On se souvient tous de l'hystérie esthétique qu'on eu les spectateurs arabes, surtout femmes, pour le feuilleton turc «Nour» et son acteur fétiche. Sans fenêtres dans l'espace clos de son conservatisme, le glorieux Désir d'aimer et d'être aimé, a trouvé son issue dans l'univers du cinéma turc, à la fois musulman - tellement qu'il en semble arabe -, moderne et capable de faire rêver de liberté des sens sans poser la condition du «dénudement» comme en Occident. Le moralisme y est sauf, là où le rêve n'est déjà plus dans l'obligation de l'infraction. Pourquoi en parler aujourd'hui ? Parce que ce qui est valable pour Mohanned, le fantasme féminin panarabe et sa «campagne» turque, tout aussi radioactive, est valable pour le fantasme politique. Aujourd'hui, les élites arabes se retrouvent dans l'obligation de basculer dans l'adoration intellectuelle du modèle turc, faute d'avenirs locaux. Après la péremption des nationalismes, de la Syrie au Maroc, et le cataclysme des islamistes, «que nous reste-t-il en effet ?», se demande-t-on un peu partout. Quel modèle «vendre» et «acheter» pour avoir un projet politique valable chez nous ? Sur quoi bâtir le rêve de la cité arabe idéale ? Et c'est là que, peu à peu, entre Mohanned et Erdogan, le modèle turc est revenu avec la nostalgie du dernier empire rassembleur que nous avons connu : l'empire ottoman, malgré son racisme et ses violences. Erdogan cultive déjà, dans le monde arabe, la position de la Porte Sublime en arbitre. Son implication dans la guerre contre Gaza, sa prise de bec chevaleresque avec Peres, le président israélien, et ses positions face à l'Europe et les Etats-Unis (il ne faut pas oublier le courage des députés turcs lors de l'invasion de l'Irak par Bush et qui ont refusé le survol de leur territoire par l'armée US), ont fini par construire un vrai mythe à moitié enturbanné comme Souleiman le Magnifique et à moitié homme fort comme le fut Atatürck. La Turquie y apparaît comme ce pays «exemplaire» qui a su réaliser une synthèse forcée mais intelligente entre ses militaires, ses laïcs et ses islamistes. Les premiers se sont retirés de la scène pour se consacrer à la fabrication des voitures sous licence, de l'électroménager et à bâtir l'empire du «made in Turquie». Les Laïcs ont accepté le deal de la cohabitation islamiste et ces derniers ont réussi à «placer» un président sans verser ni dans la guerre civile, ni dans le coup d'Etat populiste, ni dans la chasse aux minijupes. Les réalités ne sont pas aussi roses bien sûr, mais le mythe «politique» turc est sur les étalages et les opinions arabes commencent à y céder. Il n'est jusqu'au nouveau président américain qui y a succombé lui aussi. Pour adresser son message au monde des musulmans, il a choisi le pays qui semble le mieux «réussir» la cohabitation triangulaire entre ses islamistes, l'Occident et le Proche-Orient. C'est en Turquie qu'il a visité sa première mosquée, et c'est dans ce pays qu'il s'est adressé à notre univers mecquois. La Porte Sublime est donc là. Tout le monde passe par elle et le reste des pays arabes ne semblent plus être que ses fenêtres. L'homme a besoin de rêver, l'Arabe encore plus. Et entre régime en plastique, rois momifiés, dictateurs voleurs d'urnes, présidents à vie, islamistes sauvages tueurs d'enfants ou vendeurs de tapis qui ne décollent plus depuis les Abbassides, il ne nous reste rien de valable pour fantasmer. Sauf Mohanned pour les femmes, et Erdogan pour les hommes.