L'une des scènes les plus étranges dans la controverse concernant le changement climatique a sans doute été le spectacle de James Hansen, le climatologue de la NASA, et de Daryl Hannah, l'actrice hollywoodienne, défilant main dans la main devant l'usine thermique à charbon du Capitole, à Washington, DC. Avant cette manifestation, qualifiée par certains de plus importante action directe mondiale de protestation contre le changement climatique, James Hansen avait indiqué qu'il prendrait le risque d'être arrêté. Mais la pire tempête de neige depuis trois ans a découragé des manifestants, empêché la venue d'invités de marque et entravé l'utilisation d'un panneau solaire pour éclairer un tableau d'affichage de protestations. La police aurait dit aux protestataires qu'elle n'avait pas l'intention d'arrêter quiconque ne souhaitait pas être arrêté et finalement personne ne l'a été. Cela n'a pas empêché les manifestants de proclamer le succès de l'événement. Le site Web de l'action sur le changement climatique au Capitole affiche le titre : « Victoire : c'est ainsi qu'on stoppe le réchauffement climatique ! ». Et en effet, la présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi et le chef de la majorité démocrate du Sénat Harry Reid ont invité (quelques jours avant la manifestation) l'architecte du Capitole à modifier l'alimentation de l'usine thermique du Capitole. Mais si empêcher le réchauffement climatique était si simple, je serais - et tous les gens que je connais - en train de peindre des banderoles pour la prochaine manifestation. James Hansen a qualifié les usines thermiques à charbon « d'usines de la mort » et sa conviction concernant la nocivité du charbon est largement partagée, bien qu'elle soit erronée. Si nous cessions demain d'utiliser du charbon, nous découvririons qu'il est en fait une ressource vitale. Le charbon permet de produire près de la moitié de l'électricité mondiale, dont la moitié de l'énergie consommée aux Etats-Unis. Il fait fonctionner des hôpitaux et des infrastructures de base, fournit de la chaleur et de la lumière en hiver et de la climatisation en été. En Inde et en Chine, où le charbon représente près de 80 pour cent de la production d'électricité, il a permis à des centaines de millions de personnes de sortir de la pauvreté. Il ne faut donc pas s'étonner que le secrétaire d'Etat américain à l'Energie, Steven Chu, qui décrivait il y a deux ans à peine le développement d'usines thermiques à charbon comme son « pire cauchemar » qualifie aujourd'hui le charbon de « fantastique ressource naturelle ». La question fondamentale est celle de savoir par quoi remplacer le charbon si on abandonnait son utilisation. D'après leurs slogans, « non au charbon, non au gaz, non au nucléaire » et « biocarburants - surtout pas ! » - les manifestants à Washington refusent plusieurs alternatives plausibles. Les énergies solaires et éoliennes semblent acceptables, mais les deux sont beaucoup moins fiables que le charbon et beaucoup plus chères. Seul 0,5 pour cent de l'énergie mondiale est fourni par les énergies renouvelables. En se basant sur des prévisions optimistes, l'Agence internationale de l'énergie estime que leur part s'élèvera au mieux à 2,8 pour cent d'ici 2030. L'un des problèmes tient au fait que nous ne savons pas comment stocker ces énergies : lorsque le vent ne souffle pas ou que le soleil ne brille pas, comment alimenter votre ordinateur portable ou la salle d'opération de l'hôpital en énergie ? Les énergies renouvelables continuent en outre à être coûteuses. L'ancien vice-président Al Gore et le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon ont récemment affirmé « qu'aux Etats-Unis, l'industrie éolienne emploie aujourd'hui plus de personnes que toute l'industrie du charbon ». Peu importe que les chiffres aient été quelque peu arrangés, parce qu'ils dépeignent quand même un tableau intéressant. Aux Etats-Unis, 50 pour cent de l'électricité provient du charbon et 0,5 pour cent de l'énergie éolienne. S'il faut une main d'œuvre à peu près équivalente pour produire les deux, l'énergie éolienne continue à être phénoménalement plus chère. L'équivalent en charbon de plus de 60 millions de barils de brut sont consommés chaque jour et il n'y a pas d'alternative « verte » à un prix abordable. Il y a par contre de vastes réserves de charbon à moindre prix, assez pour durer des siècles. Nous devons nous habituer à l'idée que l'essentiel de ces réserves bon marché seront brûlées et trouver des solutions pour piéger le CO2. Dans le cadre d'accords annoncés par l'administration Obama, les Etats-Unis coopèrent avec la Chine et le Canada sur des projets destinés à développer cette technologie. La fin de la prédominance des combustibles fossiles n'interviendra que lorsque nous aurons des alternatives bon marché, en particulier dans les pays en développement. Ce jour-là arrivera plus vite si les gouvernements consacrent davantage de moyens à la recherche, aujourd'hui tout à fait insuffisante, sur des énergies à faible émission de carbone. Chaque pays devrait idéalement dépenser 0,05 pour cent de son PIB au développement de technologies énergétiques non polluantes. Cet effort s'élèverait à 25 milliards par an, soit une multiplication par 10 des sommes allouées à ce domaine, et donnerait l'impulsion permettant de retrouver la vision d'un monde à faibles émissions de carbone et de hauts revenus. Même si le charbon contribue fortement au réchauffement climatique, aucun tour de passe-passe politique ne peut dissimuler le fait indéniable qu'il procure aussi des avantages qui n'existent pas encore avec les énergies renouvelables. Prendre le risque d'une arrestation aux côtés d'une star hollywoodienne est une diversion. Proclamer une véritable victoire sur le réchauffement climatique nécessitera davantage de pragmatisme et beaucoup plus de travail. Traduit de l'anglais par Julia Gallin ------------------------------------------------------------------------ * Organisateur du Consensus de Copenhague et professeur adjoint à la Copenhagen Business