A première vue, le désenchantement domine. La crise économique a laminé le porte-monnaie et le moral des Ukrainiens. En 2009, la monnaie locale a perdu 50 % de sa valeur, le PIB a chuté de 15 % et le chômage touche, aujourd'hui, 20 % de la population. «En 2004, nous avons cru que tout pourrait changer, nous avions confiance, mais, aujourd'hui, nos espoirs se sont envolés», soupire Lioudmilla, une mère de famille de Kiev qui travaille dans une agence de voyages. Pourtant, «après la «Révolution orange», nous avons commencé à respirer, à parler librement, sans nous méfier les uns des autres», reconnaît-elle. Les critiques ont beau pleuvoir sur le camp réformateur, accusé d'avoir trahi les promesses de réforme et de mieux-être faites en 2004, l'Ukraine a quand même gardé de beaux restes de sa révolution. L' «esprit du Maydan» – du nom de la place centrale de Kiev où les manifestants s'étaient alors rassemblés pour protester contre les fraudes, la censure et la tutelle du Kremlin – souffle encore. Cinq ans après, le pluralisme, la concurrence, la liberté de parole, sont bien ancrés dans cette ex-république soviétique de 46 millions d'habitants, située à la charnière de l'union européenne et de la Russie. L'Ukraine est un des rares Etats post-soviétiques dotée d'un vrai jeu politique. La présence de dix-huit candidats, lors du premier tour de la présidentielle, en fait foi. Le scrutin a d'ailleurs été décrit comme conforme aux normes démocratiques par l'Organisation pour la coopération et la sécurité en Europe (OSCE), qui avait dépêché sur place 600 observateurs. Selon un communiqué rendu public lundi, 18 janvier, par l'Organisation, le vote «a démontré le respect des droits civiques et politiques», offrant aux électeurs «un véritable choix entre les candidats». Chose impensable en Russie, en Biélorussie ou en Azerbaïdjan, ici la politique fait recette. Et il n'est pas rare d'entendre les gens discuter de leurs préférences politiques à voix haute dans les cafés. Interrogés sur leurs intentions de vote, les Ukrainiens se prêtent, volontiers, au jeu alors que, en Russie, ce genre de question suscite le plus souvent un profond malaise. Enfin, contrairement à ce qui se passe chez le voisin russe, il est tout à fait impossible, en Ukraine, de prédire à l'avance le nom du futur président. Le second tour du 7 février entre les deux anciens protagonistes de la «Révolution orange», la réformatrice Ioulia Timochenko et le conservateur Viktor Ianoukovitch, sera riche en suspense. Le chef de file des pro-russes a beau disposer d'une nette avance sur son adversaire au premier tour, rien ne garantit qu'il l'emportera au second. M. Ianoukovitch a obtenu 35,36 % des suffrages, dimanche, et Ioulia Timochenko 25 %, selon des résultats portant sur près de 97 % des bureaux de vote. La «Petite tigresse», selon le surnom qu'elle s'est donné sur les affiches de campagne, a donc 10 points à rattraper. Reste à convaincre les électeurs qui ont donné leurs voix aux autres candidats réformateurs (Sergui Tiguipko, Arseni Yatseniouk, Viktor Iouchtchenko, Volodymyr Lytvyn, Anatoli Hrystenko), soit environ 28 % au total, de voter «non pas pour elle mais contre Viktor Ianoukovitch», explique Volodymyr Fessenko, directeur du centre d'analyses politiques Penta. Selon les experts, Mme Timochenko est plus à même, que son adversaire, de rallier les voix qui sont allées dimanche aux petits candidats. De plus, «la base électorale d'Ianoukovitch est saturée, elle n'augmente pas», souligne l'analyste Viktor Nebozhenko. Son assise ne devrait guère dépasser les limites de son fief, à l'est et au sud du pays. Face à la «dame de fer», rompue à l'exercice de la libre parole, Viktor Ianoukovitch, dénué de charisme et piètre orateur, aura du mal à s'imposer. Est-ce pour cette raison qu'il refuse l'idée d'un face-à-face télévisé avec l'égérie du Maydan ?