C'est la panique dans cette chaloupe qui dérive vers l'ouest ; des cris fusent de partout et Maâmar qui est le capitaine essaye de tranquilliser ses compagnons. Les uns pleurent, d'autres prient le Bon Dieu de les sortir de cette détresse. Après 12 heures, le moteur reprend son souffle et les voici revenus au calme mais la peur est omniprésente Maâmar tient la barre, le cœur battant, et vogue en direction des côtes les plus proches. Après 32 longues heures, ils touchent, enfin, le rivage espagnol mais, hélas, la police ibérique les attendait de pied ferme. L. Maâmar est un jeune d'une trentaine d'années ; il est le cadet d'une fratrie composée de six enfants et dont il a la charge du fait que son père est actuellement au chômage. Ce jeune plein d'entrain jouit de l'estime de tous ses proches ; il est comme tous les jeunes Algériens de son âge en quête d'un travail qui tend à améliorer sa condition de vie. Maâmar ne cherche pas le luxe mais tout juste un emploi capable de faire vivre sa famille qui est dans le besoin. ` Diplômé de l'université de Chlef (diplôme d'études universitaires appliquées en génie mécanique option maintenance industrielle), il a sollicité toutes les administrations et entreprises du pays pour se faire recruter mais, à chaque fois, c'est toujours la même réponse qui lui parvient : le silence. Dégoûté par tant de mépris, il tente alors de trouver de petits boulots occasionnels pour gagner sa croûte mais, hélas, cette situation ne lui permet pas un poste qui reflète ses capacités pour les mettre en relief et participer au développement de son pays. Devant cette injustice, il décida alors de partir sous d'autres cieux pour conjurer le sort. La Nouvelle République raconte ainsi les déboires de ce jeune qui, au risque d'affronter la mort, s'est lancé dans cette aventure en devenant lui aussi harraga. LNR : Maâmar, parlez-nous un peu de votre cursus universitaire... Maâmar : J'ai fait deux années d'électronique à l'université de Blida (2000-2003). Par la suite, pour des raison personnelles, j'ai rejoint l'université de Chlef où j'ai suivi mon cursus universitaire pendant les années 2003-2006 pour l'obtention de mon diplôme d'études universitaires appliquées en génie mécanique,option : maintenance industrielle. Donc, depuis la fin des mes études, soit en 2006, je suis au chômage forcé. Par ailleurs, je maîtrise l'outil informatique, bureautique (Word, Excel, Internet), les systèmes d'exploitation : Windows 98,2000et XP. J'assure, en outre, la maintenance du matériel informatique tels que l'administration réseaux sous Windows : installation et maintenance des réseaux Ethernet et Wifi. Qu'est-ce qui vous a poussé à devenir harraga ? Le manque de débouchées ou l'aventure, et le changement ? C'est une question très impertinente. Voilà : dès que j'ai eu mon diplôme en poche, j'étais le plus heureux du monde et, dans mon imaginaire, je me voyais déjà responsable au niveau d'une institutions publique avec tous les avantages que cela suppose. Vous savez, un jeune fait les rêves les plus fous mais très vite je me suis aperçu que c'était une chimère,. J'ai eu déjà écho d'autres étudiants qui sont sortis avant moi mais je me disais dans mon for intérieur que ça ne m'arrivera pas. J'ai alors entrepris des démarches en direction des entreprises nationales ainsi que les administrations pour un éventuel recrutement. Mais très vite, j'ai compris que rien arrivait à l'horizon. Vous ne pouvez pas imaginer dans quel état je me trouvais ; j'étais abattu par tant de dédain et d'incompréhension et, franchement, il me venait à l'idée même d'en finir avec la vie. A Ténès, il n'y a pas d'avenir car notre région est totalement dépourvue de débouchés pour éponger un chômage chronique. Seule la pêche reste un pourvoyeur d'emplois et, encore, il faut avoir les coudées franches. Pourtant, avec ses 120 kilomètres de côtes, elle jouit d'une situation pittoresque avec ses anses, ses criques et ses montagnes verdoyantes. Je me suis dis alors pourquoi une telle opportunité n'a pas été saisie par les responsables tant au niveau local et national pour permettre à cette région de se développer grâce au tourisme et à la pêche ? J'ai par la suite procédé à cinq tentatives pour l'obtention d'un visa d'étude, et toutes ont été vaines. Il ne me restait alors que la procédure illégale, c'est-à-dire devenir harraga. Dans quelles conditions s'est déroulée la préparation de votre départ ? Il n'y a eu pratiquement aucune condition de préparation ; tout cela est venu d'un seul coup ; c'est venu comme ça un point c'est tout. C'est un départ inopiné, mais il fallait tout d'abord récolter l'argent pour l'acquisition d'une barque solide et un moteur puissant. Ce n'est pas tout : nous avons aussi acheté un GPS et un compas et, bien sûr, des gilets de sauvetage ainsi que des fusées éclairantes au cas où nous chavirons. En tout, il faut une estimation de 350 000 dinars par harraga sans compter le carburant et l'alimentation pour la traversée. Il est vrai, cependant, que cette somme est phénoménale pour un harraga. Au départ, le nombre était de 20 partants mais il requérait de faire un tri et cela n'a pas été facile car tout le monde voulait partir. Comment se sont déroulés les contacts avec celui ou ceux qui vous ont proposé de vous faire traverser la mer ? Les contacts sont faits par le choix de mes amis de la traversée, car je savais naviguer pour les conduire jusqu'à bon terme, compte tenu que depuis mon jeune âge, je prenais la barre de notre barque pour aller à la pêche avec mon paternel. Comment s'est déroulée la traversée et comment vous avez vécu ce tragique épisode (là il faut parler des conditions météorologiques). S'il y a eu des disputes, comment s'est faite la traversée, si vous avez utilisé un GPS. Enfin, tout ce qui a trait à cette aventure ? C'est une traversée périlleuse pendant la deuxième tranche de trajet. Cela a été dû : - Aux conditions météorologiques défavorables (vent et grosse mer, une panne moteur qui mous a mobilisé pendant 12h. Elle nous a exposé a une dérive qui nous a désorientés du point désiré de l'accostage de 100 km, une traversé de 20 h s'est chiffrée à 36h. Notre chance de réussite a été de 10 %. - L'appareil de navigation utilisé est le compas (boussole de navigation). Avez-vous réussi à toucher les côtes espagnoles ? Si oui, dans quelle région de l'Espagne ? Nous avons échoué sur une plage (Villa Joyosa), banlieue d'Alicante. Dans quelle circonstance la police espagnoles a procèdé à votre arrestation ? Racontez cet épilogue. Une fois sur la plage, la police espagnoles nous a accueillis dans un état de fatigue extrême. La police espagnole n'avait aucun sens de l'hospitalité ; elle nous a traités comme des animaux. Mais il faut reconnaître que les service de la Croix-Rouge, arrivés en retard, nous ont bien accueillis. Ils se sont inquiétés sur l'état de santé et nous ont donnés à manger. Comment vous ont traités les Espagnols à votre arrivée et dans quelles conditions vous avez été hébergés dans les centres de rétention ? Si possible, donnez le nom de la ville espagnole où vous étiez détenus. Nous avons été dirigés vers le commissariat d'Alicante ; ils nous ont écouté et pris nos empreintes. Ensuite, nous fûmes dirigés vers le palais de justice. Ils nous ont livré le document d'expulsion de trois ans, delà, on a été dirigés vers le centre de détention de Valencia. Parlez-nous des journées que vous avez passées dans ces centres et combien y avait-il d'étrangers et d'Algériens dans ces lieux d'hébergement. Quand nous sommes arrivés au centre, il y avait quelque 300 détenus de différentes nationalités. Parmi eux, 150 Algériens. Les journées paraissaient longues mais dans notre for intérieur, nous nous sommes dit que le fait d'être en vie c'est déjà beaucoup. Nous avons, par ailleurs, eu l'autorisation d'appeler nos familles pour les tranquilliser tout en pensant au retour et être bien au chaud chez soi dans l'ambiance familiale. Le retour au pays s'est effectué dans quelles conditions ? Et par quel moyen de transport ? Les Espagnols nous ont embarqués dans un bateau battant pavillon espagnol, et pour ce qui est des frais de transport, c'est l'Etat algérien qui a payé la traversée jusqu'à Ghazaouet. A votre arrivée en Algérie (Oran et/ou Alger), comment avez-vous été appréhendés par les services de sécurité algérienne. On a été acheminés, donc, vers le port de Ghazaouet. On a été livrés à la police des frontières de cette même localité qui a fait son travail en matière de procédures c'est-à-dire empreintes digitales, photos et renseignements des individus avant de nous relâcher et regagner nos domiciles. Avez-vous été traduits en justice ? Si oui, quel verdict vous a été signifié ? Non, ce fut la fin de notre périple sans aucune poursuite judiciaire. Si vous avez une autre chance de faire une nouvelle traversée, aurez-vous le courage de le faire ? Et pourquoi une seconde fois ? Je suis toujours en chômage et je veux poursuivre mes études ; mon désir existe toujours. Tant qu'il y aura de l'ambition, l'espoir persistera. Êtes-vous toujours au chômage ? Oui, malheureusement. Le mot de la fin. Si je n'aurais pas de travail je vais une nouvelle fois tenter l'aventure mais, cette foi-ci, sans me faire prendre, car, ce n'est que partie remise.