Après l'Europe et le Moyen-Orient, Obama a rendez-vous avec l'Amérique latine. Il assiste, du vendredi 17 avril au dimanche 19 avril, à Trinité-et-Tobago au 5è Sommet des Amériques (1) qui regroupe les 34 chefs d'Etat des pays d'Amérique du Nord, du Sud et centrale. Va-t-il ouvrir une nouvelle page des relations entre Washington et ses voisins sud-américains ? Avant même le sommet, Chavez annonce la couleur: «Le Venezuela met son veto dès maintenant. Nous disons, avec d'autres pays, que nous ne sommes pas d'accord avec ce texte (...) Nous n'avons pas de grandes espérances pour ce sommet». Il reproche l'exclusion de Cuba du sommet ainsi que l'embargo imposé depuis 1962 à Cuba. L'enjeu cubain Pourtant, de nouveaux gestes envers Cuba - et même une brèche sur l'embargo - ont été adressés dans l'attente, selon une déclaration d'Obama ce jeudi à CNN, de « signaux indiquant des changements dans la manière dont Cuba gère » certaines demandes internationales (relatives notamment aux libertés publiques). Washington a fait un premier geste en mars, en autorisant les quelque 1,5 million d'Américains d'origine cubaine à voyager vers l'île une fois par an, et non plus seulement une fois tous les trois ans, comme l'avait décidé l'administration Bush. 130 000 d'entre eux se rendent chaque année dans leur pays d'origine. Ils pourront désormais y séjourner plus longtemps et dépenser trois fois plus d'argent. Pour montrer sa bonne volonté, M. Obama a annoncé, le 13 avril, la libéralisation totale de ces voyages, et la levée des restrictions imposées aux transferts d'argent des Américano-cubains vers leurs proches résidant dans l'île. Ces fonds s'élèvent à 800 millions de dollars par an. Des projets de loi déposés au Congrès, et sur lesquels le président ne s'est pas prononcé, vont plus loin, en proposant de permettre à tous les citoyens américains de se rendre librement dans l'île, et de créer un poste d'»émissaire spécial» pour Cuba. En Amérique latine, comme ailleurs dans le monde, M. Obama jouit d'un gros capital de sympathie. Mais pour ne pas trop le dilapider lors de son premier rendez-vous avec les dirigeants de la région, il doit verser du baume sur leur inévitable « déception cubaine ». Aussi n'a-t-il pas manqué de déclarer lors de son passage à Mexico ce jeudi : « Après avoir fait le premier pas, je pense qu'il est dans notre intérêt de voir si Cuba est prêt au changement », qualifiant de « démonstration de bonne foi » les mesures qu'il a prises cette semaine. « Le gouvernement cubain pourrait prendre une série de décisions qui prouveraient qu'il souhaite dépasser le schéma de ces 50 dernières années », a-t-il ajouté. « Nous attendons de Cuba qu'il montre qu'il est intéressé par la libéralisation ». Son objectif, a-t-il précisé, est d'encourager Cuba à « être respectueux des droits de son peuple, des libertés d'expression, d'appartenance politique, de religion, de la presse, de déplacement ». Alors qu'Obama ne s'attend pas à voir les Cubains « changer du jour au lendemain, ce serait irréaliste», sa secrétaire d'Etat, Mme Clinton, précise que: «Nous aimerions que Cuba ouvre sa société, libère des prisonniers politiques, s'ouvre aux opinions et aux médias extérieurs et qu'il adopte le type de société qui, nous le savons tous, améliorera les perspectives du peuple cubain ». Les autres enjeux du Sommet Pour le président Obama, l'objectif premier de sa tournée latino-américaine est de clairement faire oublier les huit années erratiques de l'administration Bush, marquées par la rupture croissante entre les deux Amériques. A titre d'exemple, le 4ème sommet de novembre 2005 (en Argentine) fut un fiasco, miné par les manifestations anti-américaines et la controverse sur la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA) défendue par Bush, qui avait quitté la réunion avant la fin. Le deuxième objectif, côté sud-américain, se rapporte à la sortie de la crise économique mondiale. Avant le 5ème sommet, le président Obama n'a pas eu le temps de lier connaissance avec ses voisins du Sud. Il a certes reçu le Brésilien, Lula da Silva, et croisé au G20 les présidentes argentine, Mme Kirchner, et chilienne, Mme Bachelet. Il a privilégié son homologue mexicain, Rafael Calderon, en le recevant à Washington avant même d'entrer à la Maison-Blanche et en se rendant ce jeudi au Mexique. En n'oubliant pas donc que cinq des dirigeants latino-américains étaient présents au G20 à Londres, l'on peut raisonnablement supposer qu'ils voudraient que leurs pays respectifs bénéficieraient - d'une manière directe ou indirecte - des 1.100 milliards de dollars qui ont été promis au début de ce mois. Ainsi, s'il s'agit pour Obama de relancer le dialogue et la coopération avec le Sud, l'Amérique latine n'est pas prête à se suffire de sa rhétorique. Et ce, d'autant plus qu'après avoir enregistré plus de 5 % (en moyenne) de croissance dans les 6 dernières années et constaté une diminution sensible du nombre de pauvres, il se peut - d'après les récentes prévisions du FMI - de voir entrer en récession dès 2009 certains pays de l'Amérique du Sud. Un coup de pouce pour augmenter les ressources des institutions multilatérales, à commencer par la Banque interaméricaine de développement (BID), serait le bienvenu ainsi que la mise en place des instruments de coordination de la politique économique américaine avec celles de ses voisins et alliés dans la région. Mais, pour que l'Amérique latine ne souffre pas plus, il faut que les Etats-Unis, premier investisseur et premier partenaire commercial dans la région, recouvrent une bonne santé. Le souci des dirigeants sud-américains est d'éviter de faire les frais des erreurs commises par la finance aux Etats-Unis. Après s'être laborieusement remise des excès ultralibéraux du « consensus de Washington », l'Amérique latine redoute d'être à nouveau entraînée, malgré elle, dans une spirale de crise remettant en cause les progrès enfin réalisés dans la lutte contre la pauvreté et les inégalités. Un renouveau salutaire Pour Obama, la rupture avec l'unilatéralisme (réel ou supposé) de l'administration Bush, dans cette région comme ailleurs, viserait surtout à désarmer l'antiaméricanisme qu'il a suscité et laissé en héritage. N'oublions pas que, dans le sillage de la doctrine Monroe (1823) qui avait fait du sous-continent leur «arrière-cour» exclusive, et qu'près avoir, pendant plus d'un siècle et demi, multiplié les ingérences en Amérique latine, le plus souvent pour le pire, Bush ne la tenait plus pour un enjeu stratégique primordial. L'ère Obama offre ainsi pour les latino-américains une occasion en or d'un renouveau salutaire des relations entre les deux parties du continent. Et ce, d'autant plus qu'Obama a beaucoup d'atouts : son souci « d'équité » et « d'inclusion sociale » - dans ce sous-continent en majorité gouverné par des hommes qui se réclament de la gauche - sa légitimité, sa popularité et, bien sûr, son style direct et cordial. Ces atouts qui le font percevoir un progressiste. Dans son Agenda, il n'est pas prévu qu'il reçoive chacun de ces 33 chefs d'Etat en tête à tête, Barack aura par contre trois rencontres collectives avec ses homologues dans le cadre des regroupements régionaux auxquels ils appartiennent, le Marché commun des Caraïbes (Caricom), le Système d'intégration d'Amérique centrale (SICA) et l'Union des nations sud-américaines (Unasur). Mais les pays de la région prévoient de remettre sur la table le dossier de l'embargo imposé à Cuba et son retour dans le giron de l'Organisation des Etats américains (OEA) dont elle a été exclue dès 1962. Ils réclament la fin de l'embargo comme preuve de l'évolution de la politique américaine. Seront-ils écoutés ? S'il y a bien une unanimité c'est parce qu'il existe une réelle chance d'évolution du régime communiste à Cuba et parce que la donne internationale, à commencer par l'évolution de la politique américaine dans le monde, rend possible de nets infléchissements des relations intracontinentales américaines. Et, parmi les Latino-américains, les modérés veulent coûte que coûte éviter que Hugo Chavez (et les autres radicaux) ne se saisisse de la cause cubaine pour tenir en otage l'ensemble du sommet et des relations Nord-Sud sur le continent. Economiste * ------------------------------------------------------------------------ (1) Le 5ème Sommet des Amériques, qui aura lieu en avril 2009 à Port d'Espagne (Trinité-et-Tobag), est une rencontre formelle des chefs d'Etat des 34 pays d'Amérique (du Nord ; du Sud et centrale), il est organisé par plusieurs structures intergouvernementales dont principalement l'Organisation des Etats américains. Le 1er Sommet des Amériques a eu lieu à Miami (en Floride, USA) le 11/12/94, le 2ème à Santiago du Chili (au Chili), le 19/04/98, le 3ème au Québec (Canada), le 20/04/2001, le 4ème à Mar del Plata (Argentine), les 4 et 5 novembre 2005. Deux autres sommets «spéciaux» ont été organisés : en 1996 à Santa Cruz (Bolivie) pour le développement durable et les 12 et 13 janvier 2004 à Monterrey (Mexique).