Cela se passe chez nous où la campagne au printemps connote non pas seulement la générosité d'une nature sauvage en couleurs et parfums diversifiés à l'extrême, mais aussi l'abandon. Le terme «sauvage» choisi à bon escient traduit l'idée de spontanéité d'un cadre naturel qui n'a pas connu les méfaits des produits chimiques. Le même qualificatif nous fait penser aussi à une reconstitution de la forêt par elle-même par la faute des habitants qui ont perdu leurs repères et l'amour de la terre. «Le temps s'est arrêté», dit un jeune artiste à la vue d'une maison abandonnée et occupée par une végétation exubérante et envahissante. Que d'événements heureux et malheureux se sont succédé entre ses murs portant les marques des années qui ont passé dans la solitude et le silence. Mais la démission de l'homme qui a perdu l'habitude de vivre en harmonie avec l'environnement n'a pas empêché le printemps de se réinstaller avec son cérémonial habituel. Chaque printemps est une renaissance rituelle Miraculeusement et tout à fait dans la discrétion d'une nature aussi mystérieuse que capricieuse, les bourgeons éclatent pour laisser apparaître de menues feuilles vertes, début d'un processus marqué aussi par la floraison et la fructification. Et avec le temps arrive le plein épanouissement. Abeilles, giboulées, rayons de soleil auront accompli leur œuvre utile afin que toute la nature reverdisse et que les arbres portent leurs fruits qui perpétuent la vie animale et humaine. En Islam, on dit que la végétation nourrit les animaux qui, eux, maintiennent les hommes en vie, et que les hommes sont au service de Dieu. Le printemps, dans les sociétés traditionnelles et très croyantes, a toujours été le symbole de la jeunesse en perpétuel renouvellement ou en devenir, et le symbole de la renaissance. Du temps où les occupants vivaient près de la terre nourricière dont ils prenaient grand soin, on avait un comportement admiratif vis-à-vis des miracles de la nature et on avait également la ferme conviction que derrière ces miracles, il y avait le Tout-Puissant. On disait, souvent, que nous avons été créés de la terre, que nous vivons de la terre et que nous serons enterrés dans la terre. Et lorsque la terre est délaissée, on disait qu'elle pleure et clame sa peine au Dieu Tout-Puissant : «Fais-moi passer aux mains d'un autre propriétaire, j'ai vraiment trop à souffrir.» Ce qui explique les rites saisonniers qui s'inscrivent chez nous dans les traditions et coutumes ancestrales, c'est la peur de ne pas satisfaire la terre et de ne pas obtenir d'elle ce que nous attendons. Dans quelques régions attachées aux croyances, les rites qui accompagnent la fécondation, puis la production des fruits s'inspirent de ceux qui marquent la naissance d'un enfant. En Algérie comme dans certains pays africains, les labours comme le moment des récoltes font l'objet de cérémonies rituelles. Les premiers sillons sont tracés ici par un homme béni pour ses vertus, les premiers grains ou les premiers arbre à planter sont destinés à des membres emblématique de la société. On exige, dans les régions montagnardes, que la femme se charge de la fumure de la terre et de la nourriture du bétail. Ceci n'est-il pas assez significatif ? Le printemps modifie-t-il notre rapport à la réalité ? Sûrement ! En ville, il n'y a point de changement d'une saison à l'autre, mis à part le froid, la chaleur, les couleurs, le temps. Mais, à la campagne, la transformation de l'environnement influe sur l'état d'esprit. On n'a sûrement pas le même caractère en hiver et au printemps. Aux dires des connaisseurs, on est plus détendu au printemps avec les fleurs, la douceur de la température. La rivière en crue, la verdure dans toute sa diversité, les couleurs plus nuancées, les oiseaux affairés, rendent sereins. Et pour peu que les récoltes promettent d'être bonnes, on devient accommodant, raisonnable, communicatif vis-à-vis de tout le monde.