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La gestion des entreprises publiques en Algérie: Une source de conflits stériles ?
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 19 - 12 - 2009

Cet article s'inspire largement d'une enquête que nous avons réalisée il y a quelques années. Toutefois, ni son objet ni peut-être ses résultats ne sont aujourd'hui dépassés.
Ils sont plus que jamais d'actualité.
1ère partie
Nous allons essayer d'y montrer les éléments qui permettraient, sinon d'expliquer, du moins de comprendre les motivations qui conduisent, de temps à autre, mais de façon régulière, les différents groupes professionnels au sein des entreprises publiques à contester la gestion et les gestionnaires. En effet, sous des formes diverses, on assiste apparemment épisodiquement mais réellement continuellement, au sein de ces entités à des conflits, latents ou déclarés, opposant parfois violemment ouvriers, syndicalistes, techniciens et cadres aux directions, où la manière de gérer elle-même est sujette à contestation. On vient d'assister, il y a quelques jours seulement, à un phénomène semblable à Annaba, dans une unité de l'ex- SNLB. Le mouvement s'est, semble-t il soldé par le limogeage pur et simple du premier gestionnaire. Nous sommes donc parti d'un constat simple. Si les conflits de travail tournent généralement autour de revendications salariales, syndicales ou ayant une relation plus ou moins directe avec les conditions de travail, nous assistons, notamment depuis les années 1990, à l'émergence de conflits professionnels où la gestion et les gestionnaires en seraient les causes. Cela se passe surtout dans les entreprises publiques. Rien ne nous confirme toutefois que ce conflit n'existe pas sous forme ou une autre dans les entreprises privées. Nous avons donc posé la question suivante : Qu'elles en sont les raisons, les motivations et les enjeux ?
Afin de parvenir à proposer une réponse à cette question, nous avons commencé par tenter de définir et surtout de cerner les dimensions et les composantes de cette fonction qu'est la gestion. Ensuite, et en structurant nos questions selon ces composantes, nous avons procédé à des entretiens avec une quarantaines d'ouvriers, de techniciens, de cadres moyens, supérieurs et dirigeants travaillant dans une entreprise publique de travaux ayant connu plusieurs fois ce genre de protestations. Nous espérions en connaître les positions, les motivations, les enjeux, etc. Méthodologiquement parlant, il s'agit d'une «étude de cas». En voici un résumé.
Qu'est-ce que la gestion ?
L'analyse des définitions de ce terme proposées par des auteurs d'horizons divers ainsi que l'observation des activités concrètes des gestionnaires, nous conduit à proposer que cette fonction est loin d'être une simple fonction technique. En réalité, la gestion est une fonction à trois dimensions au moins.
La dimension technique
En effet, et toutes les définitions le soulignent avec force, la gestion est dans une large mesure un ensemble de missions et aptitudes technco-organisationnelles. C'est, entres autres, une mission de planification, de fixation d'objectifs, d'analyse, de programmation, de motivation, d'organisation, de leaders cheap, de coordination, de contrôle, de corrections, etc.
Tout gestionnaire est appelé donc à posséder ces aptitudes au plus haut degré. Personne n'en possèdera jamais assez. Par contre, toute défaillance, se répercutera sur la situation de l'entreprise et se payera cash.
Un exercice de pouvoir
Tous ceux qui s'intéressent à la gestion des entreprises comme objet d'étude et de réflexion sous un angle plus que «techniciste» nécessairement réducteur, ne pourront ignorer que cette fonction est aussi un exercice quotidien de pouvoir. Cela se concrétise par la possibilité qu'ont les gestionnaires de fixer les objectifs, de hiérarchiser les priorités, d'allouer les moyens matériels, physiques et financiers, d'effectuer des dépenses, de procéder à des recrutements, des licenciements, à des sanctions positives ou négatives, etc. C'est certainement pour cela qu'en désignant la gestion, Fayol parle de «gouvernement des l'entreprises».
Une dimension sociale
Certes donc, la gestion est un ensemble de taches techniques et un exercice de pouvoir. Mais c'est aussi une fonction née d'une division sociale du travail au sein de la société. Les gestionnaires sont aussi des représentants des propriétaires des moyens de productions et des détenteurs du pouvoir économique et politique. Ils appartiennent de ce fait nécessairement à des groupes sociaux différents de ceux auxquels sont confiées les taches d'exécution, de maîtrise et même d'encadrement intermédiaire. Le rôle des gestionnaires peut être considéré alors aussi comme une gestion d'intérêts divergents voire contradictoires des différents groupes sociaux impliqués dans le fonctionnement des entreprises et concernés par ses richesses.
Que pensent les
acteurs de l'entreprise publique du conflit ?
• Les agents d'exécution
Au de là la difficulté d'expression notée chez les éléments de cette catégorie, nous avons remarqué que dans l'ensemble, les ouvriers que nous avons rencontrés ont montré un forte hostilité envers toute ‘‘incompétence'' réelle ou supposée des gestionnaires de leur entreprise. «Oui nous dit l'un d'eux, si nous constatons que nos patrons sont ‘‘incapables'' cela nous mettra dans une situation très difficile et peut nous pousser à exiger le départ des responsables».
Au delà de la légalité ou non d'une telle revendication, comment les ouvriers : manœuvres, maçons, chauffeurs, convoyeurs, etc. peuvent-ils ‘‘détecter'' cette incompétence ? «C'est très simple», nous répondent-ils. Pour eux, l'incompétence c'est d'abord « le non paiement des salaires». Ensuite, ce sont «les dettes colossales», «la mauvaise utilisation des moyens» dont dispose leur entreprise, «le gaspillage», «le recours non justifié aux sous-traitants», etc.
L'incompétence, c'est également pour les ouvriers, «le régionalisme», «le clientélisme», «le favoritisme», «l'injustice», «les sanctions abusives», etc. émanant de tel ou tel gestionnaire. En réalité, les ouvriers ne procèdent pas au jugement de leurs dirigeants de façon isolée. C'est plutôt à travers un processus complexe et qui prend du temps. D'autres éléments y jouent auprès d'eux le rôle de conseillers et de ‘‘faiseurs d'opinion''. Ce sont, selon les cas, des ouvriers plus «écoutés» pour une raison ou une autre, syndicalistes ou non, possédant un charisme particulier ou ayant tout autre qualité leur assurant l'estime et l'écoute de leurs collègues. Souvent, ce sont des agents de maîtrise ou même des cadres subalternes mais rarement des cadres supérieurs.
Alors, les agents d'exécution, préfèrent-ils se substituer eux-mêmes aux gestionnaires ? «Non», répondent-ils. A part un ou deux éléments qui ont exprimé le vœu de voir désigner des ‘‘gestionnaires-travailleurs'' à la tête des entreprises, la majorité de nos interviewés ont rejeté cette éventualité. Plus que cela, ils pensent que cette manière de désigner les gestionnaires aggraverait le problème de la gestion. Ce serait les «plus forts», les «plus épaulés», les «plus rusés» qui prendraient les commandes. Cela, pensent-ils, ne pourra ramener que les plus «incompétents» et ne fait qu'affaiblirait la position des gestionnaires.
• La maîtrise et les cadres moyens
Grosso modo, les agents de maîtrise et les cadres moyens pensent à leur tour qu'il est «naturel» que les travailleurs protestent contre «la mauvaise gestion» et «les mauvais gestionnaires». La raison en est, à leur avis, «très simple» : «L'incompétence» des gestionnaires conduit à la détérioration de l'entreprise et «cela est la pire des chose qui puisse arriver aux travailleurs». Pour les agents de maîtrise et les cadres moyens, la compétence n'est pas uniquement un moyen de rentabiliser financièrement l'entreprise, c'est aussi, et c'est très important pour eux, un moyen de créer et maintenir un «bon climat de travail». Par conséquent, un mauvais gestionnaire n'est pas, pour eux, celui qui échoue seulement dans sa mission technique. C'est aussi celui qui ne saura pas respecter son personnel, tirer le plus grand profit de leurs aptitudes. C'est également celui qui ne connaîtra pas leurs problèmes et leurs aspirations.
Contester la gestion, c'est aussi, pour les cadres moyens et la maîtrise, la contestation de la manière dont est exercé le pouvoir par les dirigeants. «Quoi de plus normal, fait remarquer l'un d'eux, quand les travailleurs se soulèvent contre des gestionnaires qui ne cessent de se remplir les poches au détriment de l'entreprise et du plus grand nombre de son personnel ?»
Par ailleurs, les agents de maîtrise et les cadres moyens, qui semblent constituer les principaux acteurs du conflit qui nous intéresse, soulèvent à ce propos un autre problème. Il s'agit de la représentation des travailleurs dans les instances syndicales et de direction. Ils pensent que la représentativité est généralement accordée, parfois par l'ingérence des directions, à des éléments peu soucieux des intérêts des travailleurs ou ne disposant pas d'aptitudes leur permettant de jouer un rôle positif dans les instances de direction même si, remarquent-ils, ces représentants ne sont là qu'à titre formel.
Pourrait-on résoudre ce problème si les gestionnaires n'étaient plus désignés mais élus par le personnel ? Les agents de maîtrise et les cadres moyens s'y opposent fermement. «Comment peut-on, se demandent-ils, croire à cela et y voir une manière de désigner des gestionnaires compétents alors que cela est loin d'être le cas pour les représentants du personnel ?» En revanche, ils pensent que la problème serait réglé si les instances chargées de nommer les dirigeants des entreprises nomment des gestionnaires «réellement compétents dans tous les sens de cette compétence : techniquement, financièrement et humainement.»
• Les cadres supérieurs
Les éléments de cette catégorie se caractérisent par une aisance de discours comparativement à leurs collègues. Cela peut certes aider l'enquêteur à recueillir beaucoup de données avec moins d'effort. Toutefois, pourrait constituer aussi un inconvénient dans la mesure où les cadres supérieurs sont de ce fait capables de produire des propos de circonstance ne reflétant pas ou peu la réalité de la situation telle qu'ils se la représentent.
Cela est d'autant plus probable que, contrairement à ce que pourraient penser beaucoup, la situation des cadres supérieurs dans les entreprises est plus vulnérable par rapport à celle des autres catégories socioprofessionnelles.
En effet, leur proximité des centres de pouvoir et peut-être aussi la possibilité que leur donnent leurs aptitudes professionnelles de pouvoir remplacer les dirigeants dans les postes de commande, les rendent des objets potentiels des mesures de riposte de ces derniers. En outre, il faut rappeler que face aux éventuelles représailles, les cadres supérieurs ne disposent pas de moyens forts tels que le mouvement collectif ou l'implication des instances syndicales pour se défendre efficacement comme il est souvent le cas pour les autres catégories. Généralement, les cadres intermédiaires dans les entreprises publiques en Algérie semblent vivre toujours entre le marteau des hauts dirigeants et l'enclume des travailleurs et surtout leurs syndicats.
Quoi qu'il en soit, de nos entretiens avec les cadres supérieurs de notre échantillon d'étude, nous sommes parvenus à constater que dans leur majorité, ceux-ci déclarent que le personnel a le droit de contester et même de se révolter contre les gestionnaires quand ils sont «réellement inaptes» de diriger l'entreprise.
Mais, à leur avis, qu'est-ce qu'un gestionnaire ‘‘incompétents''? Pour ces responsables intermédiaires, «cela est facile». «Les gestionnaires incompétents sont ceux qui manquent d'aptitudes de prévision, de planification et de stratégie.» «Ce que doivent savoir les gestionnaires, insistent les cadres supérieurs, c'est ceci : les travailleurs ne peuvent pas rester indéfiniment indifférents en face les actes de mauvaise gestion. Car cela se répercute inéluctablement sur leur ‘‘ gagne-pain''.»
Cependant, cette position ‘‘compréhensive'' ne veut pas dire que les cadres supérieurs sont du côté des travailleurs protestataires sans aucune réserve. Parallèlement à cette attitude, ils pensent que la majorité écrasante des travailleurs n'est pas en mesure de porter un jugement correct sur la qualité de la gestion de l'entreprise pour au moins deux raisons. D'une part, parce qu'ils ne possèdent pas les aptitudes techniques et intellectuelles nécessaires et, d'autre part, leur position, loin des sphères de commandement, ne leur permet pas de connaître les conditions réelles de travail des gestionnaires.
Il semble donc que les cadres supérieurs pensent qu'il est raisonnable de donner aux travailleurs un droit de regard sur la gestion mais par l'intermédiaire d'organes de participation. «Mais pour que cela soit efficace, pensent-ils, il faut que les travailleurs doivent avoir en leur sein des agents qualifiés. «Car, soulignent t-il, il faut que les ouvriers et toutes les autres catégories ‘‘ dirigées'' doivent également être conscients que la gestion est une mission très difficile. Ensuite, il doivent connaître que souvent les gestionnaires sont eux-mêmes des victimes d'un environnement injuste est impitoyable.
Manque de moyens, ingérences, pressions, menaces, sont généralement les caractéristiques du ‘‘ climat'' de travail des dirigeants des entreprises publiques. C'est pour cela, ajoutent les cadres supérieurs, que mêmes techniquement compétents, les gestionnaires sont souvent incapables de bien gérer leurs entreprises.» A partir de ce constat, les cadres supérieurs ont catégoriquement rejeté toute possibilité d'élection des dirigeants par le collectif des travailleurs quelques soient les conditions. «Cela, estiment-ils, a déjà été tenté avec la GSE et a plus qu'échoué.» «Le problème, selon eux, réside dans l'absence d'une ‘‘culture d'entreprise''.» «Car, il faut accepter une fois pour toute, soulignent les cadres supérieurs, qu'au sein d'une entreprise, il y a et il y aura toujours des ‘‘dirigeants'' et des ‘‘dirigés''.»
En conclusion, les cadres supérieurs pensent également que le conflit autour ou à cause de la gestion dans l'entreprise ne se résoudra que par la désignation de dirigeants hautement compétents et que l'Etat ne devra jamais sous estimer l'importance de ce facteur. Sans cela, il y aura toujours, selon les membres de cette catégorie, des conflits sévères et il n'y aura jamais une entreprise au sens réel de ce terme.» Soulignons enfin que les cadres, en général, ne semblent toutefois pas pour une entreprise entièrement publique. Ils paraissent plutôt, sans toujours l'exprimer ouvertement, pour une entreprise qui assurerait d'une part, l'efficacité cherchée par la propriété privée et d'autre part, les acquis sociaux de la propriété publique.»
A suivre
*Département de sociologie - Université d'Annaba


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