La réunion triangulaire qui s'ouvre à Riyad n'a qu'un seul point à l'ordre du jour : l'Iran. L'invitation lancée par le roi Abdallah aux présidents syrien et égyptien ne le mentionne évidemment pas ; la rencontre a pour objet officiel la réconciliation arabe mise à mal par des stratégies et des alliances diamétralement opposées. L'objectif officieux étant d'éviter des confrontations publiques lors du prochain sommet arabe prévu pour la fin du mois à Doha. Mais personne n'est dupe des réelles intentions saoudiennes, il s'agit bien de tenter de rompre ou au moins d'amoindrir la relation syro-iranienne afin de tenter d'isoler la République islamique. L'axe Riyad-Le Caire, complètement instrumentalisé par les Etats-Unis, n'a de cesse de réduire l'influence iranienne à laquelle il attribue un rôle de soutien aux oppositions radicales, ou présentées comme telles, dont l'audience auprès des populations au Moyen-Orient ne cesse de grandir. De fait, la position des capitales du pays arabe le plus riche et de celui le plus peuplé a consisté, ni plus ni moins, à adopter des attitudes très équivoques lors de l'agression israélienne contre Ghaza. De la même manière que les deux pays avaient développé un discours qui justifiait de manière implicite l'agression contre le Liban en critiquant avec véhémence le Hezbollah au plus fort de la guerre d'août 2006. Les dirigeants saoudiens ou égyptiens sont bien entendu désireux de satisfaire les desiderata de leur sponsor américain, mais cherchent avant tout à étouffer dans l'œuf toute velléité de contestation politique chez eux. La gestion extrêmement autoritaire dans les deux pays et les extraordinaires dispositifs sécuritaires n'empêchent pas la montée du mécontentement social et politique qui s'exprime sous différents registres et diverses formes dans des sociétés intégralement bâillonnées. Le wahhabisme pétrolier et la bourgeoisie d'affaires au pouvoir sur les rives du Nil sont littéralement terrifiés par les prétentions démocratiques d'une partie des élites et des populations. Des mouvements politiques aussi différents que le Hamas et le Hezbollah sont, aux yeux de ces régimes, un épouvantail dont l'emprise politique ne serait due qu'au soutien de Téhéran, relayé par Damas. C'est ce qui avait valu, au temps du néoconservatisme triomphant, à la Syrie d'être littéralement excommuniée par l'Arabie Saoudite et l'Egypte. Or, si la mise au ban des nations décidée par l'ancienne administration américaine n'était déjà plus de mise à la fin du règne du déplorable prédécesseur de Barack Obama, elle n'est plus du tout d'actualité aujourd'hui. Les Américains parlent directement et ouvertement aux Syriens dans le but de les amener à revoir leur partenariat stratégique trentenaire avec l'Iran. Les Arabes alliés des Etats-Unis ne peuvent pas faire moins. L'obsession anti-chiite des Saoudiens, qui confine au délire paranoïaque dans le discours officiel, alliée à l'aversion des nouveaux riches de l'infitah égyptien pour les mouvements sociaux, aura-t-elle raison des choix stratégiques de la Syrie ? Rien n'est moins sûr. L'habileté manœuvrière syrienne n'a pas disparu avec le décès de Hafez Al-Assad, le « Bismarck arabe » selon Kissinger. La Syrie ne va pas bouleverser son approche. Il est peu probable que la réunion de Riyad puisse modifier la réalité des alliances au Moyen-Orient.