En ce qui concerne l'affaire du chahid Amirouche, voilà que les bendirs et les tam-tams se sont tus et les danseurs dispersés. Mais nous sommes toujours là, face à l'injustice que nous ignorions hier, mais que nous ne pouvons plus ignorer, car, aujourd'hui, sur tout le territoire nationale et même en dehors de nos frontières, l'ignominieux crime commis par des moudjahidine à l'encontre d'autres moudjahidine ne peut pas se terminer comme cela. Et il n'est surtout pas question de s'en remettre au seul bon Dieu pour punir ceux qui sont parmi les auteurs et complices de ce drame. Il faut que la justice des hommes, se fasse ici sur terre et le plus tôt sera le mieux. Dans les journaux les historiens, les intellectuels et les compagnons d'armes de nos deux héros ont été traités de tous les noms, lâche, manque de courage, peur des responsabilités…, parce qu'ils n'ont pas osé traiter de ce sujet avant que ne le fasse le docteur Sadi. C'est un fait, mais si l'on s'était donné la peine de chercher et de lire les trois ou quatre livres qui ont traité du colonel Amirouche, on aurait découvert Amirouche, l'Aigle du Djurdjura qui est sorti, il y a déjà quatre ans. Enfin, il faut dire que le docteur Saïd Sadi possède les moyens intellectuels, financiers et relationnels pour entreprendre un pareil travail et il a fait du bon travail. Je lui adresse mes vives félicitations d'avoir apporté sa participation à l'écriture de notre histoire tellement tumultueuse. Pour ma part, si j'avais les moyens dont dispose le docteur Sadi, j'aurais fait une révolution culturelle dans mon pays. Mais n'ayant d'autre moyen que ma petite personne de moudjahid membre ALN, fils et frère de chahid, j'ai vis-à-vis de mes frères aînés compagnons d'armes Si Amirouche et Si El-Haouès, entre autres, fait mon devoir, puisque, bien avant ce jour, j'ai révélé cette affaire et dénoncé le monstrueux crime que l'Etat a commis à l'encontre de nos deux héros, et ce dans un livre intitulé Amirouche, l'Aigle du Djurdjura. Mon livre est paru aux Editions ENAG en 2006, et ce après des années d'insurmontables obstacles qui se sont dressés devant moi au point où, ayant eu à me battre pour faire éditer mon livre, j'ai fait appel à Nordine, le fils d'Amirouche, que je croyais être un frère de sang puisque fils de chahid comme moi. Rien de sa part, même pas un mot d'encouragement ! Il serait invraisemblable qu'ils n'aient pas pris connaissance de mon livre avant d'écrire celui dont il est question aujourd'hui. Enfin, en ce qui me concerne, sans personne d'autre que ma volonté, j'ai fait mon devoir d'historien, d‘intellectuel et de compagnon d'armes en plus de mon devoir de fils et frère de chahid. C'est pour cela que je reproche, si je peux me le permettre, à tous ceux qui interviennent sur des questions importantes le manque d'esprit de recherches et d'information, nécessaire à toute réflexion scientifique. Car comment peut-on écrire sur un sujet sans se documenter, s'informer et lire ce qui a été écrit avant par d'autres sur le même sujet. Il me semble que dans l'ignorance de cette règle l'on dessert plus que l'on sert la triple vérité culturelle : historique, humaine et morale. Alors, vous conviendrez avec moi qu'il m'est légitime de ne pas accepter d'être mis dans le même sac que les personnes pusillanimes parce que je n'en suis pas un. J'essaye de rester fidèle au serment de Novembre, fidèle aux chouhada, dont mon père, mon frère et mon oncle, et au service de leur cause parce que je suis d'une servitude volontaire. Leur combat continue et j'en suis… jusqu'à n'en plus pouvoir, jusqu'à les rejoindre. Permettez-moi de revenir à l'objet de mon livre Amirouche, l'Aigle du Djurdjura. J'avais entendu le nom d'Amirouche, alors brillant capitaine de l'ALN, de la bouche de mon père qui en parlait souvent lors des rencontres qu'il avait avec les moudjahidine qui transitaient par notre maison du n° 63 de la cité Nador, au Clos Salembier, El-Madania actuellement. A cette époque, j'avais 14 ans et je rêvais déjà d'être un jour un combattant comme cet Amirouche dont mon père faisait les éloges. Mais je devais me satisfaire de participer à la lutte de libération en faisant le guet, à chaque fois que me le demandait mon père, et en transportant les paquets qu'il me donnait pour passer les barrages de contrôle. Militants de la première heure, mon frère et mon oncle étaient déjà dans les rangs de l'ALN avant que mon père les avait rejoints. Tous trois tombèrent au champ d'honneur quelque part dans les maquis de la wilaya du Titerri. Mon père fut arrêté vivant, torturé puis tué, son corps fut brûlé pour effacer toutes traces de son existence. Lorsque j'appris la mort de mon père, j'ai sélectionné parmi mes camarades les plus aptes à former un groupe d'action et déterminer à participer à la lutte de libération. Et avec eux, du bout de mes quinze ans, j'ai activé jusqu à rejoindre l'ALN à mon tour, avec deux d'entre eux, Abdallah et M'hamed. Dans cette ALN chérie, j'ai entendu beaucoup de choses et j'ai appris beaucoup sur les grands hommes qui ont libéré la patrie, parmi lesquels Si Amirouche et Si El-Haouès faisaient bonne figure. Puis ce fut l'indépendance et tout ce qui va avec. Le colonel Houari Boumediene fut remplacé par le colonel Chadli Ben Djedid, qui est devenu à son tour président de la République algérienne. En novembre 1990, au troisième jour du congrès des moudjahidine, Chadli Ben Djedid, en sa qualité de chef d'Etat et de moudjahid, prit la parole et provoqua un coup de théâtre où Amirouche jouait le rôle de fantôme. Le président Chadli annonça que le corps du colonel Amirouche avait été retrouvé et que ce qui restait de sa dépouille se trouvait au musée du Moudjahid et convia toute l'assistance à venir assister aux funérailles officielles le lendemain, jeudi. En ce 1er novembre 1990, date anniversaire du déclenchement de la lutte armée de libération nationale et 28 ans après la fin de la guerre d'occupation coloniale, comme un grand cri d'épouvante lancé à la vision d'un spectre en drap blanc voltigeant au-dessus de ces hommes qui, dans le passé, étaient, pour la plupart, des héros, des hommes de foi et de droit qui reçurent tous le message électrifié de cette résurrection macabre plus qu'insolite. Une grande explosion de trahison fut étouffée dans les voûtes de la Coupole du 5-Juillet, où s'était tenu le congrès et où il y avait à peu près 1.000 délégués, tous des anciens moudjahidine. Emus par cette nouvelle, beaucoup ont pleuré, assaillis par leur conscience patriotique, et la plupart d'entre eux se posaient des questions autant pertinentes qu'insultantes à l'adresse de ceux qui étaient en charge de la défense et la protection des chouhada. De l'indépendance à ce jour, des chouhada ont été découverts dans des charniers au hasard des fouilles, et l'Etat s'est, à chaque fois, précipité à les enterrer dans une digne sépulture, dans l'honneur et le respect qui leur sont dus. A chaque fois, l'événement était médiatisé pour que l'on voie et que l'on sache que les commis de l'Etat font leur devoir vis-à-vis de ceux et celles qui sont morts pour que l'Etat algérien renaisse. Mais pendant tout ce temps-là, à savoir trente ans (10.950 jours), ils ont continué à perpétuer l'oeuvre criminelle de la France, et là on est en droit de se poser des questions ? Ne pas le faire serait inhumain. Que l'armée d'occupation fasse disparaître les corps de nos héros, c'est compréhensible, même si c'est inadmissible. Mais que ce soit des moudjahidine qui le font, il y a un doute qui s'installe aux plans historique, humain et moral. Il y a même comme une odeur de trahison vis-à-vis du serment de Novembre 1954. Pourquoi ce crime d'avoir séquestré la dépouille d'Amirouche? Présentait-il un danger même mort ? Pour qui ? Ce sont toutes ces questions et d'autres encore qui frappèrent l'esprit de beaucoup de moudjahidine qui venaient d'apprendre cette honteuse nouvelle, en ce 1er novembre 1990, date de la commémoration du 28e anniversaire du déclenchement de la révolution du peuple algérien. Après cela qu'ont fait tous les moudjahidine qui ne savaient pas et qui venaient d'apprendre la sinistre profanation, qui avait frappé la conscience de ceux qui en avait une. Qu'ont-ils fait pour se démarquer d'un tel acte ? Qu'ont-ils fait pour dire qu'ils désapprouvaient un pareil fait ? Rien, hélas, un million et demi de fois hélas. Allah yerham echouhada. Et vive l'Algérie, mon frère ! (A suivre) Chabane Nordine. B.P. n° 255 El Madania, Alger e.mail : [email protected]