«J'ai grandi en terrain inhabité, entre larmes et soldats de plomb. Et avec un père qui s'obstinait à répéter que le point commun entre un serveur et un chanteur de l'opéra, c'est qu'il leur faut de bonnes chaussures pour bien travailler», explique le narrateur du nouveau roman de Henning Mankell qui vient de paraître en traduction française. Il est, en effet, beaucoup question de chaussures dans les Chaussures italiennes, un roman très littéraire du Suédois qui a à son actif, outre ses polars très populaires, un corpus substantiel de fictions non policières (une dizaine). Les Chaussures italiennes fait partie de ce corpus et raconte une histoire émouvante de quête de soi, d'errance (dont les chaussures sont la métaphore), de rédemption par l'amour, le tout sur fond du froid nordique dans lequel Mankell a pris l'habitude de camper sa fiction. Une intrigue sentimentale Le narrateur-personnage, Fredrik Welin, vit reclus depuis plusieurs années sur une île de la Baltique avec pour seul compagnon un vieux couple de chat et chien. Pendant dix ans, la seule visite humaine qu'il a reçue a été celle du postier qui lui apporte son courrier en «hydrocoptère». Le misanthrope fut, dans une autre vie, un chirurgien renommé qui vit sa carrière se briser suite à une erreur médicale tragique. Cette vie monacale dans laquelle l'homme s'est réfugié pour oublier le passé va basculer avec l'arrivée sur l'île, le jour du solstice d'hiver, d'une vieille femme atteinte d'un cancer incurable de l'intestin. Elle marche péniblement sur la glace, à l'aide d'un déambulateur. La femme n'est autre que Harriet, le premier grand amour de Welin. Harriet et Fredrik s'étaient aimés passionnément. Lui était alors étudiant en médecine, elle vendeuse dans un magasin de chaussures. Et puis un jour, Fredrik est parti aux Etats-Unis pour parachever ses études et n'a plus donné de nouvelles. Chacun a fait sa vie, s'est marié, a divorcé... Leurs retrouvailles, au crépuscule de leur vie, après quarante ans de séparation, viennent confirmer la force de leur lien interrompu ; elles seront l'occasion de redonner un sens à des vies à la dérive. Malgré le côté sentimental de son intrigue, les Chaussures italiennes est un roman original, profond, maîtrisé qui, mêlant le passé douloureux des personnages, leurs désespoirs et leurs tragédies à un présent fait de découvertes, de rencontres et d'événements inattendus, ouvre la perspective sur la vie, sur ses potentialités et sur les capacités des hommes à se dépasser pour se réinventer. C'est un récit sobre et intime, plus proche des films d'Ingmar Bergman - dont le romancier a épousé la fille en secondes noces - que des romans policiers ayant à la barre l'archi-populaire inspecteur Kurt Wallander qui ont fait connaître Mankell dans le monde entier. Une vie entre le Mozambique et la Suède Né en 1948 à Stockholm, Mankell est aussi un dramaturge reconnu. Il a d'ailleurs commencé sa carrière littéraire à l'âge de 20 ans avec une pièce de théâtre racontant les aventures coloniales de son pays en Amérique du Sud au 19e siècle. Depuis 1987, il dirige le Théâtre Avenida à Maputo où il vit une partie de l'année. L'intérêt de Mankell pour l'Afrique remonte aux années 1970 lorsque, jeune auteur, il a débarqué en Guinée-Bissau, puis en Zambie, «en quête d'un autre point de vue sur le monde que celui de l'ethnocentrisme européen». «Cette expérience africaine a fait de moi un meilleur Européen», aime dire l'auteur. Dans l'un de ses romans à paraître prochainement en français, intitulé le Chinois, l'intrigue policière tourne autour des agissements en Afrique des Chinois que Mankell qualifie de «nouveaux colonisateurs». Les Chaussures italiennes, par Henning Mankell. Traduit du suédois par Anna Gibson. Editions du Seuil, 341 pages.