Ilan Halimi, 23 ans, avait été enlevé dans la nuit du 20 au 21 janvier 2006 dans le but d'obtenir une rançon. Séquestré et torturé trois semaines dans une cité HLM des Hauts-de-Seine, il avait été laissé pour mort le 13 février au bord d'une voie ferrée de l'Essonne. Il était décédé pendant son transfert à l'hôpital. Après deux mois et demi de procès à huis clos, Youssouf Fofana, le chef du «gang des barbares», a été condamné vendredi 10 juillet à la prison à perpétuité avec 22 ans de sûreté. Les coaccusés de Fofana - qui a reconnu être seul responsable des brûlures et coups fatals- ont écopé de peines allant de six mois avec sursis jusqu'à 18 ans de réclusion auxquelles s'ajoutent deux acquittements. Ce jugement n'a pas satisfait la famille de la victime et les organisations juives (le BNVCA, le FSJU, le Consistoire de France et l'UEJF, mais aussi le Conseil représentatif des associations noires (Cran)), qui la soutiennent et ceci pour deux raisons principales : si la condamnation du principal inculpé à la peine maximum leur convient, en revanche, ils reprochent à la justice d'avoir été moins sévère à l'égard des autres accusés, en particulier «la jeune fille qui a servi d'appât», et surtout d'avoir organisé le procès à huis clos, à l'abri des média. Des organisations juives, dont le Crif, avaient appelé à manifester lundi soir pour réclamer un nouveau procès. Le jour-même, la ministre de la Justice Michèle Alliot-Marie a annoncé avoir demandé au parquet général de «faire appel des condamnations inférieures aux réquisitions de l'avocat général» dans le procès du «gang des barbares». «Ce matin, j'ai demandé au procureur général près la Cour d'appel de Paris de faire appel des condamnations inférieures aux réquisitions de l'avocat général», a-t-elle dit devant la presse à la sortie du conseil des ministres. Aussi crapuleux, mais banal, qu'ait pu être son assassinat, la mort d'un Juif et la punition de son meurtrier doivent toujours être exemplaires. En référence à une sorte de droit «commun» qui n'est commun qu'à l'usage d'une minorité qui tient absolument à ne pas être confondue avec la communauté nationale. La République et le Garde des Sceaux ne peuvent s'y soustraire. A défaut, la communauté juive de France (et d'ailleurs) exerce la pression nécessaire qu'il faut pour le leur rappeler afin qu'ils s'exécutent. C'est-à-dire refaire le procès pour infliger de plus lourdes peines et surtout pour que l'exemplarité de la peine soit à la hauteur de l'exemplarité de la «nature» de la victime. On ne tue pas un Juif impunément, car un Juif n'est pas un homme comme les autres. Cette «distinction» qui avait été condamnée, à raison, lorsqu'elle était le fait des nazis et de leurs collaborateurs, car elle séparait les juifs de leurs concitoyens, ce sont maintenant les Juifs qui «paradoxalement» l'expriment, l'exigent et l'imposent à la nation et à ses institutions, en sollicitant à l'excès les mortifications infligées par l'histoire. Cette attitude ne peut durablement être maintenue sans encourir le risque virtuel d'un désordre de la paix civile. Les hommes ne peuvent accepter que d'autres hommes, aujourd'hui minorité prospère épargnée par les stigmates du passé, reçoivent un traitement différencié, sous prétexte que leurs ancêtres avaient été maltraités en raison de leur «particularités religieuses». Cette singularisation est d'autant plus mal vécue que la crise économique touche l'ensemble de la population européenne et mondiale et ceux qui en souffrent le plus la tolèrent encore moins. Enfin, le soutien indéfectible apporté par les Juifs de France à Israël (alors qu'ils passaient jusque-là beaucoup de temps à expliquer qu'il ne fallait pas confondre «antisémitisme et antisionisme»), face à la solidarité exprimée par les Français d'origine arabe, africaine ou musulmane, aux victimes de la guerre que fait (ordinairement, dans le plus grand silence médiatique) l'armée israélienne aux populations civiles de Palestine, crée un potentiel conflictuel dangereux. La différence de perception des conflits du Proche-Orient, s'ajoute au gouffre économique qui se creuse entre les populations juives d'Europe dont la majorité vivait avant 1945 dans des conditions socio-économiques qui favorisaient les solidarités (par-delà les différences religieuses ou communautaires) et les populations d'origine étrangères qui subissent la crise économique de plein fouet : par exemple les taux de chômage qu'ils connaissent sont nettement supérieurs à la moyenne des taux du reste de la population. De leur côté, les tenants des idéologies racistes du passé trouveraient là un contexte favorable à la diffusion de leurs idées, avec l'espoir secret de les incarner dans une politique. Lorsque les «partis de gouvernement» font la démonstration de leur incapacité à trouver des solutions aux problèmes de l'économie et de la société, la porte est alors ouverte à tous les populistes et à tous les extrémismes. Tout cela explique sans doute (sans le justifier) les jacqueries explosives que connaissent ici ou là les banlieues à la suite du moindre incident ou de la mort d'un jeune «issu de l'immigration». Si on n'y prenait garde, ces réactions reflétant un sentiment victimaire, à tort ou à raison, partagé par toute une population maintenue en marge de la société, pourrait devenir son mode normal «d'expression politique». La sévérité des forces de l'ordre au service de la République gagnerait à s'exercer avec l'intelligence de l'anticipation et la finesse de l'analyse historique, sociologique, politique et économique, en évitant de confondre les causes et les conséquences. L'adage est connu : Punir, c'est bien. Prévenir c'est, mieux. La décision prise de refaire le procès Fofana, à la suite des pressions exercées sur le gouvernement français, crée un précédent fâcheux qui ne contribue pas à créer les conditions d'un retour au calme, mais recèle les germes de troubles futurs. Cela semble être aussi la position du syndicat de la magistrature qui fait part de sa préoccupation : «La justice c'est autre chose que la vengeance», a réagi sur RTL le Syndicat de la magistrature (SM, gauche) après l'annonce de MAM, l'Union syndicale des magistrats (USM, majoritaire) la jugeant «inquiétante pour l'avenir». Assimiler la position des organisations juives, non à une quête d'équité, mais à une recherche de «vengeance», montre à quel point l'irritation à leur égard n'affecte pas seulement les banlieues. Au coeur de la société civile française, sourde une opposition plus fondamentale qui ne s'accommode pas d'une évolution politique récente plus ouvertement atlantiste et pro-israélienne. Si cette interprétation est exacte, le procès Fofana peut alors devenir plus que celui d'un «barbare».