La journée scientifique «Réformes des Universités et Gouvernance», organisée par l'Université d'Oran et l'AUF (Agence Universitaire de la Francophonie) le 2 juin 2009 dans l'auditorium B. Talahite, m'a donné l'occasion d'avoir un aperçu sur la question en Afrique de l'Ouest (Sénégal et Côte d'Ivoire) et au Maghreb (Algérie et Maroc). Cet article présentera brièvement l'historique du système LMD (Licence, Master, Doctorat ou bac+3, bac+5, bac+8), les exposés de la journée, le débat qui a suivi et une conclusion. Historique de la réforme LMD Le 25 mai 1998, les quatre ministres chargés de l'Enseignement supérieur d'Allemagne, de France, de Grande-Bretagne et d'Italie se retrouvent lors d'un colloque à la Sorbonne, à l'occasion de la célébration du 800e anniversaire de l'Université de Paris, pour lancer un appel à la construction d'un espace européen de l'enseignement supérieur. Lancé à l'initiative du ministre français de l'Education nationale (Claude Allègre), le processus a pour objectif de favoriser les échanges universitaires (étudiants, enseignants et chercheurs) et de faire converger les systèmes universitaires vers des niveaux de référence communs. L'initiative est progressivement reprise et développée par la plupart des gouvernements et des universités européens. Chaque système universitaire s'intègre dans le processus selon des modalités qu'il choisit librement. Lors de la conférence de Bologne en juin 1999, 29 pays signent un texte commun /1/. On trouvera également sur ce lien des débats sur cette question, je donne quelques exemples : - Elaboré par des experts, vendu aux politiques, «Bologne» n'est en rien le résultat d'un débat public. - Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur les relations entre l'Europe, l'OCDE, l'OMC, le processus de Bologne, la stratégie de Lisbonne et la marchandisation de la connaissance à l'échelle européenne et mondiale... Notons au passage la publication du rapport Jacques Attali /2/ en mai 1998 où on peut lire cette introduction : sans uniformiser leurs systèmes, les pays d'Europe devront décider d'une certaine harmonisation des cursus et des diplômes et définir un modèle européen spécifique, ni bureaucratique ni asservi au marché. Lui seul aura la taille nécessaire pour maîtriser la mondialisation et promouvoir les valeurs propres à un continent où fut, pour la première fois dans l'histoire moderne, établie une université. Les exposés de la journée Le président de l'Université d'Abidjan nous informe que la décision de basculer dans le LMD a été prise par les chefs d'Etat de l'Afrique de l'Ouest, souligne l'intérêt d'un standard LMD dans l'espace universitaire franco-africain et évoque le risque d'un enseignement supérieur à deux vitesses (public et privé). Le vice-président de l'Université de Tétouan présente le LMD «à la marocaine» qui donne une souplesse dans la définition des programmes (autonomie pédagogique) et évoque les points faibles de la mobilité Sud-Sud. Il donne également quelques informations sur les réformes en cours (autonomie administrative et financière). Le directeur de l'Ecole supérieure polytechnique de Dakar fait l'éloge de l'économie du savoir et illustre son propos en citant le modèle indien qui a permis à ce pays de compter parmi les puissances émergentes. Il avoue les difficultés que rencontre son pays pour réformer l'enseignement supérieur et la vigilance (injustifiée à son avis) des étudiants sénégalais qui se mobilisent contre toute augmentation des droits d'inscription (fixés actuellement à 10 euros, ils seraient de 2 euros en Algérie et dépassent souvent les 200 euros en France). Le directeur de l'ENSET d'Oran a pris la précaution de parler d'adaptation du processus de Bologne au système algérien et a souligné la qualité du système LMD. Le secrétaire général de l'université de Tétouan a abordé les questions liées à l'autonomie de l'université. Enfin, le collègue de l'université de Tarragone (Espagne) a focalisé son intervention sur trois points sensibles relatifs à la bonne gestion de l'université, à l'explosion démographique et à l'éventualité de réserver l'université à une minorité (sans préciser sur quels critères). Le débat Pour détendre l'atmosphère, je cite l'anecdote tirée du roman «Entre les deux palais» de Naguib Mahfouz, prix Nobel de littérature en langue arabe, (une petite «provocation» dans l'espace «francophone») : «L'excuse est pire que la faute» proverbe arabe ancien rapporté dans «Les Mille et Une Nuits». On raconte que le calife abbasside Haroun al-Rachid demanda un jour à son scribe de lui expliquer la signification de ce proverbe. Le scribe pince alors fortement le bras du calife et celui-ci s'indignant de l'audace de son scribe lui dit : - N'es-tu pas fou de te permettre pareille liberté avec moi ? - Pardon, lui dit le scribe, j'oubliais que c'était vous, je croyais avoir pincé la reine ! Le calife s'indigne encore davantage et le scribe lui répond : - Vous m'avez demandé le sens exact de ce proverbe, je viens de vous le donner en alléguant une excuse pire que la faute ! Certains collègues en France pensent que le LMD est une faute et je considère, après avoir écouté les exposés, que son adoption dans l'espace «francophone» est pire que la prétendue faute. Les collègues maghrébins concevaient le LMD comme l'ébauche d'une réforme qui doit tenir compte des réalités locales et ont été critiques sur l'autonomie au sens large des universités. Donnons quelques informations sur les raisons de la crise universitaire en France: loi LRU (Liberté et Responsabilité des Universités) votée en catimini en août 2007 /3/, décret relatif au statut des enseignants-chercheurs sur lequel le gouvernement a fait des concessions mais qu'il a fait passer au Conseil d'Etat pendant les vacances de printemps 2009 malgré les critiques des principaux syndicats, projet de démantèlement du CNRS /4/,... Ces questions qui sont encore discutées en France et en Europe montrent que le LMD et l'autonomie des universités donnent bien sûr plus de souplesse, d'harmonisation et de mobilité mais cachent également le côté pervers de la concurrence, de la privatisation et de la déréglementation. Les syndicats voient dans l'autonomie le désengagement de l'Etat et le risque d'une concurrence déloyale entre les différentes universités (tailles, disciplines) et une injustice pour les couches sociales défavorisées qui ne peuvent plus payer des droits d'inscription élevés d'où la grande mobilisation des étudiants. Il existe déjà en France un enseignement supérieur à plusieurs vitesses : universités, grandes écoles, écoles privées. Une étudiante a remarqué, à juste titre, qu'elle ne connaît pas le système LMD et que le plus important dans la formation d'un étudiant est l'encadrement par une équipe pédagogique compétente et disponible dans un environnement universitaire disposant de toutes les facilités pour étudier. Conclusion Mohamed Seddik Ben Yahia /5/ a été à l'origine (en 1971) d'une véritable réforme modulaire et semestrielle qui a été malheureusement dévoyée par une série de mesures improductives bien connues. Nos étudiants bien formés des années 1970, titulaires d'un DES (bac plus 4), étaient bien accueillis et appréciés dans les laboratoires étrangers pour poursuivre leurs études. Je reste perplexe devant ce basculement vers le LMD (concept européen dont on a souligné ci-dessus les non-dits) et l'absence de réponse devant la massification des étudiants ainsi que le nombre croissant de diplômés sans débouchés. L'utilisation des guillemets dans le titre de l'article et la citation du prix Nobel égyptien de littérature arabe avaient pour but de nous interpeller sur les difficultés que rencontrent nos bacheliers ayant suivi une scolarisation en arabe et poursuivant leurs études universitaires en français dans certaines disciplines. *Ancien Professeur de Physique à l'Université d'Oran /1/ http://fr.wikipedia.org/wiki/Processus_de_Bologne /2/ http://www.cefi.org/CEFINET/DONN_REF/RAPPORTS/ATTALI/ATTA.HTM /3/ http://www.sauvonsluniversite.com/ /4/ http://www.sauvonslarecherche.fr/ /5/ http://fr.wikipedia.org/wiki/Mohamed_Seddik_Ben_Yahia