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Un géant des dialogues des cultures, un acharné de l'Histoire constructive et réconciliant de l'Islam en France : Bruno Etienne s'en va
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 18 - 03 - 2009

Après Vincent Monteil, Jaques Berque et Germaine Tillon, un autre ami des peuples d'Afrique du Nord s'en va, le 4 mars, Bruno Etienne est mort à l'âge de 71 ans.
Après une longue maladie, il quitte le monde des polémiques et laisse la scène du débat, en faveur d'un rapprochement entre les peuples des deux rives de la Méditerranée, à l'expectative. Traitant l'histoire sur des bases d'héritage de cultures humaines, très ouvert sur l'Orient notamment l'Afrique du Nord, ennemi juré des manipulateurs de l'Histoire, des légitimistes des Cours et des laudateurs de princes, il conserve la ligne et le parcours d'homme battant pour une Histoire neutre, et le ton et la rigueur d'un acharné voué au service de la réconciliation de la France avec ses musulmans. Il mena sa vie d'intellectuel au centre du débat public en criant haut et fort son amour des peuples, et portant sur le cœur le dialogue des cultures, loin des digues raciales que le colonialisme et le racisme ont nourris depuis les lustres contre les peuples.
Né le 6 novembre 1937, à La Tronche (France), Bruno Etienne entama sa carrière d'universitaire à la Faculté de droit d'Aix-en-Provence. Après sa thèse de troisième cycle, il commence son périple en Afrique pour, d'abord, apprendre l'arabe à l'Institut des langues à Tunis, outil indispensable pour l'étude des sociétés nord-africaines, à l'issue duquel il soutient, à Aix-en-Provence, juste après l'indépendance de l'Algérie, une thèse socio-juridique sur «Les Européens et l'indépendance de l'Algérie». En 1965, il rejoint la Faculté centrale d'Alger pour y enseigner le droit. En 1980, il est investi comme directeur de recherche au CNRS sur le monde arabe, tout en assurant ses enseignements en tant que professeur à l'Institut de sciences politiques d'Aix-en-Provence. En 1985, il fonde l'Observatoire du Fait Religieux à travers lequel, il travaille sans relâche pour faire connaître l'Islam, ses maîtres penseurs et les phénomènes apparaissant tout au long de son processus et de ses contacts avec les peuples notamment d'Afrique du Nord, qu'il dirige jusqu'en 2006. Il forme des vagues de jeunes Français, Européens (notamment Italiens) et Maghrébins spécialistes des sociétés musulmanes. Il fut en quelque sorte le fondateur d'une école qui rivalise avec l'école dite « algérianiste » formée d'anciens pieds-noirs et de Français d'Algérie.
Pionnier de l'Islam politique, il s'intéresse de près aux doctrines et aux mouvements de l'Islam et prévoit la montée fondamentaliste, par sa publication en 1987 de : « L'Islam radical », Paris, Hachette.
Cet intérêt, même, pour l'Islam politique le conduit à se pencher sur les immigrés maghrébins en France, et le conduit à publier, en 1989, « La France et l'Islam », édition Hachette.
Bruno Etienne arrive à casser le tabou de l'Islam en tant que religion hostile à « l'Autre ». Il ne cesse de lutter pour que l'Islam en France soit traité comme les autres religions. Il lance à la face du politique la formule de «Islam de France», mettant en exergue le processus de développement de l'Islam dans l'Hexagone. Il a combattu sans relâche le cliché classique d'un Islam intrus, arriéré et hostile à la civilisation et à la modernité en montrant sa perpétuité dans l'Histoire de France, ses richesses et sa contribution au sauvegarde de la nationalité française. Ses travaux rappellent les apports très humanistes de l'Islam et revendiquent les droits de cité en France.
Lors de la 1ière guerre du Golfe (1990-1991), il s'affiche hostilement contre la participation de la France à la coalition dite des alliés et lutta énergiquement contre l'islamophobie qui dégénéra, après le 11 septembre, en Occident à travers la presse sioniste et xénophobe qui trouva sa besogne pour une propagande anti-arabe de plus ample.
Bruno Etienne a toujours su désamorcer la vision sécuritaire subtilisée par les ennemis de l'Orient et de l'Islam en alarmant les politiques sur ses conséquence sur l'union des Français de toutes confessions confondues. Il arrive à convaincre les politiques à la création du Conseil Français du Culte Musulman, défendant sa conception de l'Islam de France. Bruno Etienne n'était pas aussi tendre avec les régimes arabes qu'il dénonce avec virulence et accuse de faire durer l'ignorance, le mépris de leurs peuples et favorisent la monté de l'intégrisme.
Fasciné par Abdelkader, il vient plusieurs fois en pèlerinage, se recueillir sur sa tombe, à Mascara, et médite « ses haltes al-Mawaqif ». En quête spirituelle et suivant sa voie, il consacre à Abdelkader, qu'il considère comme un personnage hors du commun, par ses qualités humaines, sa connaissance spirituelle et le cumule des sciences qu'il endossa, une biographie monumentale.
En hommage à son humanisme, sa rigueur et sa vigueur de combattant pour une Histoire neutre et constructive des peuples, je vous propose de lire l'article, best-seller, qu'il intitula « Lois mémorielles et abus de mémoires », actes sud, n° 3, 2006 (Cet article est disponible en ligne), où il compara mon regard croisé sur l'Histoire algéro-espagnole au travail exclusif de Jacques Berque, il vaut vraiment son pesant de vérité humaine.
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* Historien, directeur de recherche au LERSHMM
Université de Constantine


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