Au moment où Américains et Russes reprennent leurs négociations sur le désarmement nucléaire et à quelques semaines de la venue de Dmitri Medvedev en France, il n'est pas interdit de réfléchir un peu à l'avenir de nos relations avec la Russie. Le Pacte de Varsovie est mort avec la chute du Mur et l'explosion de l'empire soviétique. L'OTAN, elle, a survécu à la disparition des causes qui avaient justifié sa création, à savoir la menace globale que l'URSS a fait durablement peser sur l'Europe, incapable d'y faire face seule. On a dit à l'époque que cette survie était due à la différence de nature entre les deux organisations. Le Pacte de Varsovie n'était que l'expression du diktat de Moscou sur les pays du bloc ; une fois l'emprise soviétique disparue, des pays jusque là contraints et forcés ont mis fin à leur soumission. Rien de commun avec l'Alliance Atlantique, disait-on, alliance de peuples libres et démocratiques qui ont clairement exprimé leur volonté de maintenir le lien qui les unit depuis 1949 : les Etats-Unis parce que l'OTAN restait leur seul forum institutionnel d'influence sur l'Europe ; les Européens parce qu'ils n'ont toujours pas, depuis 1991, les moyens - -- ni d'ailleurs la volonté -- de s'émanciper de la protection américaine. Soit. Mais plus de 20 ans après la chute du Mur, la situation a beaucoup évolué. D'abord parce que, pendant la décennie 1990, les Occidentaux n'ont pas géré intelligemment l'affaiblissement de la Russie. Ils ont commencé par prôner l'application immédiate des vertus supposées du capitalisme libéral à un pays sortant de 70 ans de communisme, avec les conséquences que l'on sait, entre autres la création d'oligarchies financières puissantes empêchant la constitution progressive d'un Etat de droit, démocratique et moderne, ce qui a conduit à la reprise en mains que l'on sait par Poutine. Puis il y a eu l'élargissement de l'OTAN. Celui-ci était, certes, incontournable : impossible de refuser à des peuples emprisonnés pendant si longtemps dans le système soviétique et qui se sentaient encore menacés,de se mettre sous la protection de l'OTAN, c'est-à-dire pour eux des Etats-Unis. Mais il n'a été ni innocent ni bien conduit vis-à-vis de la Russie. Pas innocent parce que les Américains ont vu, là ,(comme avec l'intervention de l'OTAN dans les Balkans à partir de 1995) un moyen de donner une nouvelle justification au maintien de l'OTAN dont le fonds de commerce risquait de disparaitre avec la fin de la guerre froide. Pas bien conduit avec la Russie parce qu'au même moment où l'on affirmait que l'élargissement de l'OTAN n'était en rien dirigé contre la Russie, l'adhésion des nouveaux pays n'avait pas d'autre raison d'être, en tout cas pour eux, que de se protéger contre une possible résurgence de la menace en provenance de Moscou. Jacques Chirac a été l'un des premiers à mettre en garde contre les conséquences négatives de cette contradiction et c'est à lui qu'on doit «l'Acte Fondateur OTAN-Russie» signé à Paris en 1997. Mais cela n'a pas mis un terme à la condescendance avec laquelle la plupart des pays occidentaux (France et Allemagne exceptées) ont continué à se comporter avec la Russie, un pays militairement, moralement, politiquement et économiquement vulnérable, qu'on pouvait donc traiter avec désinvolture. Puis est venu le 11 septembre 2001. Beaucoup se sont dit : «Cette fois, c'est la bonne.» Face au terrorisme islamique, la Russie et l'Occident ont des intérêts communs à défendre et vont se mettre ensemble pour gérer les grandes affaires du monde: Afghanistan, Proche-Orient, non-prolifération nucléaire, lutte contre le terrorisme etc. On a failli y croire. C'était lorsque George W. Bush déclarait qu'il avait lu dans les yeux de Poutine et qu'il y avait trouvé quelqu'un de correct. C'était malheureusement trop tard. Les néoconservateurs, l'intervention en Irak et les plans de défense antimissiles ont tué toute possibilité de nouveau départ. Poutine a décidé de mettre un terme à l'humiliation de la Russie. Il a haussé le ton et adopté une attitude arrogante et impérialiste, en utilisant la seule arme des faibles : la capacité de nuisance, dans les Balkans, en Ukraine ou dans le Caucase, en mettant à profit, s'agissant de la Géorgie à l'été 2008, l'inconséquence du président Saakashvili (elle-même encouragée par les néoconservateurs américains).