«Charbonnier est maître chez soi, commentent-ils. C'est le docteur Goebbels qui utilisait cet argument d'opportunité, à la tribune de la Société des nations en 1933, pour se soustraire à toute critique d'une institution internationale impuissante.» On croit rêver. Car, analogie pour analogie, frappante est la ressemblance entre le Reich qui s'assied sur la SDN en 1933 et l'Etat hébreu qui bafoue le droit international depuis 1967. Comme son lointain prédécesseur, Israël, lui aussi, se «soustrait à toute critique d'une institution internationale impuissante». Et s'il le fait, c'est pour mieux conquérir «son espace vital, de la mer au Jourdain», selon la belle formule employée par Effi Eitam, ministre d'Ariel Sharon, en 2002. «Les grands crimes politiques ont toujours eu besoin de mots pour se légitimer. La parole annonce le passage à l'acte», philosophent nos signataires. Ils n'ont pas tort : le 29 février, le vice-ministre israélien de la Défense, Matan Vilnaï, a brandi la menace d'une «shoah» contre les Palestiniens avant de lancer à Ghaza la sanglante opération qui fit 110 victimes palestiniennes en une semaine. Quitte à enfreindre un tabou religieux, l'Etat hébreu, manifestement, a franchi un cap sémantique avant de déchaîner sa puissance militaire : il est passé «de la parole à l'acte». Mais le meilleur a été gardé pour la fin. «Les idéologies totalitaires avaient remplacé les religions. Leurs crimes, les promesses non tenues d'avenir radieux ont ouvert grande la porte au retour de Dieu en politique. Le 11 septembre 2001, quelques jours après la fin de la conférence de Durban, c'est bien au nom de Dieu que le plus grand crime terroriste de l'histoire fut commis.» Lier dans une même trame le 11 septembre 2001 et les résolutions du CDH, il fallait oser. Il est vrai que nous avons affaire à des spécialistes. «Retour de Dieu en politique», disent-ils. Nos intellectuels savent de quoi ils parlent : Israël n'est-il pas l'Etat confessionnel par excellence ? «Si la revendication d'un coin de terre est légitime, affirmait Theodor Herzl, alors tous les peuples qui croient en la Bible se doivent de reconnaître le droit des juifs.» Bibliquement établie, la légitimité d'un Etat juif en Palestine va de soi : le texte sacré tient lieu de titre de propriété. Pour les sionistes religieux, le retour des juifs en Eretz Israël est inscrit dans le récit de l'Alliance lui-même. Prendre possession de la terre que Dieu a donnée aux juifs fait partie du plan divin, et ce serait le contrarier que de renoncer à cette offrande. Du coup, aucun compromis n'est possible avec les Arabes. En 1947, le grand rabbin de Palestine martelait le statut théologique du futur Etat juif : «C'est notre forte conviction que personne, ni individu, ni pouvoir institué, n'a le droit d'altérer le statut de la Palestine qui a été établi par droit divin.» Chef du parti national-religieux, le général Effi Eitam expliquait à son tour en 2002 : « Nous sommes seuls au monde à entretenir un dialogue avec Dieu en tant que peuple. Un Etat réellement juif aura pour fondement le territoire, de la mer au Jourdain, qui constitue l'espace vital du peuple juif.» Au moins, c'est limpide. Rien d'étonnant, par conséquent, à ce que le lobby pro-israélien exècre l'ONU : son appétence pour le droit international est inversement proportionnelle à son engouement pour le droit divin. Il est vrai que l'un est infiniment plus favorable au Grand Israël que l'autre. Percuter les résolutions de l'ONU avec la Thora relève de l'exploit intellectuel et du prodige politique : Israël l'a fait. Pour nos signataires, «c'est au nom de Dieu que le plus grand crime terroriste de l'histoire fut commis». Ce n'est pas tout à fait faux, à condition d'inclure dans l'analyse l'Etat hébreu, cet artefact colonial bâti au forceps sur les ruines de la Palestine au nom de la Bible et de la Shoah. A propos de terrorisme, l'Etat d'Israël, qui plus est, peut se targuer d'un palmarès hors compétition. Les odieux attentats du 11 septembre 2001 ont fait dix fois moins de victimes que le siège de Beyrouh par Tsahal en 1982. Ses admirateurs occidentaux doivent certainement s'extasier sur les prouesses d'une armée capable de tuer aussi aisément des enfants avec des missiles. Ils doivent aussi se confondre d'admiration devant les geôles israéliennes, où grâce à la loi religieuse, on s'interrompt de torturer durant le shabbat. L'Etat hébreu mérite bien ce concert de louanges que les intellectuels organiques lui décernent à longueur de colonnes. Et quelle outrecuidance, de la part de l'ONU, de vouloir fourrer son nez sale dans les affaires intérieures israéliennes ! A l'instar des pires calomnies, les accusations publiées dans le Monde du 27 février se sont répandues sur la Toile. Elles suscitent sur certains blogs des commentaires haineux que l'on ose à peine citer. M. Doudou Diène y est qualifié de «défenseur de la secte du pédophile fou et des adorateurs du caillou». On y lit que «depuis les invasions musulmanes le croissant fertile est devenu le croissant stérile, et la civilisation a émigré en Occident». Sur l'ONU, un internaute déchaîné résume à sa façon l'article publié par le Monde : «L''ONU, c'est un ramassis de la racaille islamiste et tiers-mondiste.» Qu'attend-on pour supprimer l'ONU ? Ce sera encore plus simple. Islamophobie déclarée, haine du monde arabe, stupéfiante arrogance occidentale, tout y est. Opération réussie, mesdames et messieurs les intellectuels organiques. (Suite et fin)