Suite et fin Le libéralisme c'est l'Etat Pénitence, pas l'Etat Providence Comme il incarne des intérêts parasitaires aussi bien de la rente que du capital, on disait d'ailleurs autrefois qu'il vivait de la « tonte des coupons », le libéralisme vit en parasite idéologique. Ce parasitisme idéologique transparaît dans l'éclectisme d'Ali Hocine relevé lors de la conférence économique et sociale durant laquelle on parlait aussi bien de corruption que d'économie pétrolière et de syndicats. L'important à ses yeux n'était pas d'élucider la contradiction principale et d'aider ceux qui luttent à faire jonction au niveau politique, il était plutôt de tenir une activité pour mieux souligner que les adversaires n'en menaient pas. La légitimité se trouvant finalement dans la capacité à mener des activités et surtout dans l'issue victorieuse de la lutte qui l'oppose aux autres militants. Selon cette logique Ali Hocine devrait bientôt conclure que Bouteflika a raison puisqu'il vient d'obtenir un troisième mandat. Ce désordre dans les idées se confirme dans le projet de résolution qu'Ali Hocine a présenté dans le cadre de son congrès unilatéral et dont un des principaux objectifs était de substituer une thèse à une autre. Il lui reste cependant difficile de produire un corps de texte cohérent. Peut être sera-t-il prêt un jour, Ali Hocine paraissant sincèrement convaincu qu'en matière de liberté et de démocratie on ne saurait aller plus loin que les libéraux. Ceci en dépit de tous les contre-exemples qu'ils administrent chaque jour et comme viennent de le prouver les libéraux européens qui après avoir voulu contourner le NON français et hollandais à une constitution libérale européenne cherchent comment ignorer le NON irlandais. A moins que cela prenne plus de temps parce qu'Ali Hocine n'arriverait pas à estomper le lien qu'il perçoit, encore, entre néolibéralisme et libéralisme, bien qu'il les oppose. Il avance, il s'en rend compte, une théorie plutôt révolutionnaire : le keynésianisme serait «un concept libéral ». L'explication de cette incroyable avancée théorique c'est Jean Jaurès qui la donne : «quand les hommes ne peuvent changer les choses, ils changent les mots». Regardons de plus prêt comment Ali Hocine procède et pour y voir plus clair je me permets de livrer de larges extraits d'un texte de Maurice Lagueux, épistémologue de l'économie : «En quoi les «néolibéraux» se distinguent-ils des libéraux de plus vieille souche? En un sens, on pourrait dire qu'ils ne s'en distinguent pas vraiment et qu'ils s'efforcent souvent, au contraire, c'est tout particulièrement le cas de Hayek, de souligner leur stricte fidélité aux points de vue de Locke et de Smith [...] Le néolibéralisme ne serait donc rien d'autre qu'un retour, dont Hayek s'est fait le héraut, à ce libéralisme authentique d'Adam Smith, par-delà toutes ces analyses plus modernes (comme celles de Walras, de Keynes ou de Samuelson) qui auraient en commun de subordonner le «libéralisme» à une savante mise en place d'un marché modelé sur les exigences d'un rationalisme sans fondements. Il en va apparemment ainsi au niveau macro-économique, où les idées monétaristes de Milton Friedman, qui [...] peuvent, en un sens, être perçues comme un retour à l'orthodoxie monétaire, par-delà les audaces de la théorie keynésienne. Ce n'est donc pas sans un fondement au moins apparent que les adversaires de ces nouveaux libéraux les ont parfois, par dérision, qualifiés de «paléo-libéraux». Il paraît toutefois bien injuste de considérer ainsi les néolibéraux comme de nostalgiques conservateurs qui s'efforceraient de faire revivre un lointain passé désormais révolu. Pour bien voir que les néolibéraux sont loin d'être des paléo-libéraux, il peut être utile d'examiner de plus près la conjoncture qui a rendu possible la quasi mise au rancart, pendant plus d'un siècle, du «vrai libéralisme» et celle qui, au cours des années 1970, a apparemment permis à celui-ci de réapparaître en force, sous la forme de ce «néolibéralisme». Aux mêmes fins, il importe aussi de voir comment les néolibéraux [...]ont été amenés à expliciter quelques-unes des dimensions fondamentales du libéralisme que, dans son pragmatisme, Adam Smith aurait été assez peu enclin à dégager. [...] Pour Hayek [...] le véritable libéral est celui qui soutient qu'il ne faut confier au gouvernement que le soin d'assurer la sécurité et la liberté de tous et le soin de faire respecter les contrats [...] Le vrai libéral est celui qui, une fois que le mécanisme du marché est ainsi mis en branle, s'oppose à ce que le gouvernement intervienne plus avant, même sous prétexte d'«améliorer» le fonctionnement de ce marché.» A la lecture de ce texte on comprend qu'il est faux de dire, comme Ali Hocine que «l'Etat Providence est un concept libéral » et qu'on peut réduire le capitalisme au libéralisme, sinon à imaginer que le néolibéralisme soit une forme d'anticapitalisme. En bredouillant quelques arguments «sur le mode de production capitaliste et la démocratie occidentale » indépassables «sans douleur », Ali Hocine se doute bien qu'il ne peut emporter l'adhésion des militants. Peut être s'interroge t'il sur la nature de cet Etat Providence en 2009, comprenant qu'il ne peut être un retour 70 ans en arrière et au New deal de Roosevelt, ni même aux «Trente Glorieuses » ? A-t-il à l'esprit Emmanuel Todd qui évoque, à propos de l'époque actuelle, un keynésianisme impérial où dominent les Etats-Unis et les fonds souverains ou attend t-il des sociaux-libéraux européens qu'ils lui fournissent les arguments qui lui permettraient de dissocier la politique libérale de son économie ? Dans un livre-entretien, Delanoë explique que «si les socialistes du XXI siècle acceptent enfin pleinement le libéralisme, s'ils ne tiennent plus les termes de concurrence ou de compétition pour des gros mots, c'est tout l'humanisme libéral qui entrera de plein droit dans leur corpus idéologique.» Mais un de ses adversaires au PS a rétorqué qu'il n'est «pas question seulement du libéralisme en tant que courant d'idées anti-conservateur comme on nous le serine à l'envie. Il s'agit bien de la doctrine économique puisque les exemples donnés (compétition et concurrence) concernent l'économie». Nous pouvons employer le même argument face à Ali Hocine qui nous parle lui de keynésianisme et d'Etat Providence et non pas d'une forme de philosophie politique qui le mettrait sur les pas d'un Rawls que certains situent à gauche de l'échiquier politique américain, après la publication de son ouvrage Théorie de la justice axé sur les notions d'éthique, de justice et de libéralisme. Ali Hocine nous demande, en fait, non seulement de renoncer à combattre le libéralisme mais carrément de nous battre pour lui. D'où le retard dans la production de thèses dont il pouvait s'attendre à ce qu'elles ne soient pas partagées. Au final tout ce qu'il propose consiste à réaliser consciemment et humainement ce que l'Etat despotique néolibéral accomplit dans l'ignorance et dans le sang mais ce projet politique est déjà porté par d'autres. Dans son projet, la critique du néolibéralisme est d'ailleurs tellement assimilable à celle de la rente qu'il se retrouve parfois sur la même position qu'Ouyahia et Soltani, que Benbitour et Ghozali ou que Hamrouche et Aït Ahmed qui dénoncent tous la rente. Quelles autres concessions pourraient-ils attendre au nom de la «conquête des masses» et du «devoir de donner la priorité à l'action et à ceux qui agissent»? Le paradoxe des extrêmes, c'est qu'ils se rejoignent toujours Ali Hocine peut prétendre, dans son évaluation de l'élection présidentielle, que le «débat sur la caractérisation de la nature du système actuel doit être approfondi. L'affirmation de son caractère néolibéral doit être fondée sur une analyse socio-économique sérieuse ». Malheureusement cette approche (qui est peut être une autocritique puisque face aux arguments d'Ahmed Méliani il semblait trouver des arguments pour fonder cette caractérisation) ne vaut que pour le néolibéralisme. En effet dans la même évaluation alors qu'il évoque la crise économique mondiale Ali Hocine dénonce le pouvoir qui «se targue d'être à l'abri ! » en précisant qu'il «est d'autant à l'abri qu'il est loin du système néolibéral ». Il décide, de façon arbitraire, sans se fonder sur «une analyse socio-économique sérieuse », que l'Algérie est loin du système néolibéral. Ali Hocine paraît pourtant si peu sûr de ces thèses qu'un jour avant de les formuler pour la première fois par écrit, il demandait encore où sont les libéraux au sein du MDS. Mais pourquoi met-il en avant cette opposition entre néolibéralisme et libéralisme même si elle ne tient pas vraiment la route ? C'est tout simplement pour se démarquer tactiquement au plan politico-idéologique, comme le fait Moulay Chentouf en martelant sans cesse que la contradiction entre archaïsme et modernité reste la contradiction principale. Tous les deux cherchent à présenter un drapeau à leurs troupes. Trop de camarades considèrent, à tord, qu'ils ne font que diviser, alors qu'ils posent un certains nombres de problèmes très justes, l'un par l'attachement à la ligne, l'autre par la rupture avec la ligne, en assimilant le libéralisme au pôle positif de la contradiction principale. Dans sa lettre au pré-congrès Hachemi Chérif considérait pourtant «que Bouteflika conduit, consciemment ou inconsciemment, la phase négative de reconstruction équivalent au pôle négatif (ou plutôt de recomposition ?) et nécessaire au pôle positif, du paysage d'ensemble ». Il ajoutait, considérant que la ligne de Bouteflika relevait du libéralisme, qu' «il ne peut y avoir d'économie neutre, et à plus forte raison d'économie libérale ou néo-libérale capable de libérer notre pays et de le faire progresser ». Pour autant, il n'est pas illégitime que Moulay Chentouf et Ali Hocine défendent les thèses qui sont les leurs et sur lesquelles ils apportent des nuances et des éclaircissements permanents par leurs pratiques. Mais la contradiction principale traverse tous les conflits, théoriques et pratiques. Elle est une ligne de clivage y compris au sein du MDS, comme hier elle avait divisé le PAGS entre tenants du dialogue avec l'islamisme et de la participation aux élections et tenants de l'interdiction de l'islamisme et de l'arrêt du processus électoral. Et face à la contradiction principale, il ne peut y avoir trois camps ou plus. C'est ainsi que dans la crise du PAGS les tenants du dialogue avec le FIS et les tenants de la partition ont fini par se retrouver contre la ligne de double rupture défendue par Ettahadi. Alors, au delà de son glissement vers la dénonciation de la rente et son renoncement au caractère despotique de l'Etat pour le qualifier d'hybride, à l'occasion d'une déclaration sur le changement de week-end, en quoi Ali Hocine rejoint Moulay Chentouf ? Tout simplement en refusant de renoncer à l'alliance avec les libéraux, en s'engageant dans une voie réformiste et en contrariant la prise en charge de la posture des «deux fers au feu ». Baudelaire nous avait averti : «ô surprise fatale ! La femme au corps divin, promettant le bonheur, par le haut se termine en monstre bicéphale ! » Dans une polémique avec Ahmed Méliani j'écrivais : «On peut affirmer : oui il faut des réformateurs. Ce n'est pas notre rôle. Pour nous, les réformes ne sont qu'une incidence de luttes entièrement libérées de toute inconséquence réformiste. Cependant rien n'interdit de penser que nous subissons des pressions de forces aspirant à voir d'autres réaliser les tâches qui leur incombent. » Voilà maintenant qu'Ali Hocine s'assume comme libéral et donc comme un réformiste, partisan de l'accumulation en opposition à la rupture. Ali Hocine et Moulay Chentouf dénoncent l'utopie à laquelle ils opposent leur réalisme. En réalité c'est leur réformisme qu'ils opposent au radicalisme du MDS. Mais à défaut de produire des thèses en rapport avec cette fameuse réalité Moulay Chentouf exige toujours l'autocritique de ceux qui ont participé aux élections tandis qu'Ali Hocine s'occupe de railler l'idée d'une «révolution orange ». En vérité tous les deux sont convaincus de l'inertie électorale de la société et considèrent, finalement, le boycott comme un comportement passif sur lequel le MDS n'aurait aucune influence. L'un en tire la conclusion qu'il faut juste surfer sur ce boycott, l'autre qu'il faut participer aux élections pour accumuler quantitativement chez ceux qui votent et par conséquent renoncer à court terme à ceux qui boycottent et à la rupture. Après trois échéances, on a vu avec quel succès! Ali Hocine - qui défendait l'idée que dorénavant stratégie et tactique ne se confondaient plus - adopte finalement la même attitude que Moulay Chentouf par rapport aux élections. L'un dit qu'il ne faut pas encore y aller, l'autre dit qu'il faut tout le temps y aller et estime même, à propos de l'implication dans les commissions électorales lors de la présidentielle que «la justesse de cette forme de participation (au contrôle) doit être appréciée en fonction des résultats mesurés en toute objectivité ». Ali Hocine et Moulay Chentouf ont ainsi cristallisé des attitudes qui ont fourvoyé le débat. Des thèses du MDS, Ali Hocine, comme Moulay Chentouf, ne prend que ce qui est acceptable pour les réformistes. Lors des législatives certaines des propositions du mouvement ont été ignorées lors des négociations sur le programme commun des listes que nous souhaitions mettre en place avec l'ANR et l'UDR. La curieuse polémique avec Moulay Chentouf qui, le premier, a défendu l'idée d'un programme minimum, avait déjà jeté toute la lumière sur cette aptitude à escamoter un certain nombre de propositions. Disposé, d'une certaine manière, à s'effacer derrière les thèses réformistes, Ahmed Méliani pouvait clamer, comme une thèse depuis longtemps adoptée à propos du MDS, que «nous serions prêts à le saborder dès qu'il cesse d'être un rapport socio-politique réel et dès qu'il cesse de répondre aux exigences de rupture ». Il paraît avoir été entendu par Moulay Chentouf et Ali Hocine. Pourtant il est clair que ce soit à propos de l'Alliance républicaine, de la convergence démocratique de gauche ou du MDSL, qu'aujourd'hui l'essentiel n'est pas que notre mouvement prenne l'initiative ou soit le creuset d'un rassemblement. Il faut d'abord en définir le contenu. En effet quand Ali Hocine, dans une lettre aux amis, explique qu'il souhaite «édifier un grand parti, fortement enraciné dans la société, le parti de l'espoir » et que Moulay Chentouf se présente comme le continuateur du MDS authentique, paradoxalement ils se posent en défenseurs de ce patrimoine mais légitiment, d'abord, si ce n'est pas seulement, leur droit à le sacrifier. Il apparaît que l'effort de reconstruction est inséparable d'une réflexion sur le mouvement de la société tout entier et sur le camp démocratique et de progrès dans son ensemble. Parler de l'ancrage à gauche comme d'«une affirmation théorique abstraite d'un fantasme encore une fois » comme le fait Ali Hocine est péremptoire. En effet, ce que nous subissons comme divisions en courants dans le mouvement, la société aura à le subir dans des proportions encore plus grandes. La lutte qui se mène au sein du MDS n'est que le prélude des combats que nous aurons à mener à l'extérieur et dans lesquels nous devrons apprendre à séparer les ennemis des amis, à faire la différence entre la gauche et la droite. C'est pourquoi il nous faut penser la régénération de notre stratégie d'alliance en même temps que notre conception du MDS. Certes, dans le contexte actuel, les militants doivent affirmer qu'ils ne désirent pas une simple extension de leur projet au-delà de leurs rangs mais la construction commune d'un projet de radicalité pour l'époque actuelle. Mais en même temps toute tentative de remettre en cause la pertinence du patrimoine de lutte de ces quinze dernières années peut apparaître comme une volonté de mettre entre parenthèses cette radicalité. Le MDS ne sera pas entendu s'il ne dit pas d'emblée et si ses actes ne le montrent pas prêt à s'engager, au nom de cette radicalité, dans tout ce qui contribue à faire converger les forces porteuses d'une alternative républicaine, démocratique et de progrès inscrite dans les luttes réelles et qui nous sollicitent immédiatement, luttes socio-économiques, politiques et idéologiques. Le noyau dur de cette alternative ne peut remplir sa mission que lorsqu'il sait mobiliser les élites sans se détacher des larges masses populaires et garder une confiance absolue en elles pour faire véritablement progresser toute la société. Le MDS doit donc avoir pour ambition de contribuer à des dynamiques politiques majoritaires, dont la finalité n'est pas la reproduction de l'ordre existant, mais sa contestation concrète et la promotion d'un autre projet de société. Mais il nous faut voir qu'avant tout, nous ne saurions envisager une avancée décisive sans cet instrument concret qui s'appelle le MDS. Et puisque notre mouvement connaît une véritable tragédie, il est bon de citer Shakespeare qui, dans Othello, faisait dire à son personnage : «il vaut encore mieux se servir d'une arme brisée que de rester les mains nues ».