Pour les bouteflikistes, la rime est là : trois mandats, trois buts. Qui a été vaincu ? Tout le monde le sait : pas l'Egypte, mais l'ennui national, la teigne, l'avancée du désert vers les bouches. Cette vaste maladie de la tristesse de tous qui fait que certains prennent la mer même à pied, d'autres prennent le maquis, d'autres croient que Dieu leur parle à eux et pas aux autres qui ne font pas la prière et que les derniers s'abîment dans la boulimie de la rente et la confection herboriste de l'amertume. C'est presque l'unique psychanalyse possible de la liesse en désordre de la nuit d'avant-hier. Avec klaxons, réappropriation du drapeau national, trop souvent privatisé, fraternité hystérique et slogans improvisés. « Saâdane Papa Noël » à la place du mièvre « Ouahda talitha ». Bien que tournant tous en rond dans le pays fermé, les Algériens étaient heureux pour une fois. Tout le monde a bien joué contre la tristesse nationale qui avait la maîtrise du ballon et des jours à venir depuis des décennies. C'est qu'il est vrai que nous étions tristes depuis tellement longtemps que rien ne poussait sous nos regards que de la mauvaise herbe. On a bien essayé de nous faire rire avec les dernières présidentielles, mais nous en avions ri au lieu de rire de bonheur. Le slogan final était donc le bon : la fête contre la défaite. Et pour cela, il faut remercier les Egyptiens : ils nous ont aidés à nous libérer, comme à l'époque de la guerre de libération. Ils nous ont servi de prétexte pour vaincre le sachet noir de la fatalité. Ils ont permis à ce peuple de s'applaudir. Que faire désormais à l'avenir ? Jouer sans cesse au ballon pour faire changer de cap les chaloupes de la fuite. Marquer des buts au lieu de se les faire désigner par des projets quinquennaux. Garder un équipe égyptienne en permanence chez nous pour se défouler sur elle après chaque attentat ou élection. Clore chaque jour national avec un défilé de drapeaux en joie, sillonnant chaque ville en gris pour que le pays finisse par redémarrer. Dans le tas donc, tout était algérien « made in Algeria »: le ballon, la pelouse, les Algériens, le drapeau, la joie et la victoire. Le seul détail gênant était peut-être l'équipe algérienne. Elle était quasiment « importée ».Et s'il faut saluer le nationalisme des binationaux, il ne faut pas se cacher le soleil : notre industrie du foot était encore au sinistre agréé. Elle importe elle aussi. Les joueurs algériens d'hier étaient algériens et plus que d'autres encore, mais cela ne doit pas faire illusion. Notre foot ne se porte pas mieux : ce sont ses enfants, d'ici ou d'ailleurs, qui se portent bien.