«Les goûts et les couleurs ne se discutent pas» et pour certains, «ne se disputent pas». Cette citation est-elle valable aujourd'hui et surtout pour le cas précis de notre sujet qui est le goût du genre chaâbi? Sommes-nous en mesure de confirmer cette citation quand il s'agit d'analyser ou plutôt de comparer l'appréciation de nos grands-parents ou de nos parents à la nôtre, ou à celle de la génération d'aujourd'hui; quand il s'agit de la musique chaâbie tant appréciée hier, moins appréciée aujourd'hui? Ou peut-être de plus en plus appréciée quand même aujourd'hui avec la venue de nouveaux et jeunes chanteurs, de l'ère du modernisme et de la musique rythmée. Le chaâbi a donc été cette musique populaire qui s'adressait au peuple dans toute sa simplicité et son accessibilité, c'était ces q'cidates, longues et langoureuses, raffinées et mielleuses qui vous transportaient vers le lointain, vous engouffraient vers les profondeurs, ou vous jetaient au fin fond de votre coeur, à vouloir en décortiquer les parties. C'étaient ces longs poèmes écrits par des maîtres du mot tels El Maghraoui, Nedjar, Kaddour El Alami, Ben Ali, Larbi Meknassi et autres, chantés par ces grands chouyoukhs comme Cheikh Nadhor, El Hadj El Anka, El Hadj Menouar, El Hadj M'rizek, Boudjemaâ El Ankis, H'sissen et tant d'autres qui ont fait de ce genre musical un moyen de s'adresser au peuple, comme l'a si bien dit H'sissen, en voulant définir le chaâbi: «C'est l'art de se comporter avec le marchand de légumes, le boucher et le voisin» (el khaddar, el djazzar, el djar). En fait, la musique chaâbie était cette «quaâda» dans un café, autour d'un thé, cette réunion familiale dans un salon privé ou amicale dans un lieu public, pendant les soirées d'été ou les veillées tant appréciées du mois sacré de ramadhan, ces veillées pendant lesquelles les auditeurs, amoureux de cette musique, fans de la bonne parole composée aussi bien d'hommes que de , s'imprégnaient de ces qcidates des chouyoukhs très significatives, qui avaient un goût prononcé du proverbe, de la sagesse et de la parole qui adoucissaient les moeurs et faisaient qu'on analysait mieux ce qui nous entourait. Aujourd'hui, à l'ère de la musique disco, techno, rap et tout le reste, à l'ère de la rapidité et de la vitesse nucléaire, les moeurs ont changé, les goûts ont changé, à croire que l'être humain lui aussi a changé; il est devenu plus pressé et moins attentif; plus indifférent à ce qui se passe autour de lui et moins soucieux de son entourage; plus apte à vouloir danser, se dandiner, faire bouger son corps pour en dégager peut-être tout le stress ressenti, qu'à vouloir s'asseoir paisiblement autour d'une table, à siroter un bon thé à la menthe en écoutant de la bonne musique chaâbie, doucereuse et languissante. A voir les choses se passer ainsi, nous sommes portés à croire que d'ici quelque temps, ce genre de musique, cette chanson populaire va disparaître. Mais pour éviter justement cela et pouvoir perpétuer un genre musical cher à notre coeur, et faisant partie de notre patrimoine culturel et artistique, une catégorie de jeunes chanteurs, amoureux du chaâbi, voulant être au goût du jour et surtout voulant plaire à la jeunesse algérienne, aujourd'hui prise dans le feu de la musique occidentale rythmée ou orientale dansante, et dans le but de lui faire apprécier le chaâbi, a créé ce qu'on appelle aujourd'hui le néochaâbi. Il s'agit donc ici de «moderniser» ce genre en y introduisant de nouveaux instruments, plus modernes, un rythme plus rapide, une «taktouka» qui garde de jolies phrases poétiques, de beaux poèmes à thème social ou sentimental qui touchent la sensibilité, pour ceux qui sont restés sensibles malgré tout, et qui fait danser ceux qui sont plus portés sur la danse. Avec Boudjemaâ El Ankis, déjà, les choses commençaient à bouger, le rythme de la taktouka était né, puis avec El Hadj El Hachemi Guerrouabi, Amar Ezzahi, Aziouez Rais, Abdelkader Guessoum, Chaou Abdelkader, Kamel Messaoudi, Abdelmadjid Meskoud, Si Ali Dris, Mourad Djaâfri se faisaientt connaître et aimer davantage, puis plus récemment avec Nacer Eddine Galiz, Nour Eddine Allane, Mohamed Lamraoui et d'autres encore ont tous contribué d'une façon ou d'une autre à faire revivre le chaâbi et à le faire aimer de tous, malgré ce que peuvent en penser certains qui trouvent en cette «modernisation» une violation de ce patrimoine qu'ils voulaient garder intact. En réfléchissant en toute objectivité, et en évaluant la situation sagement, sans passion débordante ni pensée rétrograde, on peut voir dans cette métamorphose du chaâbi, non pas une rupture avec la tradition, mais plutôt comme l'a si bien dit El Hadj Mohamed Habib Hachelaf: «Une innovation, une remise en question de l'académisme par la recherche de formes accessibles...une démocratisation de la culture». On serait donc appelé à préserver la beauté du message en le débarrassant du formalisme, et de cette manière le message passe, la leçon est apprise, le patrimoine est préservé et la tradition est perpétuée...Qui a dit que les jeunes d'aujourd'hui étaient irresponsables et immatures?!