Petit reptile de l'ordre des squamates, de «ceux qui muent», les lézards n'en sont pas moins des précurseurs en matière d'art contemporain. En effet, et c'est de là que leur vient ce nom, cela fait des milliers d'années, sans doute même plus, que ces quadrupèdes énergiques nous gratifient régulièrement de sculptures d'écailles à leur propre effigie. D'aucuns s'émerveillèrent de la beauté de la mue, ainsi que de l'effort mis en œuvre pour y parvenir, tandis que d'autres affirmèrent qu'il ne s'agissait là que d'un besoin physiologique qu'il était parfaitement inutile de saluer. Longtemps, les deux camps s'opposèrent, alors qu'en fait, ils avaient tous les deux raison. En effet, la mue est un besoin physiologique ressenti par le reptile lorsque sa parure d'écaille est devenue trop petite, mais pourquoi donc ces exuvies seraient-elles laissées intactes sur place, sinon dans le but d'interpeller le monde en faveur de la beauté de celles-ci. Il existe des espèces qui la consomment, tout simplement, et pourquoi pas ? On appelle ça le recyclage. L'animal se fabrique une nouvelle parure et consomme l'ancienne, tout est parfaitement normal. Mais non, les lézards nous offrent ces petits bijoux d'écailles. Alors, par ironie pour ceux qui s'extasiaient devant ces créations, les sceptiques appelèrent ça les laids-arts, par opposition aux beaux-arts, qu'ils respectaient plus que tout, affirmant ainsi leur méprise pour toute production animale en matière d'art. Le nom perdura, quoi qu'il fut convenu entre les parties de ne le retranscrire que phonétiquement. Mais de nos jours, à une époque où l'art n'est plus qu'une vulgaire exposition du quotidien, ne devrait-on pas reconsidérer le sujet. Pourquoi les lézards n'auraient pas le droit d'affirmer leur créativité ? Pourquoi ne devrait-on pas reconnaître le quotidien d'un reptile comme artistique lorsqu'on considère celui d'un quelconque être humain comme tel, pour peu qu'il l'affirme ? Je me prononce donc officiellement pour la réhabilitation des lézards au rang d'artistes émérites, au moins pour la beauté du geste, peu importe le résultat, même si je sais bien que la parité homme/lézard n'est pas encore prête à voir le jour, malheureusement ! (Redif)