Et s'ils n'avaient pas envahi l'Irak, et si Saddam Hussein était resté au pouvoir dans ce pays ? «L'important n'est pas de se poser la question à propos de [ce qui s'est passé en] 2003, mais celle de [ce qui se serait passé en] 2010», a souligné Blair. «Supposons que nous avions renoncé à cette action militaire, que nous avions laissé Saddam Hussein et ses fils, qui lui auraient succédé, continuer de tenir les rênes de l'Irak – ce sont des gens qui ont utilisé des armes chimiques, qui ont causé la mort de plus d'un million de gens (…). Si nous avions laissé Saddam Hussein au pouvoir, nous aurions à négocier avec lui aujourd'hui, et les circonstances auraient été bien pires». Evidemment, l'ex Premier Ministre britannique pensait que personne ne pourrait réfuter cet argument. Il a peut-être falsifié les renseignements au sujet des activités prétendument clandestines de l'Irak, peut-être que Saddam Hussein ne détenait aucune arme de destruction massive (désormais, Blair le reconnaît), toujours est-il que s'il avait laissé ce terrible monstre au pouvoir, nous l'aurions tous regretté aujourd'hui. Blair présente la situation comme une alternative : soit George W. Bush et lui envahissaient l'Irak en 2003, soit Saddam Hussein serait encore au pouvoir en 2010. En réalité, c'est plus complexe que cela. Tous les transferts de pouvoir en Irak s'étant produits par la violence, Saddam Hussein aurait pu être renversé par un coup d'Etat interne. Il aurait également pu mourir. Une chose est sûre, Saddam Hussein aurait survécu jusqu'à 2006, puisque c'est l'année où il a été pendu. Mais s'il était encore vivant, aujourd'hui, il aurait pratiquement 73 ans. Blair pense visiblement que Bush et lui étaient les élus de dieu, les instruments qu'il aurait choisis pour faire déchoir Saddam Hussein de son autorité (Bush est du même avis). Mais, si toutefois il existe, dispose de beaucoup d'instruments. Certains d'entre eux n'impliqueraient certainement pas de se lancer dans une guerre qui a fait des centaines de milliers de morts et a produit quatre millions de réfugiés irakiens. Venons-en au fait : à quoi ressemblerait le monde si Saddam Hussein était encore aux commandes de l'Irak ? Eh bien, il ne serait pas très différent de ce qu'il est aujourd'hui, en toute probabilité. Beaucoup se sont posé la même question en 1991, après la décision du premier président Bush de ne pas renverser Saddam Hussein à la fin de la première Guerre du Golfe. La réponse est la suivante : au cours des 10 années suivantes, jusqu'à 2001, Saddam Hussein n'a attaqué aucun de ses voisins ; il n'a mis au point aucune arme de destruction massive et n'a rien fait qui puisse donner au monde des raisons de regretter de l'avoir laissé rester au pouvoir. Nombreux étaient les Irakiens mécontents de cette situation, en partie parce que les sanctions de l'ONU infligées à Saddam Hussein appauvrissaient leur pays. Ces sanctions avaient été imposées pour s'assurer que Saddam Hussein ne pourrait pas reconstituer ses forces armées – dont l'essentiel avait été détruit dans la Guerre du Golfe – ni relancer ses projets de fabrication d'armes de destruction massive qui avaient été contrariés par les inspecteurs de l'ONU au début des années 90. Ces sanctions fonctionnaient encore bien en 2003. Cette année-là, les envahisseurs sont arrivés et ont retourné tout le pays pour trouver des preuves justifiant leur action. Ils n'ont trouvé aucune arme de destruction massive, ni de preuves que le dictateur de Bagdad tentait de relancer des programmes de mise au point d'armes de destruction massive. J'aurais pu vous le prédire. D'ailleurs, si vous lisiez déjà mes chroniques il y a sept ans, je vous le disais. Pour toute personne un minium informée, il était évident qu'en 2003 Saddam Hussein ne représentait plus aucune menace, même pour les pays voisins de l'Irak. Il n'y a pas de raison de penser que les sanctions auraient été levées si les Etats-Unis et la Grande-Bretagne n'avaient pas envahi l'Irak en 2003 ou que Saddam Hussein aurait été plus dangereux aujourd'hui qu'à l'époque. Mais quid du million de personnes tuées ? En fait, la grande majorité d'entre elles ont péri sur les champs de bataille de la guerre Iran-Irak dans les années 80. Saddam Hussein les a « tuées » dans la même mesure que Tony Blair a «tué» plusieurs centaines de milliers de personnes en envahissant l'Irak en 2003. Les victimes mortes aux mains de la police secrète de Saddam Hussein ou dans la répression des révoltes, par exemple le soulèvement chiite de 1991, sont bien moins nombreuses. Les massacres d'ampleur se sont produits uniquement en réponse à des menaces directes au régime ; aucun n'a eu lieu après 1991. Le nombre de personnes tuées dans les prisons de Saddam Hussein au cours d'une année normale se situe probablement autour de deux ou trois centaines. C'était un dictateur parmi tant d'autres, pas un «monstre maléfique». Alors, pourquoi Bush et Blair ont-ils envahi l'Irak ? Certains stratèges américains y ont peut-être vu des intérêts liés au pétrole. Mais dans le cas de Blair en tout cas, c'est de la pure ignorance. Il se peut qu'on lui ait un jour expliqué que Saddam Hussein n'avait aucun lien avec les terroristes responsables des attentats du 11 septembre 2001, mais c'est manifestement tombé dans l'oreille d'un sourd. Tony Blair ne s'est pas aperçu que Saddam Hussein était un homme pragmatique qui avait profité du soutien américain durant cette guerre qui a fait un million de morts et non pas quelqu'un rempli de haine contre l'Occident par principe. Il n'a pas compris que les baasistes, comme feu le dictateur irakien, étaient les ennemis jurés des fanatiques musulmans proches d'Al-Qaïda et que les uns tenteraient de se débarrasser des autres à la première occasion. Aux yeux de Tony Blair, c'étaient tous des Arabes, tous des musulmans, qu'il met dans le même panier. C'est un chapitre de l'histoire que nous devrions sans doute refermer. Sauf que des gens aussi ignares que Blair colportent le même genre de discours aberrants à propos de l'Iran !