Dans l'ensemble, beaucoup de spécialistes du 7e art considèrent que la nouvelle législation, adoptée à la fin de l'année écoulée, donne à l'Etat les instruments d'une «centralisation» de la production et de l'exploitation cinématographiques, ce qui se traduirait immanquablement, à leur dires, par un «contrôle public plus accru» sur l'industrie du cinéma. Pour le réalisateur Ahmed Rachedi, partisan d'un retour de la puissance publique, c'est l'absence de l'Etat et son désengagement du secteur au cours des dernières décennies qui sont à l'origine du déclin du cinéma algérien. Péremptoire, il soutient que «les choses allaient bien lorsque c'était l'Etat qui gérait» l'industrie du film pendant les années 1960 et 1970. Partageant cette vision, le journaliste et scénariste Boukhalfa Amazit estime de son côté que le désengagement de l'Etat a engendré la «transformation des salles de cinéma en vidéothèques» et «une baisse pour ne pas dire absence de production» de films. Plaidant, lui aussi, pour l'implication de l'Etat dans la relance de l'industrie cinématographique, M. Amazit voit dans ce retour de la puissance publique un aspect «bénéfique» à condition, tempère-t-il, qu'il soit accompagné de garanties de liberté d'expression, seuls à même de libérer la créativité. A contrario, le journaliste et ancien directeur de la Télévision algérienne, M. Abdou Bouziane, juge «étouffant» ce retour de l'Etat-gestionnaire dans le secteur du cinéma consacré par la nouvelle loi. Pour M. Bouziane, plus connu dans les milieux de la presse par le diminutif de Abdou B., qui a dirigé la défunte revue Les 2 écrans, un périodique consacré au cinéma et à la télévision paraissant dans les années 1980, cette loi signe le retour d'une vision dépassée qui consacre, paradoxalement, la «centralisation» comme axe de relance du cinéma algérien. «Partout dans le monde où le privé a pris les rênes, le cinéma a été florissant», a-t-il expliqué avant de mettre en garde contre les risques d'«avortement» d'une tentative (la loi) «censée réanimer le cinéma». L'article 5 a «faussé le débat» Depuis la présentation du projet de loi relatif à la cinématographie au mois de novembre 2010, une vive polémique s'est emparée de la profession particulièrement autour de l'article 5, qui conditionne toute production de films sur la Guerre de libération nationale à un visa des autorités. Si Abdou B. y voit une velléité tendant à «museler le cinéaste», des professionnels à l'instar de Ahmed Rachedi estiment qu'en focalisant sur l'article 5, «on passe à côté de l'essentiel». L'essentiel pour M. Rachedi, ce sont les mécanismes d'aide, le financement des productions, le statut des cinéastes ainsi que les conditions d'attribution des cartes professionnelles. «L'article 5 ne change rien, l'Etat ayant toujours contrôlé la production cinématographique à travers l'attribution des visas de production et d'exploitation», a-t-il justifié. Pour Abdou B., par contre, tout le débat porte, justement, sur cet article qui, selon ses propres termes, «castre la création et le créateur». «On peut ainsi refuser n'importe quel projet de film sous prétexte d'atteinte aux symboles de la Révolution», a-t-il déploré. Autre sujet de divergence, l'article 20 bis, en vertu duquel la restauration et l'exploitation des salles de cinéma sont confiées au ministère de la Culture qui, à son tour, en cédera la gestion aux jeunes diplômés en audiovisuel et en sciences économique. Accueilli favorablement par certains professionnels, cette disposition ne recueille pas l'agrément de M. Bouziane qui pense à sa façon que le ministère ne fera ainsi que favoriser le «fonctionnariat» dans les métiers du cinéma. Sur ce point précis, M. Amazit émet un avis contraire. «La récupération des salles engage des sommes colossales et c'est, donc, normal que ce soit l'Etat qui prenne en charge leur exploitation et leur gestion», assure-t-il. Pour cet initié, le débat ne s'articule pas autour de savoir qui gère les salles sombres mais sur leur emplacement. «L'Algérie a changé et les lieux de culture ne se réduisent pas à quelques artères réputées du centre d'Alger. Les habitants des lointaines banlieues ont droit eux aussi aux espaces culturels», assène-t-il. «Il faut que le cinéma aille là où se trouve le spectateur et que de nouvelles salles soient réalisées à la périphérie des villes en plus de la réhabilitation des espaces existants», a prôné M. Amazit. La réclame au secours du cinéma L'Algérie n'est pas le premier pays à consacrer par une loi, celle de 2010, la participation de la publicité au financement de la production cinématographique. Des pays comme la Tunisie ou la France pour ne citer que ces deux pays l'ont précédée de quelques années dans ce domaine. La ministre de la Culture, Mme Khalida Toumi, première à en faire la proposition, avait demandé de consacrer 5 % des recettes publicitaires pour ce faire, précisant qu'en France par exemple ce taux s'élève à 10 %. L'article 24 bis 5 de la nouvelle loi ne donne toutefois aucune indication de taux. Si cet article a été accueilli favorablement par les professionnels du secteur, certains parmi eux jugent son contenu «vague». «De quelle publicité parle-t-on ? De la presse écrite publique ou privée ? De la télévision ?», s'interroge Abdou B. tout en précisant que la loi interne de la Télévision nationale stipule que ses rentrées publicitaires vont au financement de ses propres productions. Pour sa part, M. Rachedi avance que ce sont les textes d'application qui devraient éclaircir les zones d'ombre de cet article, qui constitue pour lui une avancée. La ministre de la Culture avait indiqué, le jour même de l'adoption de la loi, que son département travaillera aux cours des six mois à venir à l'élaboration de ses textes d'application. M. Rachedi a estimé, à ce niveau de l'analyse, qu'il est encore tôt pour juger définitivement cette «loi-cadre» dont beaucoup d'articles «renvoient à la voie réglementaire».