En effet, la condition des esclaves en Sicile ne différait guère de celles qui prévalaient ailleurs dans tout le Bassin méditerranéen. Le Sénat romain et les membres du patriciat les maintenaient dans une position d'asservissement continuelle au service de leurs maîtres jusqu'à la mort. Misère des uns et arrogance des autres Les causes des guerres serviles dans la Péninsule italienne au temps de la domination romaine sont la condition misérable dans laquelle vivent les esclaves sur des terres accaparées par un petit nombre de très grands propriétaires et l'arrogance inhumaine de certains maîtres. Particulièrement, la Sicile est une terre à blé mais aussi de très vastes pâtures sur lesquelles vivent des esclaves abandonnés à eux-mêmes, surtout au centre dans la région et à l'ouest. Dans les campagnes, les esclaves sont, donc, surtout des bergers dont beaucoup présentent la particularité d'être originaires de l'Orient hellénistique et d'avoir été récemment réduits en esclavage par les guerres ou le brigandage : il existe entre eux une certaine communauté de pensée philosophique (d'origine stoïcienne) et religieuse. Pour se défendre contre les bêtes sauvages, ils avaient des armes rudimentaires mais dont ils savaient se servir. Pour se nourrir, ils étaient obligés de se livrer au brigandage au détriment des petits propriétaires. Il régnait dans le pays une insécurité générale dont le pouvoir ne se soucie guère dans la mesure où elle n'altère pas la vie fastueuse des puissants et des riches. Le monde servile est hiérarchisé du fait même de l'organisation que lui ont donnée les maîtres, ce qui favorisera l'apparition de chefs capables. Les bergers, de par leur état, mènent une vie indépendante et jouissent d'une grande liberté de mouvement. La révolte fait tache d'huile Il suffira d'un déclic, le mauvais traitement infligé par un maître particulièrement cruel, Damophile, à des esclaves venus se plaindre auprès de lui de l'extrême dénuement dans lequel il les laissait. Les esclaves se trouvèrent un chef en la personne d'Eunus, originaire d'Apamée en Syrie, qui se prétendait doué d'un don de prophétie. Aux yeux de l'historien Diodore de Sicile, il passe pour un imposteur, mais, ce qui est important, c'est qu'il donne à la révolte qu'il déclenche en tuant son maître, Antigène, un riche propriétaire de la province d'Henna, une dimension religieuse. Eunus, d'abord à la tête de quatre cents hommes, augmenta considérablement, au fil du temps, ses forces dont les effectifs se montèrent peut-être à deux cent mille combattants, la révolte ayant fait tache d'huile. Un autre esclave, Cléon, un ancien chef de haras, assura le contrôle du centre et de la partie ouest. Eunus s'était fait élire roi, substituant, avec une reine, un pouvoir royal à l'ancien ordre des choses. Nombre de propriétaires furent jugés et mis à mort. Il y eut des répliques limitées du mouvement jusqu'à Délos, Athènes et en Italie du Sud. La durée de cette insurrection s'explique par le fait que les chefs des armées romaines – on n'avait pas de troupes permanentes pour assurer la police -- ne disposaient pas de forces aguerries, les légions étant retenues en Espagne. Ces chefs étaient incompétents et le pouvoir manquait d'esprit de suite, tardant souvent à intervenir. Cinq préteurs furent successivement défaits et il fallut enfin envoyer des armées consulaires pour rétablir l'ordre. De nouveau, la révolte La deuxième guerre servile survint après des crises qui ont ébranlé la République romaine et à une époque de crise morale que nous révèle l'historien Salluste par la bouche de l'aguellid numide, le célèbre Jugurtha : «Ville vénale [c'est-à-dire Rome], et qui ne tardera pas à périr, si elle trouve un acheteur !». Les causes qui ont provoqué les révoltes du milieu du siècle demeurent car l'exploitation des masses serviles est tout aussi inhumaine. Un fait nouveau, cependant, intervient en Sicile. Le Sénat avait été amené à ordonner qu'on rendît la liberté à des hommes récemment réduits en esclavage : les publicains, en effet, étaient associés de fait aux pirates qui capturaient des hommes libres dans des pays alliés de Rome, surtout dans la partie orientale du Bassin méditerranéen et en Asie Mineure. Ce sont eux qui écoulaient cette marchandise. Cette mesure, appliquée d'abord strictement, fut combattue par les chevaliers, alliés des grands propriétaires, dont elle risquait de compromettre les activités. Le gouvernement recula et les esclaves perdirent l'espoir qui les avait soulevés. Les insurgés battent les légions romaines Une première révolte, qui ne rassembla pas plus de deux cents esclaves, fut rapidement et impitoyablement réprimée. Le gouverneur ne trouva pas la parade face à une nouvelle rébellion de quelque deux mille esclaves. Ceux-ci s'enhardirent et anéantirent un détachement envoyé contre eux. La révolte s'étendit dès lors comme dans les années 134-130 av. J.-C. Les esclaves se choisirent un roi, un dénommé Salvius, inspiré lui aussi par des idées religieuses, qui profita de l'inertie du gouverneur pour organiser ses troupes. Celui-ci, qui, il est vrai, ne disposait pas de forces suffisantes en effectifs et en qualité, resta longtemps enfermé dans Héraclée. Il ne se réveilla que lorsque Salvius assiégea Morgantia dont il voulut faire sa capitale. Les insurgés l'emportèrent aisément sur les dix mille hommes du gouverneur, dont beaucoup d'ailleurs se rendirent. Soulèvement général Dans la région de Ségeste et de Lilybée, un certain Athénion fomenta à son tour une révolte qui se développa rapidement. C'était un homme habitué au commandement chez ses maîtres, très bon organisateur et inspiré par des idées religieuses. Il souleva plusieurs dizaines de milliers d'esclaves, dont dix mille combattants. Il ne réussit pas à prendre Lilybée, bien fortifiée et secourue par des troupes venues par mer d'Afrique, qui n'osèrent pas le poursuivre dans sa retraite. Salvius, qui prit le nom de Tryphon, emporta des succès très importants dans l'est (prise de Morgantia, conquête des terres fertiles de Leontini) mais il ne put gagner du terrain plus loin vers l'est où les propriétés de dimensions plus modestes avaient un cheptel servile moins nombreux et sans doute mieux traité. Tryphon et Athénion unirent leurs efforts et conquirent la plus grande partie de la Sicile. Les légions romaines étant retenues par la guerre contre les Cimbres, ils bénéficiaient de circonstances favorables. Tryphon choisit Triocala comme capitale, la fortifia et organisa son pouvoir en calquant certaines institutions romaines. Réaction du Sénat romain Rome dépendait de la Sicile pour son ravitaillement en blé, aussi le Sénat y envoya-t-il une armée de dix-sept mille hommes, commandée par le préteur Lucius Licinius Lucullus, qu'affrontèrent quarante mille esclaves commandés par Athénion. Cette armée, après avoir frôlé le désastre, finit par remporter la victoire et les esclaves se débandèrent. Lucullus ne put prendre Triocala et Rome envoya un autre préteur, Caius Servius, qui ne réussit pas davantage à vaincre les esclaves commandés par Athénion, après le décès de son compagnon Tryphon.La fin de la guerre contre les Cimbres permit l'envoi de bonnes troupes qui, sous le commandement du consul Marius Aquilinus, vainquirent les troupes d'Athénion, tué au combat, dont les survivants, par un suicide collectif, se donnèrent mutuellement la mort plutôt que d'offrir aux Romains le plaisir de les voir affronter les bêtes féroces dans un spectacle du cirque. Ainsi finit la deuxième guerre servile de Sicile. La province, dorénavant, demeura calme, le pouvoir ayant pris des dispositions pour juguler toute nouvelle tentative de révolte. Mais ce n'était pas la fin de la longue histoire de la révolte des esclaves contre l'oppression romaine, loin de là…