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Quand le jasmin se révolte…
Cahier de mes plus belles vacances en Tunisie.
Publié dans La Nouvelle République le 18 - 01 - 2011

Question d'usage : vous travaillez dans quel journal en Algérie ?
Je réponds que je travaille aujourd'hui dans l'édition de guides touristiques, ce qui est vrai d'ailleurs ! Passage en douce, je souffle doucement, la sas est passé, dix ans de passeport confisqué, un père, Si Larbi, pourtant militant qui a contribué à libérer la Tunis du colon, enterré au Djellas de Tunis sans que je ne puisse lui rendre un dernier hommage, laissent un peu de cette cendre dans ma bouche, les stigmates demeurent. La maison est comme toujours aussi accueillante, la maman aux petits soins, mais les sourires sont figés. Et puis la discussion tourne autour de ce jeune, qui dans un inoubliable élan de courage refusera la dernière gifle, la gifle de trop d'un flic de Benali trop zélé, Mohamed Bouazizi, 26 ans et des poussières, est jeune, il a un diplôme universitaire, il n'a pas faim, il peut se contenter de pain et de céréales, il est arrivé à gagner sa vie en vendant des primeurs sur la voie publique. Un flic zélé lui aura enlevé sa dernière issue, pendant que l'intrigante sorte de Lucrèce Borgia nommée Leïla se pavane dans les défilés de mode de Dubaï avec l'argent des Tunisiens. Mohamed Bouazizi, se révolte, le jasmin décide de montrer ses armes. Pourtant comme nous le dira Hélé Béji, écrivain spécialiste de la décolonisation, le jeune qui s'est immolé n'a pas dirigé sa violence contre autrui, il l'a dirigé vers lui-même, il n'a pas mis une ceinture d'explosifs, il s'est brûlé préférant garder intacte sa dignité. Il succombera à ses brûlures, mais il restera à jamais un nom qui s'inscrira en lettres de feu dans cette nouvelle révolution du jasmin, la mort de ce jeune dans ces conditions est un signe que la Tunis du bas n'a plus rien à perdre aujourd'hui. Depuis sa disparition, d'autres jeunes se sont ainsi brûlé les ailes dans cette nouvelle ère de la contestation. Le mouvement prend de l'ampleur. Tunis est au seuil de cette nouvelle année au bord de l'explosion. Dans la rue, les commentaires vont bon train, Shems Radio, proche de Benali, car appartenant à une fille de première noce, accueille les commentaires les plus éloquents, les plus surprenants, je suis estomaqué par les paroles des représentants des journalistes et des hommes de théâtre comme Fadhel Jaïbi ou Raouf Benyeghlane qui parlent d'un situation intenable et devenue aujourd'hui inadmissible. D'autres citoyens et responsables de la société civile prennent le pas, la contestation s'organise. Dès le 27 décembre 2010, des manifestations sont organisées à Tunis, Sousse, Sfax, Gardane, Medenine, Kairaouan ou Siliana… réprimées pour la plupart dans la violence par les policiers de Benali, rompus à l'exercice de «maintien de l'ordre». Il faut dire que ce dernier connaît son dossier, ayant été un des bras armés de feu Bourguiba pendant longtemps pour mater la contestation d'extrême gauche et celle des islamistes. N'en déplaise à Nicolas Sarkozy et à Alliot Marie d'envoyer quelques «experts» en soutien, le président tunisien se débrouillera très bien avec des armes de dernière génération qu'il n'hésitera pas à utiliser contre ses propres administrés. Le mardi 29 décembre 2010, l'autocrate au bon teint, sourire au botox et aux images d'Epinal apparaît sur la presse, il raconte encore des fadaises. La Tunisie du bas n'est plus dupe, elle réclame son dû, elle réclame sa dignité. La rue s'empare du discours, les émeutes gagnent les plus grandes villes du pays, le pays profond s'embrase. Radès, Ezzahra, Kasserine, Nabeul, Berket Essahel, Menzel Bouzaïane, Benarous, l'Ariana, la cité Ettadhamoun, Thala… La répression est féroce, le président perd son sang-froid apparent, il tire sur les manifestants, et les témoignages ne font pas seulement état de matraquages agressifs, un adolescent de 14 ans est tout simplement tué à coups de matraque. Les morts commencent à se compter en dizaines, des morts mystérieuses, par balle, les blessures se trouvent toutes dans les thorax ou la tête, de quoi se poser de sérieuses questions… on parle de snipers embusqués selon quelques éléments donnés par des médecins. Le président encore en exercice, manifeste de séduction féroce, s'essaye à quelques gestes magiques, il impose au ministère de la Communication Salim Labidi, en remplacement d'Oussama Romdhani qui a, semble-t-il, échoué à gérer cette communication de crise. Comment aurait-il pu, me dis-je en riant, puisque aucune crise n'existait officiellement en Tunisie. Officiellement l'UGTT, (Union générale des travailleurs tunisiens) reste neutre, mais en douce elle organise, au niveau local, des contestations ; les avocats ne peuvent se réunir pour une manifestation, ils protesteront près du palais de justice de Tunis. Internet, outil verrouillé du régime, est détourné, les hackers trouvent les astuces les plus subtiles pour raconter, vivre et faire vivre en temps réel cette révolution. Nombre d'entre-deux sont arrêtés. Mais les portables prennent le relais, des scènes de chaos sont filmées, «twittées» et mises sur Facebook ou YouTube, le plus souvent dans des contournements. Les 30 et 31 décembre 2010, la gronde urbaine continue. J'essaie de prendre la température dans la rue ; Radès, Ezzahra, Ariana, Kasserine, Boumhal bougent encore, elles ne se calment pas, on me parle d'un officier de police sauvagement lynché et qui porte des morsures sur tout le corps. La rage n'est plus contenue, elle explose… Les produits de première nécessité commencent à manquer, la tension est palpable, la garde nationale (équivalent de notre gendarmerie) prend position dans les endroits stratégiques, l'officier en chef de cette structure refusera de tirer sur les manifestants, il sera limogé par Benali. On retiendra en direct, à la télé, de nombreuses images de cette armée qui s'est refusée de tirer sur son peuple. Dans les milieux initiés, on parle déjà la nouvelle que des proches de la première dame du pays s'envolent vers des cieux plus cléments, cette fois c'est du sérieux !
Leïla, partie dans le Khalij, sentant le vent tourner, préfère temporiser à Abu-Dhabi… Je décide par une curiosité malsaine de profiter d'une voiture pour aller me rendre compte sur quelques zones touristiques comment on voit cette mue hivernale. La petite autoroute me mène doucement vers Hammamet. Le décor est intact, un grand hôtel décliné comme un château fort, quelques «Bezness» (gigolos, ndlr), une ou deux italiennes dans les bras, roucoulent dans la plus parfaite indifférence. Les clients s'amusent comme il peuvent ; ici, un fakir fatigué, là, une sorte de femme-jazz complètement anéantie par l'ennui, les hôtels se suivent et ne se ressemblent pas. J'investis la Marina avec ma femme, on s'extasie devant les yachts du monde entier, Amérique, Angleterre, Belgique, France… Et je me demande alors combien de ceux-ci sont amis avec les tristes Materi, Trabelsi ou Benali. La réponse me l'auront sans doute donnée les manifestants qui, quelques jours après, ont brûlé de nombreuses zones comme Baraket Essahel, Nabeul, ou Hammamet Nord. Curieux paradoxe, j'étais venu clore un guide touristique et me voilà en train de lire une révolte dans la rue. Nabeul est triste, elle ne sourit plus, il bruine doucement sur l'asphalte, on vous vend du vent sous un sourire de glace, quelquefois on me vante le courage de Bouteflika, on me dit au moins vous vous avez un vrai de vrai, je suis étonné par l'audace du langage, les gens quand il me parlent ne regardent plus derrière leur dos. Je passe faire un tour par la plage de Nabeul, quelques filles en hidjab minaudent avec leur petit ami. Au loin, des pêcheurs sur la jetée, un leblabi est vite avalé, le café Errachidiya reste égal à lui-même, Oum Kalsoum chante encore… Mais le cœur n'y est plus, quelques jours après, Nabeul comme Hammamet, Tozeur, Douz ou Sousse brûleront et garderont à jamais cette odeur de sang et de flammes dans leurs chairs meurtries. Je m'en retourne sur Tunis, le regard un peu humide vers celle qui partage ma vie ; l'émotion me rattrape, elle mêle la tristesse de ces morts au gâchis d'un autocrate qui a fermé la vie aux enfants de son peuple. L'après-midi, le cimetière de Hammamet m'appelle d'une curieuse clameur, au début, je crois en un match de foot un peu chaud, mais en approchant, je distingue un lycée qui fait face à la mer, près du cimetière ; à l'intérieur, des lycéens scandent des slogans pour demander du travail, au dehors, les policiers veillent au grain, entre uniformes noirs et blousons en cuir, je réfrène une nausée, mais je suis heureux de voir ce lycée gigoter dans le sens véritable.
Janvier commence mal pour certains, mais pour d'autres, les cris de «Birrouh, beddem, neffdik ya chahid» retentissent dans la liesse populaire entre le 3 et le 7 janvier 2011. Thala, la fontaine d'eau, explose et projette du sang. Un saccage en règle est organisé ; le lendemain, l'armée se déploie, elle fait se qu'elle peut pour parer au plus pressé, la police, elle, se démène dans la violence, elle tue à de nombreuses reprises. Ce soir, vendredi 7 janvier 2011, délicat moment de poésie et cruelle ironie, après avoir observé ce théâtre ancré dans la tragédie grecque, me voilà dans les lambris du théâtre municipal de Tunis. En avant-première, on décide de fêter la nouvelle année administrative, au menu, un one man show grinçant de Raouf Benyeghlane dans sa pièce Harek Yetmena ; le ton est étonnamment libre, quasiment incroyable, l'hilarité est générale face à la dénonciation des responsables, de la corruption et autres mœurs étranges de la société officielle tunisienne ; quelques officiels justement se rongent les dents et sourient jaune. Une superbe soirée pour moi. Les débats continuent sur la rue, près du Palmarium ; on ressasse les phrases choc du comédien prophétique. Samedi 8 janvier 2011, je monte sur Carthage, je passe par Byrsa, quartier populaire au flanc de la belle Carthage, je passe devant la maison qui a vu mon adolescence, petite émotion. Petit passage par la mer – celle-ci a gagné du terrain–, pas très loin, le Palais de Carthage hérisse ses gardes face à tous ceux qui veulent s'en approcher. Sur les balustrades, quelques membres de la police, uniforme militaire noir corbeau, prennent un sandwich, ils sont apparemment détendus. Mais je ne suis pas dupe de ce regard qui me détaille, l'œil plissé, de bas en haut comme si j'étais Lee Harvey Oswald. Je monte vers la Basilique Saint-Louis, près des ruines de l'ancienne Byrsa, sur la colline. Ici, j'aime regarder en contrebas ce que fût cette grande cité punique qui avait fait trembler Rome. A l'intérieur, un jeune homme, extirpé des ruines de la colline de Byrsa. On lui a rendu ses traits, il est terriblement beau, il semble aisé, je me demande s'il était vivant, comment aurait-il vécu sous le régime du maître de Carthage et de sa première dame régente aux colères fortement létales. Je redescends sur terre, Tunis m'appelle encore. Je me balade dans les rues tendues comme des ballons d'hélium, les rues sont quadrillées par les hommes en noir, des civils investissent les lieux, ils donnent des ordres discrets, je n'aime pas et je n'ai jamais aimé leur regard. Thala, Kasserine, Kairouan et Regueb comptent leurs morts, la contestation fait tache d'huile, ou tache de sang, je ne sais plus ! Jusqu'au dimanche 9 janvier 2011, Ben Ali décide de sortir les enfants et les universitaires des écoles et des facs, la situation prend un autre tour. Dans un discours encore sclérosé, le lundi 10 janvier 2011, le maître de Carthage décide de créer quelques 300 000 emplois, il maintient son discours ferme et rigide, langue de bois et masque hypocrite. La rue continue sa contestation, on n'est pas encore dupe des paroles de ce président de plus en plus désavoué. Quelques affidés du régime encore habitués à la tête baissée descendent dans la rue chanter la générosité de Zine. Le mardi 13 janvier 2011, je dois voir un cadre du ministère du Tourisme et un ami algérien. Après cette entrevue, il est 9h30, je m'arrête par hasard juste en face du ministère de l'Intérieur, juste à côté, un peu en face, un rassemblement, une dizaine de flics en civil, un officier semble les briefer, ils ont les bras derrière le dos, terrible image d'une flicaille aux ordres, incroyable image de cet officier galonné qui écoute son chef en civil parler, je parle au téléphone, ils ne me remarquent pas, je les observe, fasciné, ils s'évanouissent dans l'avenue Bourguiba. Je vais à ce rendez-vous algérien, la discussion s'entame, prend son envol, un café sur l'avenue Bourguiba, la rue se vide, les tables sont vite ramassées, on a très peu l'habitude des émeutes dans ce pays paisible. Je quitte mon rendez-vous et me retrouve dans une manifestation des hommes de théâtre et artistes tunisiens, ils se campent en face du théâtre de Tunis et ne comptent pas se laisser faire, une femme de théâtre est malmenée, Fadhel Jaïbi, très connu, fera des déclarations ; la police est sur les dents, je reste quelques temps et redescends sur la place palpitante Barchalona, la place de Barcelone. Elle est le tremplin de toutes les destinations laissées pour compte, on ne va pas à la Marsa ou à Carthage par Barchalona. La place est un peu calme, quelques kiosques sont fermés. Je rentre dans ma banlieue, l'armée est devant le comptoir sfaxien, à quelques mètres de chez nous, paradoxe d'une présence malgré tout rassurante ; il faut dire qu'il y a eu du grabuge dans le coin sur Radès, Boumhal et Hammam Lif. Il faut chercher le pain, peut-être que le boulanger du quartier... Chou blanc pour ce pain noir à faire passer, je ne trouve rien. J'aurais plus de chance le lendemain. Mais à la maison on m'accueille avec la nouvelle d'un nouveau discours ce soir.
Il est 8h, l'homme apparaît à l'écran, maquillé comme Ubu, promettant Twitter, Facebook et un Net libre ; il offre du sucre et du pain à tout le monde, interpelle Bourguiba dans la gestuelle, vole des mots de de Gaulle, il use d'un discours décousu, cogne ses micros plusieurs fois, se perd dans ses mots et manque de rater son prompteur, il offre la démocratie et la liberté, déclare arrêter les cartouches, manque de pleurer d'émotion ; la gestuelle ne trompe pas, elle suinte la fin du régime, elle pleure des suppliques pour rallier la frontière de cet énième mandat déjà en surplus de deux. Il promet monts et merveilles, regarde de biais son peuple, il est pathétique, surréaliste... On se regarde en chiens de faïence, les commentaires fusent sur la nouveauté de ce discours. Le lendemain, mecredi 14 janvier 2011, quelques partis comme le PDP demandent des élections avant six mois, et demandent un travail en collaboration avec tous les partis d'opposition et de la société civile. La rue flambe de nouveau, elle ne croit plus en ce discours ; les ministres limogés, les remplacements au pied levé et les replâtrages divers ne serviront plus à rien. Ce soir même, je pars vers l'aéroport pour un vol sur Alger.
Il n'est pas loin de 14h30, l'atmosphère est agitée mais rien d'anormal, le chef d'escale enregistre un joyeux groupe de délégués médicaux, je prend ma carte d'accès et entre dans l'aérogare, me préparant à affronter la PAF ; quelques minutes après, une jeune fille me demande mon métier, je lui réponds ; brune, un gilet en cuir rouge, elle vient de prendre son poste et n'a pas eu le temps de se changer. J'entends le cachet apposé sur le passeport, j'esquisse un pas et c'est l'apocalypse, des cris retentissent, je suis tétanisé, la policière me suggère de continuer à marcher vers l'avant. Un mouvement de panique indescriptible agite la salle immense, nous sommes une douzaine de passagers, il ne reste que moi, un autre Algérien installé ici et deux ou trois vieux routiers courageux. Un policier me somme avec son pistolet de sortir, un officier annule le cachet et répond à mes questions : un responsable de la famille de qui tu sais s'est déplacé en force, il essaye de s'enfuir vers Lyon. Tout de suite après, je suis le départ de Benali, il fait un dernier pied de nez et s'envole, un premier pilote a refusé de le prendre par principe, un second se collera à la corvée, il tournera en rond puis fera escale en Sardaigne, tout près de Lampedusa, là ou des centaines de ses enfants ont bravé la mer pour une vie meilleure. Je ressors avec mon désormais ami Moh Chérif, on commente un peu avec le sourire cette formidable agitation, et on se demande comment tous ces policiers aient pu déguerpir en un temps aussi court… L'aéroport de Tunis-Carthage est bouclé, tous les vols annulés, les vols domestiques sont rapatriés un à un. Le couvre-feu se met en place rapidement, on se prépare à passer une longue nuit à l'aéroport, les civils investissent les lieux et surveillent les moindres coins de cette enceinte internationale, la nuit sera longue. Vers deux heures du matin, un responsable de l'aéroport daigne enfin distribuer à quelques personnes des mini-coussins, quelques fines couvertures et… des cannettes de soda. Le cafétéria, resté ouverte toute la nuit, pratique des prix élevés, quant aux femmes de ménage, elles ont tout simplement veillé héroïquement au nettoyage, tous les quarts d'heure… Le lendemain de cette première nuit agitée et définitivement «débénalisée», Tunis Air décide de prendre les passagers en charge pour les diriger vers leurs pays respectifs, dehors la sécurité est à son paroxysme, des hélicoptères sillonnent le ciel, un nuage de fumée grandit au loin, on parle d'un supermarché qui brûle, je devine à qui il appartient. La Libye envoie quelques aéronefs pour rallier Tripoli et Sebha, les compagnies aériennes, telles Air France et Lufthansa, annulent leurs vols vers Tunis. Pagaille indescriptible dans l'aéroport, Tunis Air fait ce qu'elle peut, je m'inquiète un peu d'Air Algérie qui ne donne pas signe de vie, ils promettent qu'ils seront là à midi, ils tiennent parole, promettent un avion plus grand, ils gèrent dans le plus complet sang-froid, ils enregistrent pas moins de 260 passagers pour la plupart algériens. Vers 16h30, des applaudissements retentissent dans le free-shop fermé, j'ai juste le temps de voir l'Airbus d'Air Algérie atterrir sur la piste… Et je ne peux m'empêcher d'avoir une larme de rage, en pensant à ce roi maudit par les siens qui par la justice de Dieu et du peuple n'a même pas pu atterrir sur les terres des hommes, continuant son errance à tout jamais, et j'ai eu une tendre pensée à Si Larbi, à Hamma, Tewfik, Raouf, Sihem, Moncef, Souhayr, Mohamed Bouazizi et les autres, et je me suis dit qu'ils ne seront plus jamais seuls…


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