Rencontré dans son cabinet d'avocat, Maître Henni Merouane consent à nous entretenir sur sa perception de la peine de mort. Il donne l'impression d'être un peu en retrait par rapport aux débats autour de la question. En tout cas, à aucun moment il n'a évoqué la sortie de Abderahmane Chibane, président de l'Association des oulémas, qui a qualifié d'impie toute personne se prononçant en faveur de l'abolition de la peine de mort. Pour maître Henni Merouane, il s'agit d'une conviction forgée à partir de son expérience professionnelle et de son cheminement intellectuel. Tout en évitant de rentrer dans les détails, notamment des dates, il se rappelle d'un débat autour de la question avec d'éminents juristes qui avait lieu quand il était encore jeune. Un débat qui remonte à quarante ans auparavant, se contente-t-il de préciser. Les arguments des uns et des autres se valaient, lance-t-il. Mais son expérience avec la peine de mort remonte à l'époque où il occupait le poste de magistrat. Dans un procès qualifié de « procès du siècle », celui du « tueur au pilon », il a requis la peine capitale pour le coupable en tant que représentant du ministère public. Plus grave, il a assisté à l'exécution de la sentence, autrement dit à l'exécution du meurtrier. «C'est une expérience marquante », lance Henni Merouane. D'autant que cette exécution ne s'est pas déroulée comme il se doit. Par pudeur peut-être, notre avocat préfère juste évoquer le refus des magistrats et représentants de la société d'accéder à la dernière volonté du condamné, celle de lui enlever le bandeau qui l'empêchait de voir. « Par peur de heurter le regard de quelqu'un qu'on a condamné à la mort ». Concernant le procès de ce meurtrier qui s'était spécialisé dans l'assassinat des femmes et avait commis treize forfaits dont cinq meurtres, maître Henni se remémore encore la réponse de Mr Hireche, époux d'une des victimes. Interrogé avec insistance par un journaliste couvrant le procès, le mari endeuillé dira « je suis contre la peine de mort par conviction ». Commentant cette réponse, Henni dira « peut-être sur le coup, ce monsieur qui était un grand lettré aurait été capable de donner la mort à celui qui a ravi la vie de sa femme enceinte ». Henni Merouane a assisté à une seconde exécution, ce qui l'a emmené à se ranger définitivement du côté de ceux qui se déclarent pour l'abolition de la peine capitale. Pour lui, la peine de mort n'est pas « un acte de justice » mais plutôt « de vengeance ». Cependant, il estime que la question ne doit pas se poser en des termes simples « être pour ou être contre ? » Il croit à la nécessité d'un large débat de société autour de la question. Il ira jusqu'à songer à soumettre la question à un référendum. Reproduisant certaines citations de grands écrivains de l'ère des lumières, il estime que « dans chaque individu est tapi un meurtrier » et en même temps « l'être humain est récupérable ». Et de citer l'exemple d'un meurtrier, devenu trente ans après passés en détention, un grand avocat. Il nous fait part de sa conviction que « la société n'a que les criminels qu'elle mérite ». Plus grave, avec du recul, il estime qu'il n'y a pas une grande différence entre le meurtre commis par un délinquant et l'exécution ordonnée par une juridiction puisque les deux actes se soldent par « ôter la vie à un être humain ». Prenant davantage de recul par rapport aux polémiques sur la question, il dira que « la question est toujours d'actualité. Tant qu'il y aura la justice des hommes ». Devenant plus pragmatique, il soulignera que l'Algérie a adhéré à toutes les conventions internationales allant dans le sens de l'abolition de la peine capitale. Il remarquera le moratoire sur les exécutions décidé par la justice algérienne depuis quelques années. Abondant dans le même sens, il ajoutera que les condamnés à mort dans les prisons algériennes ne traînent plus de boulets aux pieds. Par contre, ils sont toujours sujets à l'isolement total. Lors de notre rencontre, Maître Henni n'a soulevé que les cas relevant du droit commun. Il établit un distinguo entre ce genre de forfait et ceux à caractère politique, dit dans le jargon juridique « crime noble ». Concernant ces derniers, il est peu disert. Peut-être qu'il faut aussi inclure ce type de crime dans le débat qui peine à prendre une tournure sereine et sérieuse autour de la question de la peine de mort.