mère Dahbia, institutrice qui l'a initié à la langue française qu'il parlait avec ses frères et sœurs, en même temps que sa langue maternelle, le kabyle. En 1915, Belaïd entre à l'école où il se distinguera pour avoir déjà la maîtrise orale du français. Il restera à Azrou jusqu'à l'âge de onze ans, année où son demi-frère Mohand-Saïd, installé en France, le prend chez lui. Installé dans le XIXe arrondissement, Bélaïd y passera six ans, sous l'œil bienveillant de son frère et de sa belle-sœur qui prenaient grand soin de lui. L'environnement et l'enseignement parisien font de Bélaïd un enfant vivace, très ouvert à la lecture, à la musique et aux arts. De plus, son physique -- il était blond tirant sur le roux --, l'aidera à s'intégrer dans son nouveau milieu et il prendra même le prénom de Robert. Mais à la suite du décès de son père, il regagne son village natal. Il a tout juste seize ans. Fréquentant l'école publique d'Azrou, Belaïd n'obtint pas le CEP et se retrouve livré à la vie active. Commence alors une vie d'errance que son mariage forcé ne réussira pas à stopper. Parties de domino, palabres interminables sur les terrasses des petits cafés, Belaïd n'a de cesse de tuer le temps. Un jour, il débarque à Alger, pour chercher du travail, en attendant le service militaire qui allait lui fournir l'occasion d'une vie organisée. Il est bientôt caporal, sergent, puis sergent-chef. A la mobilisation de 1939, Belaïd participe à la campagne de Tunisie, sur la ligne Mareth, il est atteint de scorbut et y perd toutes ses dents. Un jour, en 1943, son régiment doit partir pour la Corse. Désirant boire quelques verres avant d'embarquer, il s'oublie. Entre-temps, le corps expéditionnaire a levé l'ancre. II est, donc, déserteur… et sans le sou. Il vend son uniforme et endosse un complet d'occasion qu'il vendra, par la suite, pièce par pièce… pour… boire. Un vice dont il ne pourra jamais se débarrasser et qui le conduira à sa perte. Regagnant Alger, il mènera une vie de sans-abri. Il écrit alors les souvenirs de cette période. Mais las de cette vie de vagabond, il rentre en Kabylie, retrouve à Azrou sa vieille mère. Belaïd est embauché sur le chantier de construction d'une usine électrique. Il n'a pas jusque-là, travaillé beaucoup de ses mains, mais, comme il sait lire et écrire, on fait de lui un garde-magasin, ce qui lui laisse tout le loisir qu'il peut souhaiter pour lire, jouer de la mandoline, dessiner, … etc. Comme il n'a pu cesser de boire, il est remercié au bout de quelques mois. Toute sa vie sera ainsi faite, de moment de lucidité et d'autres où il perd totalement toute notion de la réalité ambiante, en raison de son penchant immodéré pour l'alcool. Bien évidemment, cela ne sera pas sans conséquences sur sa santé. Atteint de tuberculose, il est d'abord hospitalisé à Tlemcen, puis à Oran, à l'hôpital Saint-Denis-du-Sig et, enfin, à Mascara. Il rendra l'âme à l'asile des vieillards de St André de Mascara, en 1950. Il était âge de 41 ans. Si l'auteur s'est exprimé par le conte, la poésie et autres mélanges, il faut dire que bien souvent, notamment à travers ces deux genres d'écriture, on sentait chez lui, une écriture salvatrice. Outre un style épuré, entraînant allègrement le lecteur, au cœur d'histoires fantastiques, l'auteur distille à travers les lignes des messages qui sont autant d'enseignements qu'il a tirés de ses dures et périlleuses expériences de la vie. D'où tout l'intérêt de découvrir l'œuvre unique de cet auteur kabyle. Hassina A. Belaid Naït Ali, Les Cahiers de Bélaïd, éd. Dar Khettab, Alger, 2009, 828 pages.