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Le mois des larmes et du testament (I)
Mai 1945
Publié dans La Nouvelle République le 16 - 05 - 2010


Acte 1 : anonymes
Je ne connais pas leurs noms car on ne m'a pas donné de noms ; je ne sais d'où est-ce qu'ils venaient ni où est-ce qu'ils allaient. Tout ce qu'on m'a dit c'est une date et un lieu. La date est Souguine (deux souks) après celui des massacres de la ville de Guelma , c'est-à-dire le mardi 22 mai 1945 et le lieu est Djenane El-Kaïd Ali, à 13 km a l'est de Guelma sur la route de Bouchegouf, pas loin de la gare de Nadhore. Ce jour-là, trois familles qui empruntaient à dos de mulet la vallée d'Oued El-Maleh furent atrocement mutilées puis abattues. Khellouni nebki âla esbaâtache (laissez-moi pleurer sur les 17 ) est devenu à la fin des années 1940 le titre d'un récit terrifiant. Terrifiant au sujet de ces noms inconnus, de la galette qu'ils cachaient, de la mort qui les broya, mais surtout de ce djebel Belahrache qui les abrita. Entre Belahrache, Nadhore et Sfahli, Kateb Yacine planta Nedjma pour que nul n'oublie les larmes, pour que nul n'oublie ces anonymes.
Acte 2 : hommage à des nazis
Pour célébrer la mort de quelque 17 000 Algériens dans les zones du sud d'Annaba et de l'est de Constantine, tous les criminels, les assassins, les fascistes, les racistes et les traîtres étaient en cette fin de mois de Mai 1945 sur la place principale de la ville de Guelma.
C. Ahmed, autoproclamé représentant de Djemaât Essafia, c'est-à-dire les habitants de la commune mixte de la Safia (sud- est de Guelma), fut le premier à monter sur scène pour prendre la parole. Il fixa son regard en direction du sous-préfet de Guelma puis cria : «Vive André Achiary, vive la France.» Ensuite il déclara : «Mes amis, je suis venu pour vous transmettre les salutations de la Safia et pour apporter un témoignage de notre fidélité à ce drapeau tricolore, symbole de l'humanisme et de la fraternité.» Applaudissements… Puis, pour donner une caution religieuse à l'événement, un mouchard d'une zaouïa de M'jez Sfa (48 km à l'est de Guelma) prit la parole. Lui aussi, au nom des Franco-musulmans, dénonça en termes crus les exactions commises contre les «Européens sans défense»», pourtant venus civiliser les sauvages que nous étions. Mais le florilège de la cérémonie fut incontestablement un meurtrier de premier ordre. L'homme est apparu dans de beaux costumes traditionnels ; on l'appelait l'adjudant Bensadok ou Hadj Sadok. Le commandant lui demanda d'approcher et lui dit : «Adjudant, vous êtes un digne fils des Aurès (une façon de diviser les Algériens, NDLR ) et vous avez la reconnaissance de la toute la France, cette France qui vous admire et qui vous aime.» Bensadok ne dit pas, souriait en tenant entre ses mains une lettre émanant d'Hittler de Constantine, le préfet assassin Lestrade Carbonnel, dans laquelle il le décrit comme une référence en matière de loyauté et de fidélité, car ce criminel, à la tète d'un régiment de traîtres et de mercenaires, répandit dans les contrées de la ville de l'ex-Lapaine (Ben Smih, Guelma ) le meurtre, le viol et l'incendie. Pour le récompenser, on lui accorda une haute distinction, à savoir une médaille de la croix de guerre. Puis, dans une belle retraite, on le nomma plus tard caïd de Mchounech (Batna), sa région natale. Mais les innocentes victimes de ma tribu allaient le rattraper. Le 1er Novembre 1954 à Tifelfel ,dans les montagnes des Aurès, alors qu'il se trouvait à bord d'un autocar venant d'Arris, il fut intercepté par le premier groupe du FLN commandé par feu Chihani Bachir. La sentence fut appliquée neuf ans après, et Bensadok paya pour ses crimes. Cette attaque avait soulevé un tollé à cause de la mort d'un instituteur français. Bien entendu, il s'agissait d'une arithmétique raciste de fabrication française car, selon la tradition admise, Dieu a mis une barrière entre les races, et la vie d'un seul instituteur français valait plus que celle d'un million d'Algériens.
Acte 3 : l'humanisme des mitrailleuses ?
C'est dur de parler de ses proches par les temps qui courent au risque d'être taxé de verser dans une certaine comptabilité militante ou carrément de faire dans l'industrie du 8 Mai 1945. Mais sachez qu'en parlant de ma propre famille, je n'ai aucunement l'intention de chercher un quelconque exploit car notre situation ressemble à celle de toutes les familles algériennes de Beni Chougrane, de Sétif, de Sidi Bel Abbès ou encore d'Illizi. Cependant, poussé par un sentiment étrange m'animant à chaque retour de ce moi lugubre, je me vois motivé à écrire, plutôt à rapporter fidèlement ce qui m'a été dit, car il faut aussi mentionner qu'enfant, j'ai grandi avec des histoires effrayantes, voire terribles, dans lesquelles la mort et le sang résument toutes sortes d'épithètes. D'ailleurs, je me rappelle qu'en 1973, alors que j'étais chez des cousins à Hammam N'bails, une commune de la wilaya de Guelma, les cris d'une femme qui ne cessait de répéter 8 mai, 8 mai, 8 mai m'avaient réveillé. Il paraît qu'elle ne s'est jamais arrêtée de pleurer depuis... 1945. Un chagrin profond et sans limites pour lequel je prends cette liberté afin de retourner sur ce jour du 10 mai 1945 où une bande d'assassins attaquèrent la petite ferme de Ben Yakhlef, à 10 km au sud-est de Guelma. Les meurtriers avaient pour tâche de faire le maximum de victimes parmi la population civile. Il s'agit, selon la consigne de Lestrade, le nazi de Constantine, d' infliger le châtiment collectif le plus barbare à une population démunie, réduite depuis déjà un siècle à l'asservissement et à la misère. Ben Yakhlef fut une cible de choix et c'est ainsi que soldats et miliciens encerclèrent le domaine puis c'est au tour d'auxiliaires maltais et de tabors marocains de pénétrer dans la grande cour de la ferme où douze familles vivaient. Des cris perçants se mélangèrent aux sons des rafales ; une masse trébuchante de femmes et d'enfants voulant fuir par l'arrière fut déchiquetée par les balles explosives d'une mitrailleuse placée plus loin sur une colline. Ma cousine Zohra, qui avait été grièvement blessée ce 10 mai 1945, vit ses trois enfants tomber l'un après l'autre. Le malheur avait franchi le comble lorsque sa fille de huit ans, qui trimbalait une chekoua pas loin de l‘étable, fut, à son tour, broyée par une rafale de mitraillette. C'était une image terrifiante : le lait devint rouge quand le blanc submergeait la cour, dit-on encore. Dans le but de bien répandre la terreur et le meurtre, les Maltais, dénomination que donnèrent les paysans aux colons assaillants, avaient reçu la veille des cargaisons entières de poignards, d'armes mais surtout de mitrailleuses placées sur des chenillards ramenés spécialement de Bizerte (Tunisie). Des contingents sénégalais et des mobilisés tunisiens, épaulés par des miliciens français, parachevèrent au même moment une boucherie dans les contrées de Lapaine (Ben Smih), Mellisimo (Belkheir) et Petit (Boumahra Ahmed). Pauvre Zohra qui vit pour la dernière fois son mari, oncle Laâfifi, se relever difficilement de son grabat récitant le Coran avant de tomber sous les tirs des armes. Plus loin vers Lapaine, une autre bande de mercenaires européens, venus en renfort, encercla un autre domaine indigène pas loin d'une rivière qu'on appelle Helia, avant de tirer en groupe, décimant les cinq familles qui s'y trouvaient. Coincées, les trois maisons se heurtèrent de front à l'ennemi qui chargea à la baïonnette en tailladant par ses lames affilées plus de 34 personnes dont un nombre important de femmes et d'enfants. Ben Yakhlef, où vivaient mes cousins, comptait une école coranique et le taleb n'était autre que Si Laafifi. Avec sa femme et ses enfants, ils occupaient depuis quelques années le domaine agricole. Ce jour horrible, Zohra, ensanglantée, avec ce qui lui restait, un bébé et un garçon de quatre ans, avait réussi à fuir en compagnie de quelques fillettes vers un ravin par lequel on pouvait s'éloigner du camp. Les cris et les gémissements cessèrent bientôt quant les meurtriers eurent achevé les blessés. Pendant trois jours, les corps restèrent là où ils étaient tombés avant que des fossoyeurs ramenés de force arrivèrent sur les lieux . On «nettoya» les alentours et un par un les cadavres, raidis dans les postures de l'agonie furent jetés dans des fosses. Mon grand-père disait que deux bébés vivaient encore ; ils étaient enveloppés dans le châle de leur mère morte. Mais la plupart des 12 a 17 ans avaient péri. Mahmoud, un cantonnier, déclara plus tard : «Dans la zone de Bled Gaffar (à deux kilomètres de Ben Yakhlef, NDLR), c'était un spectacle à fendre le coeur d'un homme, fut-il de pierre, que celui de ces enfants restés sans parents et qu'on essaye de calmer en leur ingurgitant du lait de vache. Des traîtres algériens de la caste Caidale s'adonnèrent au plaisir en pissant carrément sur les morts tandis que d'autres dépouillèrent les femmes pour garder des souvenirs. Des informations rapportèrent qu'un officier militaire français était si furieux de constater l'ampleur du drame qu'il déposa, cinq jours plus tard , une plainte contre un chef des assaillants auprès du commandement de Constantine. Ce dernier approuva la conduite des criminels après un délai bien inutile. On ne se faisait guerre d'illusion quant au sens de justice chez cette hiérarchie administrative et judiciaire française. L'habitude de tuer était peut-être trop ancrée dans les esprits colonialistes pour qu'une simple prise de conscience d'un officier puisse changer les choses. Zohra a dû se mettre à l'évidence qu'en fin de compte, elle n'a jamais cessé de haïr ces Français qui, désormais, représentent tout le fléau et toute la malédiction. Comme la plupart de ses semblables, le massacre de sa famille l'affecta profondément.
Quelques mois plus tard, elle retourna sur les lieux en compagnie de ses cousins. Elle put alors s'adonner totalement à son chagrin. Les larmes aux yeux, elle fouilla dans les décombres et trouva un jouet de son enfant rescapé : un petit sifflet acheté par son mari lors d'un voyage à Annaba. Et c'est vers cette ville qu'elle avait prit le train après un bref intermède. Aidée par ses parents de Duvivier (Bouchegouf, à 40 km de Guelma), elle partit chercher un autre toit plus clément pour ce qui lui reste de précieux, ses deux enfants.
(Suivra)


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