«Celui qui croit qu'un jugement humain est meilleur qu'un jugement divin est un apostat», a déclaré cheikh Abderrahmane Chibane. L'Etat algérien sera-t-il qualifié d'impie? Il s'apprête, à travers ses institutions, dont l'Assemblée populaire nationale, à se prononcer sur une question de société qui pourrait, à nouveau, le secouer dans ses fondements: l'abolition de la peine de mort. Dans le cas où les élus du peuple se prononceraient pour, la sentence est toute prête. C'est le Bon Dieu qui a créé l'homme et c'est lui qui est le mieux placé pour savoir ce qui lui convient. Ceux qui prétendent, à l'instar de M.Farouk Ksentini, que la peine de mort est une peine dépassée par les événements, se trompent éperdument, et que «celui qui pense qu'un verdict humain est meilleur qu'un verdict divin est un apostat. Il doit divorcer de sa femme musulmane et être enterré dans le cimetière des apostats». Cette «fetwa» a été prononcée par le président de l'Association des ulémas musulmans algériens. Cheikh Abderrahmane Chibane a tenu à souligner que la peine de mort est clairement évoquée dans les versets du Saint Coran. La messe est dite. La sentence est tombée. Les couteaux sont aiguisés et le sang peut encore couler. L'Algérie peut encore voyager dans les ténèbres. Et ce n'est certainement pas le premier des ulémas algériens qui l'en sortira à propos de ce débat qui s'annonce comme un enjeu de premier ordre pour les fondamentalistes musulmans. La question a aussi suscité de violentes réactions dans d'autres communautés religieuses, chrétiennes en particulier. Abderrahmane Chibane sera un adversaire farouche pour les abolitionnistes. Il annonce, d'ores et déjà, la couleur. Ramadhan, pèlerinage...et loi du talion sont mis sur un pied d'égalité. Œil pour oeil est un devoir parmi tant d'autres pour tout bon musulman. L'abolition de la peine de mort ne trouve aucune grâce à ses yeux. La peine de mort ne porte en elle qu'un caractère répressif. Elle est incapable de réduire le taux de mortalité argumentent ceux qui veulent l'abolir. «Je demanderai à ces derniers si la peine de prison est plus répressive que la peine de mort, la loi du talion ne peut être que plus répressive que la peine de prison et les travaux forcés», leur répond Abderrahmane Chibane. Les ulémas algériens affichent leur intention, sans ambages. Ils ne participeront pas uniquement à ce débat. Ils tiennent tout simplement à l'extirper du cadre dans lequel il a été projeté. Celui des institutions de l'Etat. Le président de la commission nationale des fetwas du Haut conseil islamique lui en a dessiné les contours. «La question de l'abrogation de la peine de mort ne peut pas sortir du cadre des versets du Saint Coran» a tenu à souligner le docteur Mohamed Chérif Kaher. La polémique semble toutefois avoir pris corps même au sein des représentants officiels de l'Islam en Algérie. Cheikh Smati qui s'est prononcé au nom du HCI (Haut conseil islamique) ne voit pas d'inconvénient à ce que la peine de mort soit abolie par l'Etat algérien. «Si le cheikh a déclaré que le Haut conseil islamique ne voit pas d'objection à abolir la peine de mort des lois algériennes, cela n'engage que sa personne et non pas l'ensemble du HCI» a sèchement répliqué le docteur Mohamed Chérif Kaher. Cette petite brèche ouverte au sein des oulémas, tenants purs et durs de la peine de mort sera, sans coup férir, exploitée par les abolitionnistes. «Soyez le premier à abolir la peine de mort». C'est l'appel lancé à Abdelaziz Bouteflika par Maître Miloud Brahimi au mois de novembre 2006 sur les ondes de la Chaîne III. Faut-il rappeler que le chef de l'Etat, dans un discours prononcé à partir de Bruxelles en 2003, avait pris position pour l'abolition de la peine de mort. Le débat est, certes, passionnant. Les islamistes en mal de reconnaissance et qui vont de déconfiture en déconfiture électorales ne rateront pas l'occasion d'investir ce créneau. Le moment de se refaire une virginité est venu. Entre l'extermination des Palestiniens à Ghaza et la peine de mort, le coeur ne balance plus. Il bat à tout rompre. Le débat sur la suppression de la peine de mort est propre à toute société qui aspire au progrès. Progrès ou régression du droit? Doit-on ôter la vie à un être humain, fût-il criminel? La peine de mort s'apparente à un acte de vengeance et fait souvent référence à la fameuse loi du talion. Oeil pour oeil et dent pour dent. Ce qui n'a eu pour effet que d'entretenir les crimes en série et l'aversion entre familles de génération en génération. Les rapts et les viols d'enfants constituent des résistances et des arguments en béton pour les partisans de la peine de mort. «Comment réagiriez-vous si un de vos enfants subissait un tel sort?». C'est la question adressée, en novembre 2006, par une auditrice de la Chaîne III à Maître Brahimi et Ksentini. «Il s'agit d'instaurer une justice publique et non des justices individuelles», ont répondu, à l'unisson, les deux défenseurs des droits de l'homme. C'est le combat de la société qui avance contre celle qui recule. Celui de la lumière contre celui des ténè-bres. L'abolition de la peine de mort peut être l'émanation d'un seul homme qui va à contre-courant de la volonté populaire. François Mitterrand, sous la houlette de son garde des Sceaux, Robert Badinter, en a donné l'exemple. Qui se souvient de l'affaire Ranucci? Le pull-over rouge: une oeuvre superbe de Gilles Perrault qui a magistralement démontré l'innocence d'un jeune garçon de 20 ans guillotiné à tort. La justice des hommes n'est malheureusement pas infaillible. La peine de mort demeurera ce geste barbare qui n'honore pas les sociétés modernes qui continuent à la pratiquer.