Les Suisses ont voté à une majorité de 57,5% en faveur de l'interdiction de la construction de nouveaux minarets dans le pays. Dans un pays où il n'y a que quatre minarets, tout le monde a compris que le référendum n'avait pas pour objet la «pureté» du paysage architectural helvète mais l'existence même d'une communauté musulmane en suisse. Les partis de droite, ouvertement islamophobes et anti-immigrés, l'Union démocratique du centre et l'Union démocratique fédérale, pavoisent, la Suisse s'est mise majoritairement à leurs couleurs, celles du racisme et de l'intolérance. Contrairement à ce qu'affirme la ministre de la Justice suisse Eveline Widmer-Schlumpf, ce vote ne se limite pas à l'interdiction de la construction de minaret. Il a été conforme à ce qu'en voulaient ses concepteurs: un rejet de la communauté musulmane, de sa religion et de sa culture. Une partie de la classe politique suisse essayait, hier, laborieusement d'atténuer l'effet de cette «votation» qui donne une image sinistre de la Suisse. Certains s'inquiétaient des effets économiques de ce vote islamophobe en songeant aux riches touristes venus des pays du Golfe et bien entendu aux faramineux placements arabes dans les banques suisses. Ironiquement, au cours de la même votation les Suisses se sont prononcés à 68% contre l'interdiction d'exporter des armes de guerre. Les Suisses musulmans ont, sans surprise, été atterrés par un vote hostile qui les stigmatise frontalement et met en cause leurs droits de citoyens. Les Suisses qui ont le droit de mener des initiatives référendaires ont exprimé de manière nette l'ampleur de l'extension du sentiment xénophobe et islamophobe en Europe. Le vote, salué ouvertement dans les droites européennes, est un miroir réel de l'état d'esprit qui règne en Europe à l'égard des musulmans. Un miroir si fidèle qu'il explique peut-être le concert de critiques qu'il a suscité chez les responsables politiques européens. «Vraiment étrange» L'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe s'est dit «très préoccupée» par un référendum qui risque «d'encourager des sentiments d'exclusion et d'approfondir les clivages». Lluís Maria de Puig, président de l'Assemblée parlementaire, a vu dans ce vote l'expression «des craintes au sein de la population suisse - et européenne en général - envers l'intégrisme islamiste». Selon lui, le résultat va à l'encontre des valeurs de tolérance, de dialogue et de respect des croyances de l'autre défendues par le Conseil de l'Europe. Le ministre français des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, s'est déclaré lundi «un peu scandalisé». Cette décision est « négative pour ce qui concerne les inquiétudes mêmes des Suisses parce que si on ne peut pas construire de minarets cela veut dire qu'on opprime une religion». Le ministre suédois des Affaires étrangères, Carl Bildt, a estimé que le vote suisse était l'expression d'un «préjugé et peut-être même d'une peur mais il est clair qu'il s'agit à tous égards d'un signe négatif, il n'y a aucun doute à ce sujet». Il a relevé que décider de ce genre de question par référendum lui «semble vraiment étrange». En réalité, les électeurs ne l'ont pas trouvé «étrange» car il ne répondait pas à une question urbanistique mais on leur demandait d'exprimer un rejet des musulmans. Bien entendu, il ne faut pas s'attendre à ce que les immenses fortunes arabes placées en Suisse réagissent à cette attitude ouvertement hostile. Il ne sert à rien de hurler Il faut juste souhaiter que les réactions dans le monde musulman soient calmes et efficaces. Il ne sert rien de hurler... Chacun peut à sa manière, en allant faire ses achats, exprimer sans crier son rejet de ce racisme décomplexé exprimé en Suisse. Les premières réactions dans le monde musulman sont pondérées. En Indonésie, le chef de la Nahdlatul Ulama (NU), Maskuri Abdillah, a dénoncé un vote de «haine» et d'intolérance tout en appelant à ne «pas réagir avec excès». Le mufti d'Egypte, Ali Gomaa, y a vu «une insulte aux sentiments de la communauté musulmane en Suisse comme ailleurs». Tariq Ramadan a jugé «catastrophique» le résultat du référendum. Le secrétaire général de l'Organisation de la conférence islamique (OCI) Ekmeleddin Ihsanoglu s'est dit «déçu et préoccupé» par la «recrudescence des incitations anti-islamiques en Europe», appelant à des réactions «pacifiques». Ce vote «reflète l'islamophobie extrême» des Occidentaux, a affirmé le Pakistanais Khurshid Ahmad, vice-président du Jamaat-e-islami, parti islamique radical siégeant au parlement. Le religieux chiite libanais, l'ayatollah Fadlallah, a dénoncé un vote «destiné à inciter au racisme contre les musulmans en Occident».