L'ordre des Derqaoua Le fondateur de cet ordre, l'un des plus importants courants religieux de notre région, fut Moulay el Arbi Ben Ahmed Derqaoui. Il naquit chez les Beni Zeroual, en 1737, dans une bourgade appelée Derqa. Très jeune il apprit le Saint Coran d'une seule traite ; par la suite, il étudia les sciences religieuses et les sciences profanes. Adolescent, il rendit de fréquentes visites au savant Ahmed ben Driss (mort en 1837), figure majeure du renouveau soufi. (*) (*) - Chaykh ben Driss avait étudié à Fes, puis il s'établit à La Mecque avant de se réfugier au Yemen. Son appel, lancé à tous les réformistes des pays d'Islam afin de dépasser les divergences entre musulmans le rendit célèbre. Le plus proche disciple de ben Driss fut le tlemcénien Mohammed Snûci (mort et enterré dans sa ville natale à El Aubbad en 1859). En 195O un descendant de Mohammed Snûci était nommé roi de Libye pour finir d'être renversé en 1962 par Keddafi ! Nommé maître d'école à Fes, dans le quartier des Fontines, Derqaoui, le lettré, suivait dans le même temps les leçons de Moulay Ali el Djamel ; ce dernier homme pieux et remarquable théologien acquit, de son vivant, une grande réputation de sainteté ; peu de mois avant sa mort, il transmit tous ses pouvoirs spirituels à son disciple. Ce fut ainsi que le chaykh Derqaoui entra dans la Voie, sous l'autorité de ce saint homme qui lui fit découvrir «.la douceur de la vérité divine et la lumière mohammedienne.». (Les lettres du chaykh el Djamel «Rasâ'il Djamalya» sont souvent lues à haute voix dans les madjlis de l'ordre derqaoui - Elles n'ont, semble-t-il, jamais été publiées !) Arrivé au plus haut degré initiatique et maîtrisant toutes les sciences, Chaykh Derqaoui revint à sa terre natale où il édifia une zaouia qui sera fréquentée par un nombre considérable d'adeptes. Il forma, affirmeront ses hagiographes, des milliers de moqqadem de la tariqa derqaouia. Du reste parmi ses innombrables disciples le maître reconnut, de son vivant, des khouans qu'il qualifia de Chaykh autonomes !..D'entre ces savants de grande valeur, ce fut au maître Mohammed el Bouzidi, éminent soufi, qu'il confia la direction de la zaouia : celui-ci illumina de l'étendue de sa science et de sa spiritualité le chemin de tous ceux qui avaient choisi de suivre son enseignement. Il publia un ouvrage intitulé Risalâ. Chaykh Mohammed Bouzidi mourut en 1809, âgé de 62 ans, et fut enterré dans sa tribu des ghomara sur les rives de la méditerranée ; son tombeau comporte un dharih ainsi qu'une qûbba que fréquentent de nombreux visiteurs. D'un caractère doux et bienveillant pour les humbles, le chaykh Derqaoui vécut dans un profond mépris pour les biens de ce monde. Du reste il s'employait constamment à mettre en garde ses disciples : «Que nul parmi vous ne désirera l'exercice du pouvoir ni les biens de la terre, car celui qui aura des ambitions terrestres périra et sera déshonoré !» Moulay el Arbi Derqaoui mourut le 23 Safar 1823, âgé de 86 ans ; son tombeau se trouve dans la zaouia Moulay el Larbi qu'il avait fondée. C'est un vaste et riche établissement où la plupart de ses successeurs sont enterrés. Le maître enseigna à de nombreux savants, entre autres : Moulay Larbi Boutouil el Ouencharici, Sidi Adda Ben Ghalem Allah, Sidi Abdelkader el Bacha Loukili et le célèbre chaykh El Missoum mort le 3 Février 1883. Tout compte fait, le rituel propre aux Derqaoua ne se distingue guère des cérémonies d'initiation en usage dans les autres ordres religieux ! Le mourid ou néophyte doit se conformer aux principes de l'ordre : «commencer ses prières par la formule consacrée La illah illa Allah, qu' Allah Est tout puissant, qu'il n'y a pas d'associé à Sa Puissance, à Lui appartient tout, qu'Il peut tout, Il donne la vie et la mort, nous répandons à chaque instant sur Lui nos louanges !» Ensuite l'adepte «s'engage à aimer ses frères, à éviter le péché, qu'il fera abnégation de lui-même pour tout ce qui concerne la vie matérielle, qu'il s'efforcera d'acquérir et de pratiquer toutes les vertus, qu'il s'instruira et s'acquittera de ses devoirs envers Dieu et qu'il accomplira tout ce qui est d'obligation divine !» Par leur attachement aux valeurs indéfectibles du tasawwuf, par la pureté de leur engagement, leur bonté envers autrui, leur détermination de s'inscrire dans tous leurs actes de la vie quotidienne, dans le respect des concepts de l'univers soufi «ils recueillent l'adhésion d'un grand nombre de croyants à l'idéal de leur confrérie, la plus puissante dans nos régions.» Lorsque le derqaoui se conformera aux prières de son ordre ainsi qu'à ses pratiques, il accèdera dès lors à une nouvelle station spirituelle. Il invoquera le nom de Dieu et continuera sans cesse jusqu'au point où «ce qui était caché se dévoilera à ses yeux ; il continuera encore jusqu'à l'épuisement à répéter le nom de Dieu, Hou ! Lui, l'Etre suprême, existant par Lui-même, alors il parviendra au degré de perfection qui lui est accessible !» Ainsi, s'ouvrira pour l'adepte la Voie dans laquelle marcheront les hommes purs, dévots et ascètes, totalement dévoués à la volonté divine, louant à chaque instant de leur existence le nom du Créateur, «il n'y a de Dieu qu'Allah !». L'ordre des Aïssaoua Mohammed Ben Iça Essûfyani naquit à Meknes vers la fin du XV ème siècle. Ses partisans dans la confrérie le désignèrent du titre de chaykh el kamil (le maître parfait). Quoique pauvre il appartenait à une famille de chorfa - c'était également un descendant direct de l'imam Sliman el Djazouli - qui se réclamait d'une branche royale des Idrisides. Après des études dans la zaouia de sa ville natale, il fit le pèlerinage, puis vécut quelques temps en Egypte. De son séjour au Moyen Orient il amassa de réelles connaissances en médecine, en hydraulique et en agriculture ce qui lui valut, du reste, le surnom de «maître du puits et de l'olivier» ! Revenu au Maroc il se forgea une réputation de savant versé non seulement dans les sciences théologiques mais également dans tout ce qui se rapportait au mysticisme. Sa réputation devint si grande dans le pays qu'elle porta ombrage, dit-on, au sultan mérinide Moulay Smaïl. Lequel ordonna au chaykh et ses ouailles de quitter au plus tôt la ville. L'exode fut terrible, des fidèles de Mohammed Ben Iça mourant de faim et de fatigue demandèrent à manger ! «Le saint homme leur répondit de se nourrir de ce qui leur tombait sous la main, mais il n'y avait que des pierres, des serpents et des scorpions !» Confiants, ils n'hésitèrent pas à avaler cailloux et reptiles venimeux tant était grande leur foi en leur maître ; ce qui d'ailleurs ne leur fit aucun mal grâce à la protection miraculeuse de Sidi Ben Iça. (*) (*) - Pour commémorer ces faits extraordinaires devenus les mythes fondateurs de la tariqa, les Aïssaoua continuent, - au cours de leurs cérémonies spirituelles ou hadra - d'organiser des séquences de Lou'ba - ou jeu, en avalant des reptiles, des pierres, du verre, en manipulant des objets tranchants, en passant par-dessus les flammes ou en marchant sur des braises ardentes ! Aussitôt connus par la population, ces évènements firent une grande impression sur les gens, de sorte que le nombre des prosélytes du saint sidi Iça devint considérable. Bientôt le sultan se trouva confronté à une situation telle qu'il n'eut de cesse que d'offrir au chaykh Ben Iça de revenir en ville où il fut reçu en grande pompe, comblé d'honneurs et de richesses ! Richesses que le saint homme s'empressa de distribuer aux pauvres, car il vécut en ascète dans le dépouillement le plus complet ! Mohammed Ben Iça mourut en 1524 à Meknes où son tombeau se situait dans le quartier de Bab el Djedid. C'est là que se trouvait la maison mère de l'ordre. «- La doctrine des Aïssaoua se résume en peu de mots. Au plan religieux, préférer l'abstinence, la sobriété, l'absorption en Dieu poussée à un degré tel que les souffrances corporelles et les mortifications ne peuvent plus avilir les corps endurcis à la douleur. Au plan moral, ne rien craindre, ne reconnaître que l'autorité de Dieu et des saints, et suivre scrupuleusement les principes du Livre Sacré.» Après la mort du Chaykh, l'autorité de la confrérie resta héréditaire chez ses descendants. Auparavant la place principale des Aîssaoua algériens se situait dans la zaouia d'Ouzera - Médea, non loin d'Alger ; elle fut fondée par le petit fils du chaykh Ibn Iça. Lequel était venu se réfugier en Algérie à la fin du XVI ème siècle, afin d'échapper à la tyrannie d'un sultan marocain de l'époque. Délaissée après l'indépendance du pays cette institution cessera toute activité. Par contre, seule la Zaouia de Oulhaça fondée en 1770 par Mohammed Ben Ali demeurera le centre de la confrérie des Aïssaouia à l'échelle nationale. (*) - Mohammed Benali originaire du Rif marocain vint s'installer avec sa famille, à Oulhaça ghraba, dans le djebel Trara, patrie du célèbre général Tariq ben Ziad conquérant - en 711- de l'Espagne. Cette zaouia visitée régulièrement par les Aïssaoua du pays comportait deux qûbba, une mosquée et un cimetière où reposent encore les membres de la famille du chaykh, notamment sidi Mohammed Ben Ali, son fils sidi Mohammed, Sidi el hadj Mohammed Ghâzûli Les firqa ou branches étaient disséminées un peu partout ; néanmoins les plus importantes restaient jusqu'à une époque récente celles de Aïn el Houts et de Tlemcen. Tariqa zianya Au cœur de la médina, en passant de haret erma (la place des archers) à derb el haddadin - la rue des forgerons - nous longeons, à notre gauche, la mosquée de Sidi Merzouq el Kéfif (incorrectement appelée Djamaâ el Kerma) puis, avant de déboucher sur la rue Sidi Hamed, à main droite, nous empruntons une impasse nommée jadis Haoumet Erroumanâ. Aussitôt les restes d'un vieux dharih, apparaissent sous la forme d'un pan de mur soutenu par une arcade en ruine et d'une niche ; celle-ci contient des croûtons de pain, des couches de suie et des moignons de bougies récemment allumées, qui portent témoignage qu'ici, à Tlemcen, il existe toujours de nombreux adeptes de la tariqa zianya. L'ordre religieux des zianya fut fondé vers 1733 à Kenadasa par le chaykh Ben Abderrahman Ben Bouzian communément appelé Moulay Bouzian. D'abord étudiant à l'Université de Fes, il en fut chassé par le monarque de l'époque. Il trouva refuge au Tafilalet, avant de partir à la Mecque. On rapporte qu'il impressionna son entourage par « sa piété sincère et sa perspicacité dans les choses humaines comme dans les sciences religieuses». Sur le chemin du retour, en passant par le Caire, Tripoli, Tunis, il céda aux sollicitations des fidèles qui lui demandèrent d'être initiés à la Voie soufie. Il désigna dès lors des moqaddem et plaça des khalifa dans chacune de ces villes. Au lieu de revenir dans son pays natal, il s'arrêta à Kenadsa où il édifia une Zaouia devenue depuis le centre d'un ksar important ! Ce fut dans ce sanctuaire qu'il fut mis en terre le 13 Février 1733. A ses côtés on découvre les tombes de deux saintes femmes de la famille de sidi Bouzian : Lalla Aïcha et Lalla Keltoum. «C'est, somme toute, un ordre animé d'un grand esprit de tolérance ; tous ses membres vivent très dignement, en dehors des choses de ce monde, faisant du bien autour d'eux, se livrant à l'enseignement du Coran et de la langue arabe tout en continuant à donner à l'ordre le relief de sainteté qui lui attire la vénération des fidèles et de nombreux adhérents » A suivre