, Il en gardera, contre vents et marées, une élévation de l'âme et de la pensée, un goût marqué pour les raffinements des comportements, une élégance naturelle du verbe, une écoute attentive des sous-entendus, une sensibilité aiguë aux pensées secrètes des êtres souffrants, au frémissement imperceptible des émotions tues, une prédilection pour les zones clair-obscur où se réfugient les bruissements des désirs réprimés, les balbutiements des expressions maladroites et des paroles non patentées, une alerte perpétuelle aux énigmes de l'univers… En somme, une sensibilité vibrante à la poésie du monde, un sens affûté de la poésie tout court. De prime abord, l'œuvre de Dib surprend par sa force de témoignage et sa vitalité. Même lorsqu'elle se fait elliptique et symbolique, elle nous introduit au cœur des tractations qui modèlent notre devenir. Par la vertu de la puissance des langues et des cultures à se démettre de la barbarie, cette vertu que l'œuvre «dilibenne» porte fortement, nous invite à transcender les cécités qui nous accablent, à percevoir les signes annonciateurs du destin que nous nous forgeons, sans toujours savoir en prendre la mesure. Son écriture — écriture à soi, sculptée dans la matérialité de la langue de l'autre — Dib nous fait dépositaires. On comprend que l'hydride qui a surgi sous sa plume, créé de la mêlée des paroles mitoyennes ou opposées obéisse à un ordre de restitution fidèle de notre univers commun. Matérialisation sublime d'un bourdonnement souterrain engagé dans la traversée d'une nuit obscure, la science du poète réside en cet ajustement de l'espace nécessaire aux surgissements d'une partition essentielle dans laquelle nous pouvons enfin nous dévisager sans complaisance mais aussi sans honte. Mohammed Dib domine de sa stature d'écrivain poète d'envergure universelle notre littérature nationale. Tout au long de mues successives, son écriture est pour lui un moyen d'approfondir, la connaissance desoi la plus essentielle. L'exploration du monde la plus inquiète et la plus exigeante, la découverte de l'autre la plus attentive. Alliant obstination et douleur, l'univers «dibien» s'élabore dans un exercice de rigueur nécessaire pour donner lieu à l'origine (dans la Grande Maison, l'Incendie ou le Métier à tisser) tout était manque et nostalgie, l'écrivain nous révèle de plus en plus les beautés que nous avions négligé de voir (le Sommeil d'Eve, l'Infante maure, ou l'Enfant jazz).