La Nouvelle République : Qu'avez-vous à dire de ce procès du 14 octobre, madame la sénatrice ? Alima Boumediene-Thiery : C'est un procès politique, évidemment, et à mon avis avec des relents racistes. Au préalable, il faut savoir que la garde des Sceaux, ministre de la Justice, avait déclaré en séance publique de l'AN qu'elle ne poursuivrait pas, car chaque citoyen, d'autant plus parlementaire, avait une liberté d'expression, or, il en est rien, elle a explicitement demandé au parquet de me poursuivre. Il est clair qu'un lobby a fait son travail, et personne n'ose jamais le nommer, et bien je refuse de céder à cette peur, le lobby sioniste n'a pas à faire sa loi en France. De plus, je ne suis pas la seule parlementaire à m'être engagée dans ce combat pour le respect du droit international et exiger la fin de l'impunité dont bénéficie Israël de la part des grands depuis plus de 60 ans. Nous sommes nombreux à soutenir qu'Israël se doit de respecter les résolutions de l'ONU et les accords d'association avec l'UE qu'ils ont signés ensemble. Or, je suis l'unique parlementaire française qui a l'honneur d'une plainte et d'une poursuite au tribunal. Mon nom Boumediene y est peut-être pour quelque chose ! Mais je suis fidèle à une tradition anti-colonialiste et suffisamment forte de mes convictions pour continuer le combat. Et puis, je veux que la justice française se prononce clairement, comme l'ont fait la Belgique, la Grande-Bretagne … Quid du droit international quand les institutions internationales sont incapables de se faire respecter et que les citoyens prennent le relais pour combler leur déficit ? Elles doivent nous reconnaître le droit à la liberté d'expression en général, et le droit de critiquer la politique israélienne sans être qualifié d'antisémite, en particulier. Je ne supporte plus ce chantage à l'antisémitisme ! Evidemment que l'histoire a été horrible et inacceptable pour les juifs en Europe, et que la France en porte une grande responsabilité. Mais l'antisémitisme est une affaire trop sérieuse pour être utilisé à tord et à travers et l'histoire ne peut pas justifier les horreurs d'aujourd'hui ! Il n'y a aucun droit aux victimes d'hier, de devenir bourreaux aujourd'hui ! On ne répare pas une injustice en créant une nouvelle injustice, en plus, envers un peuple qui n'a aucune responsabilité historique ! Et puis, l'antisémitisme et l'anti- sionisme, c'est différent, ne faisons pas d'amalgame ! Faire croire à l'opinion publique que c'est la même chose est très dangereux et peut avoir des effets pervers. Aujourd'hui, le sionisme est une politique de colonisations, d'occupations des terres et d'expulsions, et au nom du sionisme, Israël commet des crimes à Ghaza, à Naplouse, à Jenine… C'est inacceptable, comme tous les crimes contre l'humanité, qu'ils soient en Afrique, en Asie, au Moyen-Orient ou hier en Europe ! Pour ces raisons, je me reconnais comme anti-sioniste ! Qu'en pensez-vous de ce grand soutien émanant de parlementaires ou de simples citoyens, algériens, français, belges, voire israéliens ? Tout d'abord, permettez-moi de les remercier, en mon nom et au nom de tous les militants pour la justice et la solidarité avec le peuple palestinien, en particulier ces citoyens israéliens qui ont le courage de dire non à cette colonisation et qui ont compris que la paix ne peut pas se faire sans la justice. C'est aussi la preuve que ce problème n'est pas un problème entre «juifs et Arabes» comme certains veulent le faire croire, mais bien un problème international qui doit interpeller tous les citoyens épris de justice, de paix et de liberté. Cette dynamique est une opportunité pour aller plus loin et concrétiser nos grands discours. Des parlementaires arabes, africains, européens, etc. m'ont envoyé leur soutien, aussi, je m'adresse à eux pour leur dire : Continuons et allons plus loin en tant que parlementaires nous revient le droit de ratifier ou refuser des accords bilatéraux ! En tant que responsables et élus, exigeons le gel de tous ces accords tant que le gel et le retrait des colonies ne soient pas effectif ! Ayons le courage de dire que les droits humains ne doivent pas être sacrifiés pour des intérêts économiques et commerciaux ! Exigeons que nos partis politiques soient cohérents et refusent toutes relations avec les politiques israéliens qui ne feraient pas une priorité de cet objectif ! Je suis convaincue que ces actions non violentes néanmoins conséquentes auront de l'impact. Si tous les parlementaires, quels que soient leurs couleurs et leurs choix politiques, mais qui ont à cœur ce problème, faisaient pression sur leur gouvernement pour qu'un gel des relations diplomatiques et économiques soit décrété jusqu'à la fin de la colonisation par Israël et la reconnaissance d'un Etat palestinien viable et indépendant, nous aurions fait un grand pas vers la paix ! Allez-vous continuer à boycotter les produits israéliens ? Evidemment que nous allons continuer la campagne. La question ne se pose même pas. Nous ne sommes pas dans l'illégalité, mais dans la recherche de justice. L'histoire nous a prouvé que la guerre contre l'apartheid en Afrique du Sud a pris des années, mais que le boycott a été décisif ! Donc, non seulement nous devons le poursuivre et l'amplifier au niveau commercial, mais aussi promouvoir le boycott dans tous les domaines. Cela a commencé au niveau sportif, culturel…, alors, continuons au niveau universitaire, politique, touristique, dans tous les domaines. Sans cesse, nous devons mettre à l'index la politique coloniale d'Israël et mettre les responsables au pied du mur, en exigeant la fin et le retrait des colonies, et l'application des résolutions internationales, de manière non violente mais déterminée. Qu'attendez-vous de ce procès ? Qu'il rende à la justice la place qu'elle mérite ! Indépendante du pouvoir politique, et donc juger en son âme et conscience, en quoi nous avons enfreint la loi ? Elle doit refuser de criminaliser la solidarité comme le demande la chancellerie qui cède aux officines du CRIF en nous poursuivant pour avoir oser critiquer Israël. Le droit de critiquer un Etat, quel qu'il soit, n'est pas un crime mais appartient à la liberté d'expression, et ce procès doit le dire avec force et vigueur ! Qu'il prouve que l'impunité d'Israël doit cesser et que les citoyens sont en droit de le revendiquer ! Exiger le respect du droit international, de ses résolutions et de ses conventions, n'est pas illégal, me semble-t-il ? Alors la justice française doit le dire, comme l'ont dit hier la justice belge et britannique. La justice n'est pas à géométrie variable, selon les forces en présence dans le pays, elle est universelle non ? Un dernier mot ? Je voudrai terminer par une phrase : «La force sans le droit c'est la barbarie, mais le droit seul est faible, c'est la force du droit qui doit s'imposer, et l'opinion publique internationale constitue la force nécessaire pour que le droit devienne efficace.» Interview réalisée à Paris